Publié le Vendredi 5 août 2016 à 23h48.

“Bilal est maintenant dans un hôpital à Ashkelon, menotté, les jambes enchaînées et attachées au lit”

Interview de Sahar Francis, directrice d'Addameer, organisation de soutien aux prisonniers palestiniens. 

Bilal Kayed, militant du FPLP, est en grève de la faim depuis plus de 40 jours, pourquoi a-t-il entamé cette protestation ?

Sahar Francis - Bilal avait purgé l'intégralité de sa peine, (14 ans et demi de prison) et devait être libéré le 15 juin 2016. Mais au lieu d'être libéré il a été placé le jour même en détention administrative pour 6 mois.

Il a décidé de commencer une grève de la faim pour protester contre une décision arbitraire et le principe même de la détention administrative . Un mouvement de solidarité s'est très vite développé dans toutes les prisons israéliennes, ce n'est pas une grève de la faim totale, mais des groupes de prisonniers se relayent et jeûnent pendant un ou deux semaines. Dans toutes les villes palestiniennes il y a des tentes de solidarité où la population vient montrer son soutien à la lutte des prisonniers. La grève de la faim est une forme de lutte très dangereuse et le mouvement s'inspire de la grève de la faim des prisonniers irlandais en 1981. C'est un acte de résistance qui menace leurs vies, et pour tenir le plus longtemps possible, ils commencent puis d'autres groupes les rejoignent afin de maintenir la pression sur les autorités pénitentiaires. Bilal est maintenant dans un hôpital à Ashkelon, menotté, les jambes enchaînées et attachées au lit. Il ne peut pas bouger et ce n'est pas acceptable médicalement. Les autorités disent que c'est pour des raisons de sécurité mais c'est absurde, il est très affaibli et peut à peine marcher, il n'y a aucun risque qu'il attaque les gardiens ou qu'il parte en courant. C'est juste un prétexte pour l'humilier et le torturer.

 

Le nombre de prisonniers palestiniens détenus en Israël semble avoir beaucoup augmenté ces derniers mois

S. F- En fait depuis la révolte d'octobre 2015 et l'agitation dans les territoires occupés, les Israéliens ont lancé  une campagne d'arrestations de masse qui continue actuellement, tous les jours et toutes les nuits dans les villes et les villages palestiniens. Plus de 6000 arrestations ces sept derniers mois, il y a maintenant 7000 détenus palestiniens dans les prisons israéliennes, dont 64 femmes, 330 mineurs et 750 détenus administratifs. Six députés du Conseil législatif palestinien sont en prison, l'emprisonnement est devenu un moyen de contrôle de la société. Nous avons hérité du système britannique de détention administrative en vigueur à l'époque du mandat, les Israéliens ont amendé leur code pénal pour pouvoir l'utiliser. Ils peuvent arrêter n'importe qui sur la base d'informations « secrètes » en prétendant qu'il est une menace pour la sécurité et renouveler sa détention indéfiniment. Le dossier secret n'est pas communiqué aux avocats, il n'est vu que par le juge militaire, il ne vous reste plus qu'à espérer qu'il sera objectif. Mais dans la plupart des cas le juge militaire confirme l'ordre donné par le gouverneur militaire. Omar Nazzal, le secrétaire du syndicats des journalistes, est en détention administrative pour avoir voulu aller en Europe donner une série de conférences. Mohammed Abou Sakha, un artiste du cirque national palestinien, un clown, en est à sa deuxième période de détention pour appartenance supposée au FPLP.

 

Il semble que les jeunes soient particulièrement visés.

S.F- Ce qui est nouveau c'est qu'ils arrêtent maintenant des mineurs à Jérusalem est et les mettent en détention administrative, pour des posts sur Facebook. Une jeune fille de 16 ans du camp de Deheishe a été détenue 3 mois pour avoir posté les photos des martyrs de Deheishe. Le nombre de mineurs emprisonnés a bondi. Pour eux, rien ou presque n'est prévu en prison, ils sont dans les mêmes prisons que les adultes, bien que séparés. Il n'y a aucun programme d'éducation ni de soutien psychologique, quand ils sortent ils ont beaucoup de mal à se réadapter, beaucoup sont incapables de retourner à l'école.

Propos recueillis par Mireille Court, Ramallah, 27 juillet 2016