Publié le Mardi 26 mars 2019 à 09h50.

Algérie : Les sommets du pouvoir sous pression

La contestation en Algérie continue à déstabiliser le pouvoir, comme on a pu le voir avec l’annonce, aujourd’hui, par le général Gaïd Salah, chef d’État-major de l’ANP, de déclarer l’inaptitude de Bouteflika. Hocine Guernane, militant du Parti socialiste des travailleurs, nous raconte comment la contestation opère sur le syndicat UGTA et sur le gouvernement algérien.

Ça a commencé par une protestation des syndicalistes de l’UGTA, dans la wilaya de d’Adrar dans le sud Algérie, refusant d’assister à la commémoration officielle de l’anniversaire de l’organisation le 24 février en présence du secrétaire général de la centrale syndicale, du ministre de l’intérieur et de l’ex chef de gouvernement Abdelmalek Sellal. Le même jour, des syndicalistes des secteurs de la métallurgie, la santé, Naftal et Ferial ont quitté la salle de réunion de l’UW (union départementale) de Annaba, refusant et dénonçant une motion de soutien au 5emandat de Bouteflika, que leurs bureaucrates ont tenté de leur faire adopter.

Depuis, plusieurs structures de base se sont démarquées de la position de soutien au 5emandat décidée par le SG de la centrale, Sidi-Saïd. Parmi ces structures, certaines ont exprimé un retrait de leur confiance en Sidi-Saïd. Parmi ces structures, il y a les principaux bastions ouvriers, les travailleurs du complexe métallurgique d’El-hadjar (Annaba), récemment renationalisé, ainsi que les travailleurs de la zone industrielle de Rouiba (Alger) où il y a le complexe des véhicules industriels (SNVI) qui bénéficie du soutien de l’union locale.

Sidi-Saïd contesté

Ces travailleurs ont même organisé, le 12 mars, une marche contre le 5emandat et contre le patron de la centrale, marche qui a été vite réprimée par les unités de gendarmerie. Les travailleurs de l’ANEP aussi ont organisé une action de protestation devant le siège de la régie (Alger) pour demander le départ de Sidi-Saïd ainsi que du régime. Un secrétaire national à l’organique dans la direction de l’UGTA a lancé un appel à la création d’une commission nationale pour écarter  le SG. Ce dernier a réagi en l’écartant de son poste de responsabilité. 

Le 11 mars Sidi-Saïd a réuni la direction nationale de l’UGTA (c’est-à-dire l’ensemble des fédérations et des unions de wilaya). Cette réunion est sanctionnée par une déclaration qui fait l’éloge du président Bouteflika et du mouvement populaire et qui se termine par les lignes suivantes : « il est évident que l’UGTA considère que le besoin de changement est devenu nécessaire, comme il est évident comme il doit se construire à travers un dialogue emprunt de sagesse et de construction d’une solution consensuelle permettant de faire émerger l’édification d’une nouvelle république en harmonie avec les aspirations de notre peuple, et d’assoir sereinement l’avenir et de préserver notre pays, l’Algérie ».

Le 16 mars, plusieurs dizaines de syndicalistes de différents secteurs se sont rassemblés devant le siège de la centrale syndicale pour réclamer le départ de Sidi-Saïd, cependant les partisans de Sidi Saïd, vêtus de gilets jaunes, étaient plus nombreux, ce qui a permis à ce dernier de fustiger ses adversaires. À l’heure actuelle et à ma connaissance, il n y a qu’une seule union de wilaya qui s’est démarquée de Sidi-Saïd, c’est celle de Tizi-Ouzou. Le reste des structures aussi bien verticales (fédérations) qu’horizontales (UW), qui sont toutes bureaucratiques, sont guidées par leur instinct de conservation. À l’image du pouvoir qui cherche à organiser sa propre transition, il est fort probable que la direction de l’UGTA, qui reste attachée à la démarche du pouvoir, enfourche le mouvement de protestation, pour tenter de reprendre la main dans ses rangs prenne quelques initiatives de nature à absorber le mécontentement de la base et éviter que l’hostilité à Sidi Said n’évolue en une rébellion contre toute l’organisation. Pour le moment la contestation ne menace pas vraiment la direction de l’UGTA, mais petit à petit elle gagne du terrain. Il n’est pas exclu que les choses s’accélèrent dans un futur proche.

Un gouvernement sous pression

Le premier ministre que Bouteflika a désigné pour former un gouvernement de transition était déjà ministre de l’intérieur dans le gouvernement précédent. Il a à son actif la répression du mouvement de grève et de protestation des médecins, des retraités de l’armée et de nombreuses interdictions et répressions d’activités publiques de la société civile. Toutes ses tentatives pour former un gouvernement ont essuyé un échec. Les partis, les syndicats, les associations et personnalités ont tous déclinés l’invitation.

Ce n’est pas tant le rejet de la transition qui explique leur refus de répondre à l’invitation du premier ministre : cette démarche, ils la reprennent, d’ailleurs, à leur compte en excluant les gens du pouvoir et tentent de la faire adopter par la rue.

Ce qui explique leur refus, c’est la peur d’être assimilés à la clientèle du pouvoir et d’être grillés vis-à-vis du mouvement populaire. De ce point de vue, le mouvement a réussi à influencer tout le monde. Très tôt, il a balisé sa voie du dialogue (la rue) et a imposé ses préalables à ce dialogue (la chute du régime). « Il ne reste au premier ministre qu’à demander à l’ANSEJ (agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes) de lui filer quelques dossiers pour former son gouvernement », plaisante la rue.

Il semble que le premier ministre n’a plus d’autres choix que de se rabattre sur le vivier politique traditionnel du pouvoir pour former son nouveau gouvernement ou de garder le gouvernement de son prédécesseur dont les ministres sont toujours en poste, ce qui alimentera davantage la contestation.

Sur un autre terrain, le vice premier ministre, le diplomate Ramtane Lamamra, a pris son bâton de pèlerin et est parti prêcher la cause de Bouteflika auprès des puissances étrangères. Qu’est-ce que peut bien quémander Lamamra, sinon le soutien des puissances impérialistes à la torsion que veut faire Bouteflika à la légalité constitutionnelle ? Bouteflika veut prolonger son règne au-delà de la période de son mandat qui expire le 28 avril prochain. Cette option, si elle vient à se confirmer, mettra le pays sous les griffes et le chantage des puissances impérialistes. Mais d’ores et déjà, la rue qui a flairé le danger de cette option au relent contre-révolutionnaires dénonce les ingérences étrangères d’où qu’elles viennent.

Titre, intertitres et propos recueillis par Antoine Larrache