Publié le Mardi 21 avril 2020 à 15h05.

L’instrumentalisation politique de la crise du covid-19 en Egypte

Alors que l’opposition est accusée d’instrumentaliser la crise du covid-19, les faits révèlent que c’est bien le régime militaire qui exploite la crise pour atteindre ses objectifs et redorer son image de marque. En voici quelques exemples : quand l’utilisation politique de la crise est le fait du système, ou que, dans certains cas, il y a même une création d’une crise dans la crise, dont la résolution est utilisée à son tour à des fins de propagande.

Suspension de l’enseignement

Bien que le premier cas de covid-19 remonte au 14 février, la décision de suspendre l’enseignement est intervenue au bout de quatre semaines, avec sept cas d’élèves contaminés dans les écoles. D’aucuns ont appelé à la suspension de l’enseignement par crainte pour les élèves, mais ils se sont heurtés aux déclarations du gouvernement en la personne du ministre de l’Éducation, qui mettait l’accent sur les disparités sociales à l’intérieur des écoles, sans pour autant arrêter l’enseignement ! Sans parler de sa déclaration selon laquelle les écoles ne sont « pas des lieux de rassemblement », de sorte que la décision d’Abdel Fattah Sissi de suspendre l’enseignement le 15 mars n’a fait que révéler au grand jour la naïveté du gouvernement et du ministre.

Aides à l’Italie

En dépit d’une pénurie majeure de désinfectants, de stérilisateurs, de gants et de masques en Égypte, au niveau des hôpitaux, des pharmacies et des marchés, le régime égyptien a envoyé une aide médicale par avions militaires en Italie les 24 mars et 5 avril. D’aucuns lient cette aide aux efforts de l’État égyptien pour améliorer son image de marque en Italie, ternie suite à l’affaire du meurtre de Regeni 1, ainsi que pour soutenir les intérêts communs entre les gouvernement égyptien et italien en Méditerranée

La mort de deux généraux atteints par le covid-19

Un communiqué des forces armées « Le martyre du général de brigade Khaled Shaltout et du général de brigade Shafie Abdelhalim », membres de l’Autorité du génie des forces armées les 22 et 23 mars, faisait état de leur contamination par le virus covid-19 alors qu’ils participaient à la désinfection et aux efforts pour contenir le virus dans le pays ! Des fuites indiquent qu’ils ont été infectés dès le 11 mars, alors qu’il n’y avait pas de désinfection à ce moment-là et que les brigades ne font pas le travail elles-mêmes.

Il a également été avéré qu’ils avaient été contaminés alors qu’ils poursuivaient leur travail dans la nouvelle capitale administrative, et effectivement le 19 mars, des sources de l’Arab Contractors Company ont révélé que tous les chantiers confiées à l’entreprise dans la nouvelle capitale administrative ont été suspendus, après la découverte de vingt cas confirmés de contamination par le covid-19 virus de travailleurs du projet « Les fleurs », relevant des officiers de la septième région des Forces Armées.

Un fonds de 100 milliards de livres pour faire face à covid-19

Le président Abdel Fattah Sissi a annoncé les 14 et 22 mars, un fonds de 100 milliards de livres pour faire face au virus covid-19, sous les applaudissements des médias, pour qu’on apprenne ensuite que la directive du Premier ministre ne se montait qu’à un milliard pour la santé. Après quoi le ministre des Finances a annoncé que le budget alloué à la santé était 188 millions de livres seulement, et que le reste avait été alloué au soutien d’entreprises. En effet, il a été alloué jusqu’à maintenant 20 milliards en soutien à la bourse et 50 milliards pour venir en aide au secteur du tourisme.

L’augmentation de l’indemnité des professions médicales

La décision de Sissi d’augmenter l’indemnité des professions médicales de 75% a choqué les médecins car cette augmentation n’a pas dépassé 400 livres, soit 25 dollars, un montant insignifiant, alors qu’il existe une décision de justice remontant à 2015 d’augmenter l’indemnité de contamination des médecins de 1 000 livres. Le gouvernement refuse de l’appliquer - le ministère de la Santé lui-même a fait appel de la décision - et un médecin ne perçoit toujours que 19 livres au titre de l’indemnité de contamination. L’indemnité pour les professionnels de la santé a été initialement approuvée en 2014, au terme d’une lutte notoire des médecins et d’une grève de soixante jours de tous les agents de santé. Les médias qui se sont félicités de la mesure n’ont été que la brosse à reluire du système face à l’opinion, en dépit de l’insatisfaction des médecins.

L’augmentation de médecins

C’est une loi de septembre 2019 qui a permis d’augmenter à 2 200 livres les médecins ayant fait leur spécialité durant leur internat, moyennant une contrepartie les obligeant à travailler deux ans au lieu d’un, afin de faire face à la grave pénurie de médecins. Sissi l’a pourtant annoncée à nouveau le 3 avril 2020. Il n’y a aucune explication à cela, sinon que le timing choisi se révèle être une tentative d’utilisation politique de la décision de justice.

Le fonds « Vive l’Egypte » alloué à la quarantaine sanitaire

Le Président Abdel Fattah Sissi a décidé le 1er avril d’allouer le fonds « Vive l’Égypte » à la prise en charge des frais de quarantaine des Égyptiens revenus de l’étranger avant le 31 mars, après que des dizaines d’Égyptiens rentrés du Koweït aient manifesté leur refus de payer les frais de la quarantaine sanitaire s’élevant à 28 000 livres par personne à l’hôtel de l’aéroport. Bien que la décision ne concerne que ces derniers, et que ceux qui sont rentrés ultérieurement soient tenus de signer un engagement à supporter l’intégralité des coûts de la quarantaine, comme condition pour monter dans un avion à destination de l’Égypte, dont le coût du voyage de retour est également à leur charge aussi. Les médias ont salué la décision et en ont délibérément passé sous silence le caractère limité, tout comme l’éligibilité de tous les rapatriés à une quarantaine gratuite comme c’est le cas dans les autres pays.

Une « décision républicaine » de procéder à un examen médical des personnes en contact avec l’Institut d’oncologie

A la suite de la découverte de dix-sept cas de contamination au sein des médecins et du personnel infirmier de l’Institut égyptien du cancer, et en dépit de la nécessité impérieuse de faire procéder à des examens aux personnes en contact avec l’équipe médicale, le personnel de l’Institut et les patients, le ministère de la Santé y a apposé son refus, déclenchant une crise majeure. Après quoi Abdel Fattah Sissi a ordonné au gouvernement de faire procéder à un examen médical de tous les employés de l’Institut du cancer, des médecins et du personnel soignant, ainsi que de tous les patients qui ont fréquenté l’Institut au cours des deux dernières semaines, comme si une décision aussi évidente nécessitait l’intervention du président de la République en personne.

Et il y aurait bien d’autres exemples d’instrumentalisation politique de la crise du Corona destinée à redorer le blason du régime militaire au pouvoir, à l’intérieur ou à l’étranger, que celles que nous venons de citer, consistant en des décisions telles que la suspension des études pour mieux la faire annoncer par le chef de l'État, et parfois en créant un problème de toutes pièces pour permettre au chef de l’État de le résoudre, telles les questions de la quarantaine et de l’Institut d'oncologie, et parfois en annonçant à nouveau des décisions prises antérieurement, comme celle relative à la rétribution des médecins ayant fait leur spécialité durant leur internat.

Source : https://revsoc.me/politics/42282/Traduction de l’arabe : Luiza Toscane