Publié le Mardi 12 avril 2016 à 12h35.

La grève à la SNCF en préparation

Les organisations syndicales sont en pleine « négociation » pour nos conditions de travail qui doivent aboutir au 1er juillet 2016. C’est une conséquence directe de la réforme ferroviaire de l’été 2014, qui a conduit à deux semaines de grève. 

La réforme est faite pour accélérer le processus de libéralisation avec l’arrivée de nouvelles entreprises privées. C’est déjà le cas pour le Fret ouvert à la concurrence depuis une dizaine d’année. C’est une catastrophe: on transporte maintenant moins de marchandises sur rail qu’en 1911 ! L’ouverture totale du le trafic voyageurs à la concurrence est prévue d’ici 2020-2022.

Pour permettre cette libéralisation totale, il faut casser les quelques acquis que les cheminots au statut ont conservé et niveler le tout par le bas pour permettre à la concurrence et à la SNCF de dégager des marges conséquentes.

La casse du RH 077 et la loi travail

Jusqu’à présent, le statut des cheminots de la SNCF est régis par un décret : le RH 077 qui fixe nos conditions de travail en prenant en compte les contraintes liées à une entreprise fonctionnant sans interruption 365 jours/an (avec des déplacements, des découchés, du travail de nuit, du 3X8, etc…). Ce RH 077 est loin d’être la panacée mais il fixe tout de même quelques garanties.

Dans un premier temps, le gouvernement a sorti un décret socle (dernière version le 10 mars 2016). Les patrons du transport (l’UTP) viennent de sortir une proposition de Convention Collective et, enfin, doivent être négociés des accords d’entreprises. Le décret socle proposé par le gouvernement et repris par le patronat représente une attaque en règle contre nos conditions de travail. C’est la loi El Khomri à la SNCF… mais en pire.Notre attaque contre les 35h ressemble pour beaucoup à ce qui s’est passé dans les hôpitaux ou à la RATP.

La première annonce du décret socle a été faite le 17 février. Soit le même jour que l’annonce de la loi El Khomri. Depuis, nous sommes sur le même calendrier. 7) Il est bien sûr évident que les deux attaques sont identiques. La loi El Khomri aura des conséquences concrètes pour les cheminots (hiérarchie des normes, accord d’entreprises qui peuvent être dénoncés par les patrons à tout moment et renégociables tous les 5 ans, etc.)

Cependant, sur le plan syndical, les directions ne veulent pas entendre parler de « convergence des luttes » : Pour la CGT Cheminote, « perdre » son énergie sur la Loi El Khomri maintenant nous affaiblirait par avance pour la lutte à venir sur notre triptyque « décret socle – convention collective – accord d’entreprise ». Ce serait aller « à l’abattoir » que de se battre « pour les autres », nos revendications seraient noyées dans la loi Travail, etc. Même Sud Rail, qui la défend sur le papier, n’avance pas concrètement. Même si ça risque d’être plus compliqué que d’habitude, les directions nationales de la CFDT et de l’UNSA sont prêts à signer à peu près n’importe quoi. FO a un positionnement relativement correct mais n’est pas très influente.

 

On construit quoi ?

La CGT envisageait cette lutte vers le mois de juin avec un calendrier déjà calé : une grève en mars, encore une en avril, une manif le 3 mai et une grève reconductible en juin. Mais, alors que l’intersyndicale appelle à une nouvelle journée de mobilisation le 28 avril contre la loi El Khomri, à la SNCF nous ferions grève le 26 avril ! Et la manif prévue de longue date le 3 mai, qui est aussi la date à laquelle la loi travail sera déposée à l’Assemblée nationale, est reportée au 10 mai ! Le gouvernement doit se frotter les mains de cette division. Mais vu que ça remue pas mal en interne, la perspective de la reconduction semble avancée au 17 mai.

Nous sommes dans un cas de figure qui ressemble pas mal à 2003 : la direction de CGT de l'époque (Didier Le Reste, aujourd'hui… au Front de gauche) refusait alors la jonction avec les profs pendant le mouvement sur les retraites. Contrairement à 2007 (régimes spéciaux), 2010 (retraites) ou 2014 (réforme ferroviaire) ou les syndicats avaient accompagnés le mouvement sans le prendre de front.

