Publié le Vendredi 31 mars 2017 à 09h10.

Centrafrique : Quand l’État français couvre les pires pratiques de ses soldats

C’est un scandale important... que les autorités judiciaires françaises s’apprêtent à recouvrir en classant le dossier « sans suite ». Mardi dernier, 21 mars, le parquet de Paris a annoncé qu’il allait requérir un non-lieu  pour les militaires français de l’opération « Sangaris » soupçonnés d’avoir commis des dizaines de viols sur des enfants en Centrafrique.

L’opération « Sangaris » de l’armée française avait débuté le 5 décembre 2013 en République Centrafricaine (RCA) et s’est officiellement terminée en 2016, des troupes des Nations unies ayant pris le relais. L’intervention française fut, à l’époque où commencèrent les opérations, officiellement justifiée par la nécessité de stopper des massacres entre groupes de population (désignés comme « chrétiens » et « musulmans »), qui faisaient suite à des affrontements entre les milices de la Séléka et des anti-Balaka. Cependant, puisque certains « chrétiens » voyaient la France comme une puissance protectrice plus que comme une force neutre, la présence de l’armée française, au moins dans certains endroits, a plutôt jeté de l’huile sur le feu...  En de nombreux lieux, le conflit s’est depuis éteint. Ailleurs, le feu couve toujours sous les cendres...

En 2013 et 2014, ce sont a priori des dizaines d’enfants qui ont été violés par des soldats de l’opération « Sangaris ». Suite à des révélations dans la presse, les autorités judiciaires ont ouvert une enquête, et trois juges d’instruction ont été nommés en mai 2015. Quinze enfants (des deux sexes) qui se sont dit victimes de viols ou d’attouchements sexuels, parfois contre de l’argent ou de la nourriture, ont été auditionnés.

Les enquêtes visant des militaires français pour des faits commis en opération relèvent uniquement de la compétence d’une formation spécialisée du TGI (tribunal de grande instance) de Paris. Le Tribunal pénal aux armées (TPA), auparavant compétent, a été dissous et ses dossiers transférés en 2011 au TGI de Paris. Or, la procédure (basée sur l’article 689 et suivants du code de procédure pénale) prévoit que seul le procureur de la République peut engager les poursuites. Des victimes individuelles pourront demander des réparations sous forme d’une action civile (article 689-2), en se portant partie civile, mais ne pourront pas engager l’action publique. Autrement dit, elles ne pourront pas déclencher les poursuites.

Juge et partie...

S’agissant d’actes commis en opération extérieure (hors du territoire français), l’enquête est toujours confiée à un organe unique, appelé la gendarmerie prévôtale (GP). Celle-ci semble ici avoir enquêté largement en faveur des militaires mis en cause. Les associations qui avaient soutenu les victimes – « Innocence en danger » et « Enfance et partage » – se sont d’ailleurs révoltées contre la façon dont l’enquête s’est conclue, et ont produit un document de 68 pages pour demander une réouverture de l’enquête. Jusqu’ici en vain...

Les autorités judiciaires prétendent ainsi qu’aucun militaire n’aurait pu être individuellement identifié comme auteur d’actes répréhensibles. Or, un militaire surnommé « Batman » a par exemple été mis en cause parce que six vidéos à caractère pédopornographique ont été trouvées sur son téléphone portable... Mais les enquêteurs ont conclu que « l’intéressé ne correspond pas au profil habituel des pédophiles » !

Par ailleurs, le témoignage d’un enfant a été considéré comme pas crédible, car (comme l’écrivent les enquêteurs) « le militaire en cause, de race blanche au début de l’audition de la GP, devient noir à la fin de l’audition ». Or, le mis en cause a bien été décrit comme un métis d’origine antillaise. L’enfant, rapporte Mediapart, s’était très clairement exprimé, disant qu’il était « à la fois blanc et à la fois noir »... 

La parole des enfants étant discréditée, le scandale peut être étouffé. Et l’armée française peut continuer à œuvrer...

Bertold du Ryon