Publié le Jeudi 17 septembre 2020 à 12h30.

Malgré les catastrophes et les crimes, le gouvernement Bolsonaro continue

Le gouvernement Bolsonaro est une grande catastrophe et une menace dangereuse : inefficacité face à la pandémie de Covid-19, relations internationales désastreuse, ligne anti-environnementale délibérée, agressions contre les institutions démocratiques, même limitées, contre les droits humains et les acquis (précaires) de la civilisation. Sa politique à l’égard des peuples indigènes présente un caractère génocidaire. Avant même la pandémie, sa politique économique a échoué.

 

Le Brésil est le deuxième pays dans le monde en nombre de cas de Covid-19 et de morts, derrière seulement les États-Unis, avec plus de 125 000 décès. Le tableau pourrait être encore pire mais Bolsonaro a été empêché, par des décisions judiciaires, d’imposer sa ligne.

Le gouvernement est criminel, même d’un point de vue strictement juridique. Plusieurs des actions de Bolsonaro sont des crimes, et sa famille a des liens étroits (et bien connus) avec le crime organisé « ordinaire » dans le pays, en particulier avec les soi-disant « milices » de l’État de Rio de Janeiro.

La démission de Bolsonaro du gouvernement est donc un besoin urgent. Jusqu’à juin, les choses semblaient se diriger vers le renversement de Bolsonaro. Mais la situation a changé.

 

Jusqu’à juin : une confrontation que Bolsonaro perdait

Selon les sondages, le rejet de Bolsonaro augmentait, surtout après le début de la pandémie, bien qu’il eût encore le soutien d’environ un tiers de la population. Le projet de créer un nouveau parti, entièrement dirigé par la famille Bolsonaro et par ses alliés les plus fidèles, « Alliance pour le Brésil », avait échoué.

Jusqu’à juin, les menaces récurrentes contre les droits démocratiques et humains étaient aggravées par le pari de Bolsonaro d’affronter le Congrès et la Cour suprême, ainsi que des gouverneurs d’État et des maires, irrité qu’il était à la fois par son incapacité à imposer ses politiques et par les différentes investigations criminelless qui le menacent (pour des crimes commis par ses partisans, voire par des groupes armés, et par ses fils, tels que la diffusion de fake news et des menaces contre les autorités ).

Des militants bolsonaristes organisaient des manifestations chaque semaine, principalement dans la capitale du pays, Brasilia, pour attaquer (et parfois menacer directement) la Cour suprême et le Congrès, ainsi que la presse et d’autres institutions, et plusieurs fois Bolsonaro y était présent (ce qui était déjà une raison juridique suffisante pour sa destitution de la présidence). Les manifestations n’étaient pas importantes, à cause de la pandémie, mais elles comptaient tout de même beaucoup plus de monde que les manifestations bolsonaristes.

Selon un reportage (non démenti par Bolsonaro) du magazine Piauí, le point culminant de l’agressivité de Bolsonaro est survenu le 22 mai, lorsqu’il a décidé d’intervenir contre la Cour suprême pour remplacer ses juges, dans le but de « rétablir l’autorité du président ». Selon le magazine, ce plan n’a pas été mis en œuvre parce que les propres ministres militaires de Bolsonaro l’ont convaincu qu’il n’était pas viable.

Tout indiquait que la poursuite de cette ligne de confrontation suivie jusque-là par Bolsonaro finirait par provoquer sa démission.

Mais Bolsonaro a commencé à changer de ligne. Il a abandonné un drapeau de la campagne électorale, celui de la lutte contre la corruption, ce qui lui a permis de commencer à former une base de soutien au Congrès avec le groupe de députés de droite appelé centrão, les députés les plus corrompus, qui vendent littéralement leur soutien, et qui avaient été fortement attaqués par Bolsonaro pendant la campagne.

Changement du 18 juin

Le 18 juin, un ami proche (et complice) de Bolsonaro, Fabrício Queiroz, a été arrêté. Il est accusé de corruption (en association avec l’un des fils de Bolsonaro, Flávio, et vraisemblablement avec Bolsonaro lui-même et son épouse, Michelle).

