Publié le Samedi 16 mai 2020 à 08h34.

Portugal : Le nouvel ordre sanitaire et la surveillance de la vie collective

Publié par Publico.ptAinsi, nous vivons une citoyenneté purement symbolique, protégée par la police et la Direction générale de la santé, qui ont désormais le monopole de l’espace public.

1. La déclaration de catastrophe ne suspend pas, et encore moins ne supprime, les droits du travail, sociaux et politiques. Ces droits n’ont pas non plus nui à la lutte contre la Covid-19. Ils auraient pu nuire à la propagation de la pandémie de peur, dans laquelle les principaux dirigeants politiques se sont engagés, entraînant, avec peu de réflexion, 1,3 million de travailleurs dans le layoff1, 170 000 indépendants dans la pénurie et 55 000 à la soupe des pauvres.

L’environnement dans lequel nous vivons depuis le 3 mai est manifestement inconstitutionnel, car il entend suspendre des droits fondamentaux par une décision unilatérale du gouvernement. En effet, l’état de catastrophe repose sur une loi ordinaire de l’Assemblée de la République (loi no 27/2006) qui ne permet de limiter l’exercice de ces droits que de manière temporaire déterminée et uniquement dans des zones clairement définies du territoire national (Article 21, paragraphe 1, alinéa b de la loi susmentionnée).

Mais une grande partie des Portugais, résignés, déprimés par la campagne de promotion de la peur à laquelle ils ont été soumis, semblent vouloir accepter en silence la limitation administrative de leurs droits. Ainsi, nous vivons une citoyenneté purement symbolique, protégée par la police et la Direction générale de la santé, qui ont désormais le monopole de l’espace public. On ressent donc l’oppression d’une sorte de religion de confinement, qui nous pousse en troupeau vers la névrose collective. La rhétorique fascisante qui la sert a permis à Antonio Costa de se faire l’interprète d’un certain intérêt supérieur, «quoi que dise la Constitution», et à un commandant de la Garde Nationale Républicaine (GNR) de nous rappeler «le devoir de chacun d’être son propre policier».

Et, bien que les scientifiques mainstream en soient arrivés à la conclusion que pratiquement toute la contamination est survenue dans des espaces fermés (domiciles, maisons de retraite et établissements de santé), un renforcement des opérations continues de la Police de Sécurité Publique (PSP), de la GNR et de la Police maritime est en cours de préparation, faisant appel aux « marins et artilleurs » (dixit le ministre de l’Environnement) pour contrôler ces grèves dangereuses. Les mesures à l’étude, précise la presse, incluent barrières, tourniquets, détecteurs, drones, surveillance privée, marques à même le sable pour planter les parasols et des cordes pour délimiter la séparation entre baigneurs. Il ne manque plus qu’un cadre permettant de former les chinchards à surveiller la distance dans l’eau.

Au salut passant par le grand enfermement et la dictature sanitaire, s’oppose une rationalité réfléchie pour combattre le virus, coexistant avec lui à travers l’immunité acquise. Il s’agit d’une dichotomie entre un risque d’infection probablement faible, et une mort lente mais certaine, due à une catastrophe économique, psychologique et sociale sans précédent.

2. Les maisons des professeurs et celles des élèves ont cédé leur caractère privé à une certaine logique totalitaire que le fétichisme de l’enseignement à distance a imposée. Le bien mal nommé enseignement à distance a envahi la vie privée et familiale des enseignants, mélangeant dangereusement vie professionnelle et personnelle. Sans résistance, enivrée par cette étrange union nationale contre la Covid-19, une partie importante des enseignants s’est enrôlée dans des journées de travail sans limites et s’est mise à disposition pour travailler à tout moment, répondant à toutes les demandes. Il est prudent de réfléchir à ce qui se passe et de faire la part des choses.

Les technologues et les technocrates ne comprennent pas que l’interaction pédagogique nécessite la présence. Les enseignants et les élèves eux, le savent et le ressentent.

Une chose est une méthodologie solide, cohérente et techniquement complexe d’enseignement à distance (principalement destinée aux populations adultes et définitivement interdite dans certains domaines thématiques), une autre est une solution improvisée et précaire (pour divertir les enfants et les jeunes hors de l’école). Ne pas discerner la différence entre ces concepts pourrait conduire à s’enthousiasmer pour «normaliser» à l’avenir, ce qui est purement instrumental, pauvre et casuistique.

Il m’est pénible de constater qu’il est si facilement accepté d’échanger des relations personnelles contre des relations numériques, admettant que le professionnalisme enseignant puisse se passer de contact social et d’empathie humaine. Comme si un collectif de personnes pouvait être remplacé par un collectif d’ordinateurs, sans perdre en humanité. Les technologues et les technocrates ne comprennent pas que l’interaction pédagogique nécessite la présence. Les enseignants et les élèves eux, le savent et le ressentent. Maintenant, plus que jamais, ils ont intériorisé qu’une classe joue de multiples rôles sociaux, qu’aucune machine ne peut remplacer.

Traduction Luiza Toscane

  • 1. Les travailleurs ont droit aux deux tiers de leur rémunération brute normale, le montant étant financé à 70% par la Sécurité sociale et à 30% par l'entreprise (NDLT).