Publié le Vendredi 24 juin 2011 à 12h49.

"A deux, c’est mieux" (Libération du 23 juin)

Myriam Martin & Christine Poupin. Enseignante et technicienne, ces deux militantes remplacent le facteur comme porte-parole du NPA.

«Il fallait deux femmes pour faire un homme.» La réflexion commence à les gonfler sévère… Depuis début avril, Myriam Martin, 43 ans, et Christine Poupin, 53 ans, remplacent Olivier Besancenot, 37 ans, qui occupait seul, depuis une décennie, le poste de porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), devenue en 2008 Nouveau parti anticapitaliste (NPA). Cette blague, même lancée sous forme de boutade, «on nous l’a fait je ne sais combien de fois», fait mine de sourire, quoiqu’agacée, la plus jeune des nouvelles figures de la formation d’extrême gauche. «Le sexisme se fait souvent sur le ton de la boutade…», grince sa camarade. Mais s’il ne faut pas deux femmes pour faire un homme, il fallait bien deux militant(e)s, quel que soit leur sexe, pour faire un Besancenot. Surdoué politique, le facteur a tué le job. Double candidat à la présidentielle, lassé de la personnalisation autour de sa pomme, il a fini par réussir à refiler le mégaphone. Sans l’avoir souhaité, Martin et Poupin en ont hérité. Le NPA avait annoncé la parité : faute de mec qui fasse l’affaire, on a choisi une deuxième nana. «Autant deux hommes ça nous aurait choqués. Autant deux femmes non», dit Martin.

On a rencontré les deux femmes séparément. Pour Martin, c’était un mardi, dans une brasserie de la place Daumesnil dans le XIIe arrondissement de Paris, à quelques centaines de mètres d’un des locaux du NPA. Elle commande un suprême de poulet au curry. Cheveux noirs attachés par une barrette, yeux verts, veste en jean, collants blancs et minijupe noire, Myriam Martin est d’abord mal à l’aise, se grattant régulièrement en bas du cou et fuyant le regard avant de sourire, plus détendue. Avec Christine Poupin, c’était un lundi, dans un café place de la Nation. Chemisier orange, pommettes saillantes qui laissent échapper de jolies rides de cinquantenaire. «Non-professionnelle de la politique» revendiquée, elle se méfie, comme sa camarade, de l’exercice proposé.

Au moins, le NPA n’aura pas fait de la parité un simple prétexte. Les nouvelles porte-voix ont un brevet d’anticapitalistes confirmées. Issue d’une famille d’ouvriers de l’Aude dans le textile, d’un grand-père antifranquiste réfugié en France, Myriam Martin est professeure de lettres et d’histoire-géographie dans un lycée professionnel de Toulouse. Elle a fait ses classes en 1986, en pleines manifestations étudiantes contre la loi Devaquet, chez les Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR), à la faculté du Mirail. Mis à part une parenthèse entre 1997 et 2000 pour désaccords avec la ligne du parti, elle a toujours milité à la LCR, pour finir tête de liste dans sa région à chaque élection.

Trajectoire similaire pour Christine Poupin. D’une famille de gauche vendéenne avec des parents gérants d’un petit commerce, elle rejoint le petit groupe d’extrême gauche «Révolution», à son entrée à la fac de Nantes, avant de prendre sa carte à la Ligue en 1981. Elle déménage ensuite sur Rouen, travaille comme technicienne dans une boîte d’informatique industrielle, et finit, comme Martin en Midi-Pyrénées, chef de file LCR-NPA en Normandie où elle a été un temps élue conseillère municipale d’opposition dans sa ville de Sotteville-lès-Rouen.

Particularité : l’une et l’autre sont les seules têtes d’affiche d’un parti français à vivre et travailler loin de la région parisienne. Elles se voient tous les lundis sur la capitale. «On se répartit les tâches dans le temps et la géographie», explique Poupin. Points communs familiaux : elles ont toutes les deux un fils de 16 ans, un mari rencontré à la Ligue et se sont mariées «pour les impôts». Points communs politiques : les deux dames sont bien rouges. Toutes deux syndicalistes. On leur renvoie un SMS pour être sûr qu’elles sont bien à la CGT ? Elles répondent en même temps : «Oui.» Toutes deux ont aussi été marquées par le tournant de la rigueur de Mitterrand en 1983 après avoir voté pour lui, péché originel pour des anticapitalistes hérissées par toute rose tendue. «On n’a pas compris que c’était la fin de quelque chose», dit Poupin. Au sein de la LCR, toutes deux ont été membres de la minorité «R», la même que Besancenot. La plus rude. Elles s’y rencontrent en 1994. «On les a bien écrabouillées. Elles étaient un peu trop à gauche…», rigole Frédéric Borras, autre Toulousain qui appartient à la direction du NPA. C’est lui qui recrute la jeune Martin et sa sœur jumelle à leur arrivée sur le campus. «La militante que j’ai connue à la fac avait une vraie sensibilité sur les combats de terrain, dit d’elle la communiste Marie-Pierre Vieu, ancienne leader de l’Unef à Toulouse et aujourd’hui conseillère régionale Midi-Pyrénées. C’est une fille honnête. Elle cogne. Elle a un côté suffragette, un peu psychorigide, mais c’est une fille bien.» Quant à Poupin, «c’est une militante sincère, bosseuse», poursuit Borras.

Discret sur ses deux remplaçantes, Besancenot dit juste qu’elles sont «d’excellentes porte-parole» et qu’il a «promis à l’une et à l’autre d’être autant que possible leur délégué du personnel dans le parti». On n’en saura pas plus… La stature acquise par le facteur colle aux basques des deux femmes. «On souffre forcément de la comparaison, dit Martin. Mais ce n’est pas un modèle. Je ne peux pas parler comme Olivier. Je ne sais pas faire.»«Je n’ai pas l’impression de succéder à Besancenot. Sa place dépasse le rôle de porte-parole», complète Poupin. Le deal entre elles et lui devait être : «Ok pour prendre la suite mais tu y retournes en 2012.» Pour faire avancer un NPA bloqué, il les a laissées en plan, risquant de tout faire exploser. La candidature à la présidentielle ? Martin ? En traînant les pieds, elle aurait accepté le challenge mais fait aujourd’hui partie de la minorité du parti. Pourtant, «elle est d’une génération qui incarne plus le renouvellement que Christine, elle est plus en capacité d’aller dans les médias, les meetings», vante Frédéric Borras. Poupin ? Très peu pour elle… «J’aimerais bien qu’on trouve encore quelqu’un d’autre», dit-elle. Du coup, ce pourrait être… un homme. Philippe Poutou, 44 ans et ouvrier dans l’automobile. Le choix doit être entériné ce week-end.

L’équilibre compliqué trouvé avec Martin et Poupin illustre les difficultés de naissance du NPA. Sur le foulard, elles sont d’avis opposés. Martin juge le symbole contraire à ce que défend son parti. Poupin pense que seule la représentation aux élections d’une candidate portant un bout de tissu pose problème. Sur la stratégie, c’est l’inverse… Poupin estime que discuter avec le PCF et Mélenchon est une perte de temps. Martin craint, elle, un NPA «replié» sur ses éléments les plus révolutionnaires. Si les deux femmes réussissent à éviter la comparaison avec Besancenot, elles ne couperont pas aux dissonances de leur porte-voix.

Lilian Alemagna