Bolsonaro a compris qu’il court le risque d’être directement impliqué dans les enquêtes, puis condamné. Depuis ce jour, il a cessé de participer aux manifestations contre la Cour suprême et le Congrès – et bientôt les bolsonaristes ont cessé de les organiser. L’implication politique de ses fils (qui font partie de l’aile la plus à droite de ses partisans) a été considérablement réduite.

Au Brésil, c’est le président de la Chambre des députés qui décide de l’ouverture des procès de destitution du président de la République. L’actuel président, Rodrigo Maia, même après avoir reçu plus de cinquante demandes d’entamer ce processus, n’a pas donné suite. Début août, dans une interview télévisée, il s’est finalement prononcé contre. Il a déclaré qu’il ne trouve pas que Bolsonaro ait commis un crime qui puisse justifier sa destitution.

Ce que la déclaration de Maia signifie, c’est que la majeure partie de la « classe politique » brésilienne, reflétant la position prédominante de la bourgeoisie, a choisi de maintenir Bolsonaro au pouvoir. Cela peut s’expliquer par l’idée (plus que douteuse) qu’il peut être « contrôlé », ou simplement par le fait que cette classe ne s’indigne pas des aspects les plus antidémocratiques et génocidaires du gouvernement. De plus, même si Bolsonaro n’a pas encore été capable d’offrir la plupart des mesures impopulaires que la bourgeoisie attend de lui, elle espère qu’il pourra encore être utile.

De même, les grands médias brésiliens ont relativisé leur position critique à l’égard de Bolsonaro, même s’ils la conservent.

 

L’impact de l’« aide d’urgence » et la réorientation du gouvernement

Le 14 août, d’après un sondage, l’approbation du gouvernement est passée de 32% à 37%, et le rejet de 44% à 34% par rapport au précédent sondage (juin). La tendance à la dégradation progressive de la popularité du gouvernement s’est inversée. C’est parmi les électeurs les plus pauvres, et dans le nord-est du pays (jusqu’à présent, la plus grande base de soutien à Lula), que l’hostilité au gouvernement a le plus baissé.

Le changement le plus surprenant est peut-être que 47% des personnes consultées estiment que Bolsonaro n’est pas coupable des décès causés par la pandémie. 41% estiment qu’il a une certaine responsabilité, et seulement 11% qu’il est le principal coupable.

Il n’est pas difficile de déduire que la principale raison de ce changement favorable au gouvernement a été la réception par une grande partie de la population, depuis le mois d’avril, d’une « aide d’urgence » pour compenser la contraction de l’économie due à la pandémie.

Le gouvernement avait proposé une aide de 200 réaux. Le Congrès, cependant, l’a forcé à augmenter cette aide à 600 réaux (un peu moins de 100 euros au taux de change actuel) ou, dans quelques cas, à 1200.

L’impact économique de cette mesure a été énorme, beaucoup plus important que prévu. Elle a bénéficié à plus de 65 millions de personnes (sur une population de 210 millions). Avec cela, les revenus de la partie la plus pauvre de la population brésilienne ont augmenté pendant la pandémie, malgré la très grave crise économique (au deuxième trimestre, le PIB a chuté de 9,7%). Dans le Nord-Est, la région la plus pauvre du pays, le revenu moyen a augmenté de 26% ; dans le Nord, il a augmenté de 24%. Même dans la région la plus riche du pays, le Sud-Est, il a augmenté de 8%.

La part de la population salariée avec des droits du travail reconnus est inférieure à 38 millions de personnes – un peu plus de la moitié du nombre de ceux qui reçoivent l’aide d’urgence.

Autre comparaison très pertinente : le programme « Bourse Famille », responsable d’une grande partie du soutien électoral que Lula avait dans son gouvernement, atteint actuellement un peu plus de 14 millions de familles, qui reçoivent du programme en moyenne moins de 200 réaux par mois. Donc, l’aide d’urgence atteint beaucoup plus de gens, avec des valeurs beaucoup plus élevées. Les comptes exacts ne sont pas connus, mais le coût mensuel de l’aide d’urgence est environ vingt fois celui de la Bourse Famille.

