Publié le Lundi 27 avril 2020 à 12h31.

SNCF : « Si ces conditions ne sont pas réunies, il y aura droit de retrait »

Basile, cheminot à Paris-Est, raconte les conditions d’exercice à la SNCF en réponse aux annonces du gouvernement sur la reprise du travail et du trafic. Les mesures de protection sont loin d’être suffisantes.

Quelles informations avez-vous sur la question du déconfinement ?

Pas mal de collègues n'ont quasiment pas été confinéEs pendant toute la période qu'on vient de connaître. Pour donner un exemple concret, dans les postes d'aiguillage sur la région de Paris-Est, sur laquelle je travaille, il y a 120 aiguilleurEs qui travaillent tous les jours. Il y a des gens au travail, notamment tout ce qui est sous-traitance : nettoyage, accueil et sécurité. Ce sont des collègues qui n'ont pas arrêté de travailler et qui ont en plus une surcharge de travail notamment dans le nettoyage parce que, même s'il y a beaucoup moins de trains, il s'avère que les tâches à effectuer sont plus importantes. Il y a eu trois décès sur la région de Paris-Est depuis le début de l’épidémie. Ce sont trois collègues de la sous-traitance :  un collègue de l'accueil et deux collègues du nettoyage.

Pour nous, le déconfinement va commencer avant le 11 mai puisque pas mal de gens sont partis se confiner en province par exemple, et qu’il va falloir leur permettre de rentrer. Dès le 8 mai, le trafic, donc le travail, va reprendre. On se rend compte, surtout depuis une dizaine de jours, que l'activité a repris dans pas mal d'entreprises, notamment parce qu'il y a de plus en plus de monde dans les trains et notamment dans les transiliens (trains de banlieue). Le syndicat Sud-Rail de Paris-Est a fait une petite vidéo qui montre que les trains du matin sont blindés. La SNCF se sert de cette situation pour expliquer qu'elle veut reprendre le trafic. Et plus il y aura de monde dans les trains, plus on nous dira qu’il faut retourner au boulot. C’est un peu le serpent qui se mord la queue. 

Pourtant, il s'avère que les conditions ne sont pas du tout réunies pour que le trafic puisse reprendre de manière correcte aussi bien pour les salariéEs que pour les usagerEs.

De ce qu'on sait, à partir du 8 mai, il va y avoir une reprise du trafic en S1 pour le trafic grandes lignes – donc service minimum, là on est en S0 – pendant 15 jours. Après, il y aura une quinzaine de jours de S2, puis quinze jours de S3 et ce ne seraque début juillet qu’on retrouvera un trafic normal a priori. Après, les infos changent tous les jours…

Ils ont déjà remis en place les chantiers sur des travaux non essentiels (pas des travaux d'entretien de sécurité sur le réseau) mais par exemple les travaux de prolongement du RER E après Haussmann-Saint-Lazare. Il y a beaucoup de travaux de nuit qui ont repris. 

Qu’est-ce qu’il faudrait pour que le trafic reprenne ?

Dans les transports, il faudrait qu’il y ait cette fameuse distance de sécurité d'un mètre entre chaque voyageurE. Pour qu'elle existe, il faudrait beaucoup de trains. Il faut que les gens puissent voyager avec des masques, que les salariéEs qui sont en contact avec les usagerEs aient aussi des masques – de type FFP2, suffisamment efficaces. Tout le monde devrait avoir ça. Pour l’instant, il n’y en a pas donc la reprise du trafic ne devrait pas être possible.

Il faudrait aussi que les travailleurEs puissent être testéEs avant de reprendre le travail pour s’assurer qu'ils et elles ne vont pas contaminer leurs collègues. La direction nous dit qu’on aura des masques, mais on sait par exemple que les commandes arriveront après le 11 mai. Si la reprise est le 11 mai (ou le 8), il nous faut des masques pour cette date.

En plus, il faut plus d'un masque par jour : on travaille huit heures, les masques seraient valables quatre heures. Sur les huit heures il y a une pause pour aller boire un verre d'eau, pour manger – repas du midi ou petit déjeuner, il faut un masque pour venir travailler, un masque pour rentrer chez soi, donc il faudrait au minimum 4 ou 5 masques par jour. Là, on pourra dire que les conditions sont réunies pour une reprise du travail, avec les tests en supplément.

Qu'est-ce que vous faites au niveau syndical par rapport à cette date de reprise ?

On fait une sorte de listing par équipe, par chantier, de ce qui est nécessaire. Par exemple, sur l'escale de Paris-Est, où les collègues sont en relation avec les usagerEs toute la journée, il faut bien sûr que chacunE ait du gel dans sa poche, il faut qu’il y ait la fameuse distance entre les usagerEs et les salariéEs. Il faut aussi une pause de 10 minutes toutes les heures pour avoir le temps de redescendre se laver les mains, de monter de la plateforme jusqu'aux vestiaires. Il faut le nombre de masques suffisant. Il faut que les collègues se croisent au minimum donc il faut parfois changer les horaires de début et de fin de service en les raccourcissant.

Pour les contrôleurEs qui par exemple vont aller jusqu'à Strasbourg ou Colmar, il faut savoir s’ils/elles vont dormir dans les foyers ou pas, ou alors qu’on s'arrange pour qu’ils/elles puissent faire l'aller-retour dans la journée. Mais alors est-ce qu’on a le temps de contrôler ou pas ? La réponse pour nous, c'est non : les contrôleurEs assurent des missions de sécurité dans un train qui ne sont pas seulement du contrôle : lescontrôleurEs sont importants si jamais il y a un accident : ils sont l'interface entre les conducteurEs et les voyageurEs, ils peuvent donner un coup de main aux conducteurEs en cas de problème, etc.

On voit bien que si un ou une contrôleuse passe dans les trains, c'est comme s’il faisait circuler le virus de voyageur en voyageur…

Oui, entre les billets, les cartes, les téléphones, même si tu prends des gants… Donc on veut des garanties pour que le trafic reprenne, s'il doit reprendre.

La SNCF a demandé que le port des masques par les voyageurEs soit obligatoire, mais elle dit que ce n'est pas elle qui peut l’imposer mais une décision du gouvernement.

En Turquie, à Istanbul, les masques sont distribués gratuitement à l'entrée du métro, il n’y a pas de raison qu’ici ce ne soit pas la même chose, qu'à l'entrée des gares tous les voyageurSEs n'aient pas un masque pour voyager.

On est en train de lister tout ça et ce sera les conditions pour reprendre le travail. Si ces conditions ne sont pas réunies, il y aura droit de retrait, c'est-à-dire que les salariéEs n'iront pas se mettre en danger pour une reprise à tout prix du trafic qui ne correspond pas aux impératifs de santé de la population. 

Propos recueillis par Antoine Larrache