Publié le Dimanche 12 mai 2019 à 12h48.

Algérie : La revendication « de procès diffusé publiquement » vise à éclaircir les démêlés de la cabale judiciaire

Entretien avec Adlène Belhmer étudiant, militant du Parti socialiste des travailleurs.

L’actualité politique en Algérie est marquée dernièrement par une série d’arrestations aussi bien d’anciens hauts gradés de l’armée que d’oligarques du cercle Bouteflika. De quoi ces arrestations sont-elles le nom ?  

Ces arrestations en cascade placent les blocs sociaux au pouvoir dans une logique de recomposition qui consacre le basculement du centre du pouvoir de la présidence incarnée par Bouteflika vers l’Etat major de l’ANP. Le rapport de force qui se cristallise en faveur d’Ahmed Gaid Salah (AGS) se traduit par la mise sous écrous de tous ceux qui incarnaient le règne de Bouteflika et ceux qui étaient en connivence avec l’ancien patron des renseignements, Mohamed Mediene dit Toufik. Ce serait une naïveté déconcertante de croire que l’appareil judiciaire qui s’est mise en branle n’obéit à aucun parti pris. En réalité, il s’agit pour AGS d’assainir son blason tout en donnant l’image d’avoir répondu à la demande des protestataires qui réclamaient le jugement de la «Aissaba » (la bande). Le costume d’homme fort que se tisse le chef d’état major passe donc par le dépeçage de l’ancien bloc dominant. Preuve en est, il ne se passe pas un message de AGS sans mentionner « le complot ourdi » qui serait « en voie de démantèlement », ces annonces préparent souvent l’esprit des gens à une cabale en action avec des relents de règlements de compte, dont bien entendu les masses populaires n’ont pas de camp à choisir.  

Quels sont les motifs évoqués lors des arrestations ?

Formellement, les griefs portés contre les uns et les autres sont nombreux. Ainsi, pour l’ancien conseiller de la présidence et non moins frère de l’ancien président, Said Bouteflika, comme pour les anciens généraux Toufik et Tertag, les chefs d’inculpation sont « complot contre l’autorité de l’Etat » et « atteinte à l’autorité de l’armée » (ce dernier grief ne figure pas dans le code pénal). Concernant le milliardaires Issad Rebrab il s’agit de «fausse déclaration relative aux transferts illicites de capitaux de et vers l'étranger, surfacturation d'équipements importés et importation de matériels d'occasion, alors qu'il avait bénéficié d'avantages douaniers, fiscaux et bancaires».Plusieurs chefs d’inculpation de même nature sont émis à l’encontre de l’oligarque Ali Haddad, Tahekout, etc. La dernière en date à faire les frais de la justice est la SG du Parti des Travailleurs, Louiza Hannoune, parti trotskyste de tradition lambertiste, a d’abord été auditionné autant que « témoin » avant sa mise sous mandat de dépôt. Ce qui est certain, c’est qu’au-delà de l’aspect formel de la procédure, la cabale est motivée par un souci « d’épuration » au profit de AGS dont l’ascendant hégémonique le place en tant qu’arbitre, qui sous couvert d’une opération main propre, vise en réalité à pérenniser le régime, dont les masses manifestent chaque vendredi par millions pour son départ. 

Autre élément, le fait de passer les dignitaires du régime (Said, Toufik et Tertag) dans un tribunal militaire soulève de nombreuses interrogations chez de nombreux observateurs. Comme le souligne le journaliste Yassine Temlali : « Il n’est pas illégitime de penser que l’implication de la justice militaire dans cette affaire vise à empêcher que l’éventuel procès des accusés ne révèle sur le fonctionnement du régime d’Abdelaziz Bouteflika des éléments trop embarrassants pour le régime de facto en place depuis sa destitution. Il n’est pas non plus illégitime de croire qu’un procès “maîtrisé”, devant une cour martiale, permet d’éviter à deux anciens puissants généraux, Mohamed Mediene et Athmane Tartag, une humiliation publique qui peut provoquer des remous au sein de l’armée.». Ce à quoi, la revendication « de procès diffusé publiquement » est clairement exprimée pour éclaircir tous les démêlés d’une telle cabale judiciaire.  

L’oligarque Rebrab a bénéficié d’un large mouvement de soutien. Comment expliquer cela ? 

D’abord, il faut relativiser le « large » mouvement de soutien. Comme on l’a vu lors de la marche de soutien du 23 avril dernier, les manifestants n’étaient pas aussi nombreux qu’on le promettait. On pourrait même parler d’échec de la mobilisation vu les moyens mis à dispositions (bus réquisitionnés, pressions sur les travailleurs…etc). Sinon à mon avis le soutien relatif dont se targue Rebrab repose sur trois points principaux. Le premier est le fait qu’il surfe abondamment sur la fibre régionaliste se présentant comme « un kabyle opprimé ». La trajectoire historique de l’Algérie  a fait de la problématique identitaire une question très sensible, dont Rebrab instrumentalise d’une manière éhontée. Le deuxième élément, c’est que Rebrab fournit le modèled’un « capitaine d’industrie (sic !) » qui a réussi, dont le sommet de la forfaiture constitue à le présenter comme un démocrate honnête. Alors qu’on parle du même Rebrab qui s’est enrichi à l’ombre du régime, qui a importé de la ferraille radioactive durant les années 90, qui a été président du FCE jusqu’à 2014, qui a soutenu les deux premiers mandats de Bouteflika et qui a licencié des dizaines de travailleurs en 2012 qui voulaient créer une section syndicale. Troisième élément, Rebrab instrumentalise la détresse des jeunes et moins jeunes quant au chômage massif, se targuant toute honte bue du titre de « créateur de richesse ». Les taux élevés de chômage (8,1% : chez les hommes, 20% : chez les femmes et 17.6%. : chez les jeunes diplômés) lui fournissent le réservoir providentiel de soutien dans son bras de fer contre l’administration qui lui bloque un certain nombre de projets. Ces trois éléments combinés peuvent expliquer le relatif soutien dont il se prévaut, mais  qui s’est vu aujourd’hui réduit comme peau chagrin après son arrestation, car le plaçant directement comme partie prenante de la recomposition du pouvoir qui se met en place.  

Comment se sont exprimées les réactions des manifestants ce vendredi quant à ses arrestations ? 

Il faut peut être souligner que la mobilisation est restée intacte malgré la chaleur et le mois du ramadhan. Le pouvoir qui misait sur l’usure se trompe lourdement. Quant à la vague d’arrestations qui a rythmé l’actualité de la semaine, elles sont clairement désignées comme une lutte interne au pouvoir qui n’engage pas les masses populaires à soutenir un camp contre un autre. Par contre, et au-delà des arrestations, on a observé à travers les mots d’ordre le rejet des élections imposées pour le 4 juillets prochain comme de la solution constitutionnelle à laquelle nous convie le pouvoir de fait actuel. D’un autre coté, le mot d’ordre d’assemblée constituante représentative des intérêts des masses populaire est largement exprimé. Le défi est de dépasser le stade du « dégagisme » abstrait afin de mettre en avant l’idée d’auto-organisation qui n’est encore que dans son état embryonnaire.