Bolsonaro bénéficie d’un programme social qu’il n’avait pas proposé ; sa défaite lui a profité. De même, le fait que sa ligne d’action face à la pandémie ait été interdite par le pouvoirs judiciaire et législatif lui permet de dire plus facilement que « la responsabilité dans la pandémie appartient aux gouverneurs et aux maires ». Le plus grand revers et la plus grande menace qu’il ait subie jusqu’à présent – l’arrestation de Queiroz l’a amené à changer (partiellement) son comportement devant les principales institutions de l’État brésilien, ce qui a permis à la bourgeoisie de collaborer à nouveau avec lui.

 

Bolsonaro « de gauche » ?

Jusqu’à récemment, Bolsonaro critiquait les programmes sociaux institués par les gouvernements du PT. Il a changé radicalement de position, et s’occupe actuellement, dans certains cas, d’élargir ces programmes, en changeant leur nom pour leur imprimer sa marque. Le programme de logement, qui s’appelait « Ma maison, ma vie », a connu quelques changements et est appelé maintenant « Maison verte et jaune » (ce sont les couleurs du drapeau brésilien). Le programme Bourse Famille devra être élargi et s’appellera « Renda Brasil ». L’aide d’urgence pendant la pandémie a été prolongée jusqu’à la fin de 2020, bien qu’au cours des quatre derniers mois de l’année les montants versés soient réduits de moitié.

L’alliance de Bolsonaro avec l’ultralibéral Paulo Guedes (ministre de l’Économie) n’a jamais été fondée sur la conviction ; elle a toujours été pratique. Maintenant, cependant, il commence à entrer en conflit avec son ministre et les secteurs de la bourgeoisie qu’il représente. Ils ont commencé à formuler des caractérisations complètement absurdes : le site d’information pour entreprises Bloomberg a publié un article qui dit que « le “gauchisme intérieur” de Bolsonaro a refait surface », ce qui a été repris dans la presse brésilienne. Le journal Folha de Sao Paulo a publié un éditorial dégueulasse sous le titre « Jair Rousseff », associant Jair Bolsonaro à la présidente déposée.

Il est évident que Bolsonaro n’est pas du tout devenu « de gauche » ; les politiques d’assistance sociale ne sont pas « de gauche », même si elles sont élargies. Dans les gouvernements du PT, d’ailleurs, ces politiques ont couté très peu au budget et ont été saluées par la Banque mondiale et d’autres institutions similaires.

L’« aide d’urgence » coûte beaucoup plus, et n’a été soutenue par la classe dirigeante que dans le contexte de la pandémie. Dans la période post-pandémique, la bourgeoisie fera pression pour la reprise de l’austérité entièrement orthodoxe qui était la promesse du ministre Guedes ; et Bolsonaro, qui est passé d’adversaire à enthousiaste pour les politiques de protection sociale, a déjà commencé à s’opposer à Guedes, dont l’avenir au gouvernement est devenu incertain.

 

Perspectives

Bolsonaro s’est renforcé, bien qu’il continue de faire face à plusieurs risques très importants – en particulier les différentes enquêtes sur lui et ses proches.  Les soutiens récents qu’il a recueillis (comme celui du « centrão ») ne sont pas fermes, et la tolérance bienveillante de la plupart des bourgeois avec lui n’est pas sûre non plus. En outre, certains des responsables de sa victoire électorale, comme l’ancien juge Sergio Moro, sont devenus ses ennemis.

Bien que le rejet du gouvernement dans la population ait diminué, une grande partie de la société maintient une position ferme d’opposition ; même dans les conditions de la pandémie, il y a eu des mobilisations contre le gouvernement, et il y en a toujours.

La position de Bolsonaro, en revanche, n’est pas seulement favorisée par la tolérance de la bourgeoisie et la complicité des partis de droite. Elle profite également des faiblesses de l’opposition, qui collabore avec le gouvernement sur des questions fondamentales. Les gouverneurs du PT et du PC do Brasil, par exemple, ont imposé aux États qu’ils gouvernent des « réformes de la sécurité sociale » similaires à celle approuvée au niveau fédéral, et ont réprimé les mouvements d’opposition.

Le défi de renforcer une opposition plus cohérente reste ouvert, de la part des mouvements populaires et par les partis qui sont à gauche du PT et qui défendent une ligne d’indépendance de classe.