Cela peut apparaitre anecdotique mais la situation interne à la CGT joue aussi. La CGT cheminote se targue souvent d’être plus « à gauche » que la Conf’. Vis à vis de la Confédération, on peut entendre certains responsables tenir le discours suivant : « on demande aux cheminots de participer à tous les mouvements, comme en 2003 (seul secteur en dehors des profs à avoir fait une dizaine de jours). En 2010, tout le monde parlait de reconductible mais les seuls à l’avoir fait (avec les raffineries), ce sont encore les cheminots » Brefs, les cheminots sont de toutes les bagarres mais quand ils sont attaqués, « il n’y a plus personne pour les défendre ».

Il existe un fond de vérité à tout cela : en 2007, en pleine grève sur les régimes spéciaux, Bernard Thibault paradait à l’Elysée. En 2014, au début de la grève sur la réforme ferroviaire, Le Paon expliquait dans le Parisien que la grève touchait à sa fin… 

Ces arguments peuvent marquer des points chez pas mal de collègues : « d’ailleurs depuis qu’on fait les grèves, on ne parle que de la loi travail et pas du décret socle ». Mais ce n'est pas une raison pour s’isoler du reste du mouvement ! Au contraire, les cheminots doivent faire comprendre que ce qui leur arrive est la déclinaison de la loi El Khomri à la SNCF et qu'il faut justement se battre “tous ensemble”.

 

Vers la reconductible ? 

Le 31 mars, plusieurs équipes ont poussé à la reconduction mais sans réel succès. Et ce même dans les quelques endroits ou des « vraies » structures syndicales ont fait le boulot de préparation sérieusement depuis le 9 mars.

Le fait que la CGT n’appelle pas et que Sud Rail qui était pourtant favorable à la reconduction y ait renoncé au dernier moment a sapé le moral de nombreux cheminot-e-s. Par ailleurs, nous avons perdu notre dernière grève il y a seulement deux ans, cette défaite pèse encore.

Il y a donc une situation doublement contradictoire : Nous avons perdu il n'y a pas si longtemps mais on discute de nouveau de grève reconductible… Comme dans le reste de la société, le rejet de la politique du gouvernement est massif, on sent une radicalisation, une politisation (dans les discussions, etc…), mais il n’y a toujours pas suffisamment de confiance pour y aller « pour de bon ». 

Le résultat de ce manque de perspectives amène des militants à partir un peu dans tous les sens, à des projets qui se veulent radicaux mais qui anticipent une  défaite : Ainsi le dernier truc à la mode est de dire qu’il faudra faire grève fin juin pendant l’Euro de foot… Quand on pense qu’on va faire grève « juste pour faire chier », c’est qu’on a déjà un peu perdu.

Nous ne savons pas ce qu’il en sera en juin mais dans tous les cas notre perspective reste un mouvement d’ensemble, interprofessionnel : la grève générale pour faire court, avec ou sans Euro.

Malgré les limites évoquées plus haut, qu’un potentiel existe dans la boite pour aller plus loin. Les grèves du 9 et 31 mars ont été importantes, des cheminots se rendent par exemple place de la République, en parlent entre eux, des « nuit debout » viennent dans les gares, on organise, à notre toute petite échelle, des projections de films (« Comme des lions »), des discussions, on bataille dans les syndicats, etc… C’est positif.

Il va de soi que la lutte contre le décret socle ferroviaire et la loi travail vont de pair. C'est ce que nous défendons partout. Penser que les cheminots pourraient gagner seuls au mois de juin n’est pas sérieux. Nous avons connu exactement la même situation en 2014 : isolés face à la réforme ferroviaire, nous avons perdu. Si le mouvement contre la loi El Khomri gagnait maintenant, le gouvernement ferait une fleur à des cheminots isolés deux mois plus tard ? Si le mouvement perdait sur la loi Travail, les cheminots gagneraient seuls quelques semaines après ? 

C’est non seulement prendre des risques inutiles et surtout ce n’est pas juste : nous tentons de faire le lien en permanence avec le reste du monde du travail, de construire concrètement la convergence des luttes. D’ailleurs, les dernières victoires se sont faites comme ça : 1995 et le CPE.

Dans les jours semaines qui viennent nous allons tout faire pour la reconduction entre le 26 et le 28 avril. Après tout la grève de 1995 est partie un peu comme ça !

Correspondant