Publié le Mercredi 9 septembre 2020 à 09h51.

L’extrême droite allemande surfe sur les mobilisations anti-masques

L’extrême droite allemande, au moins une grande partie d’entre elle, jubile : elle a trouvé « son » mouvement social, à l’intérieur duquel elle évolue tel un poisson dans l’eau.

Certes, touTEs les adversaires des mesures anti-coronavirus du gouvernement allemand qui ont manifesté en nombre, notamment le samedi 1er août et le samedi 29 août à Berlin – et qui s’apprêtent à manifester à nouveau le 3 octobre (jour de la fête nationale), à Berlin mais aussi à Constance sur la frontière suisse –, ne sont certainement pas d’extrême droite. Mais touTEs tolèrent l’extrême droite dont la présence dans ces manifestations est très visible, qu’il s’agisse de drapeaux noir-blanc-rouge (la tricolore de l’Empire entre 1871 et 1945, celle de la République étant noir-rouge-or), d’emblèmes de divers mouvements et groupuscules ou encore de slogans faisant référence au « rétablissement de la souveraineté de l’Allemagne » qui aurait disparu depuis 1945.

Anti-intervention étatique

La protestation de rue contre les mesures anti-coronavirus est devenue, au fil des semaines et des mois, un mouvement massif. Il est à noter que plusieurs composantes sont à l’œuvre dans ce mouvement. Un courant assez dominant est économiquement libéral voire libertarien et idéologiquement anti-intervention étatique, souvent proche soit du parti libéral FDP (une des formations de la droite classique) soit du parti AfD (« Alternative pour l’Allemagne »), actuellement le principal parti d’extrême droite, fondé en 2013 et qui a connu des percées importantes depuis. Ce courant refuse aux pouvoirs publics, par principe, le droit d’« entraver la vie économique », avec les restrictions de service et fermetures d’entreprises ou restaurants au plus fort des mesures anti-coronavirus. ­Derrière lui, ce courant entraîne bon nombre de chefs de petites entreprises ou restaurants, artisanEs ou indépendantEs réellement inquiets pour leur existence économique.

Aujourd’hui, le combat est devenu celui contre le port obligatoire – en maints endroits – du masque. Un deuxième courant puissant est de nature religieuse ou para-religieuse (notamment ésotérique ou proche de sectes chrétiennes), où le discours est pacifiste mais foncièrement obscurantiste, se mêlant souvent avec un combat de principe contre les vaccins.

Extrême droite organisée

Un troisième pilier du mouvement est l’extrême droite organisée, dont une partie de l’AfD (parti lui-même divisé sur le sujet, une fraction étant plus prudente dans l’évaluation du risque sanitaire, inexistant voire « mensonger » selon certainEs), mais aussi la mouvance des Reichsbürger ou « Citoyens de l’Empire » – un courant activiste assez puissant qui nie la légalité de la République, seul la continuité juridique de l’État allemand démantelé en 1945 étant légitime –, les partisantEs allemandEs de la secte nord-américaine QAnon et des médias fascisants tels que le mensuel Compact.
Ce dernier, fondé par un journaliste qui a appartenu à l’extrême gauche jusque dans les années 1990, Jürgen Elsässer, publie des vidéos de mobilisations. Autour des dernières manifestations des 1er et 29 août, on y percevait une véritable euphorie, Elsässer prédisant un renversement du gouvernement du même type que celui subi par le régime de la RDA en 1989, tout cela « avec l’aide que Donald Trump et Vladimir Poutine donneront au peuple allemand pour sa libération ». Lui et d’autres prétendront, d’ailleurs, que « 1,3 million de manifestantEs » auraient pris la rue à Berlin, le 1er août, là où la police n’en avait compté que 17 000 (elle parlera de 38 000 pour le 29 août), et annonceront un campement permanent du « mouvement du peuple » dans les rues de Berlin, « nuit et jour », après le 29 août.

Cette occupation n’a finalement pas eu lieu, la police n’ayant eu aucun mal de dégager les quelques tentes qui avaient été plantées. Les mouvances d’extrême droite auront, cependant, eu droit aux images spectaculaires qu’elles recherchaient, en prenant d’assaut, drapeaux du Reich à la main, l’escalier du Parlement, alors gardé par seulement trois policiers. Leur assaut – déclenché par une fausse information (une oratrice prétendait au microphone que « Donald Trump est à l’intérieur du bâtiment et nous attend, il faut lui montrer que nous sommes là ») – a été vite repoussé, gaz lacrymogène aidant, mais puisqu’une partie de la presse a vite parlé de manière exagérée d’un « essai de prise du Parlement », une partie de l’opinion publique a été amenée à croire qu’il y avait là une véritable tentative de putsch. Les éléments les plus extravagants en sortent véritablement grisés, les autres tenteront de tirer profit du succès numérique de la mobilisation.