Publié le Samedi 24 décembre 2011 à 08h55.

L’anticandidat (Libération du 23 décembre)

Portrait de Philippe Poutou. Dénué du charisme d’Olivier Besancenot ? Soit. Le représentant du NPA à la présidentielle se veut avant tout ouvrier.

 

Il gigote sur son siège, secoué par un petit rire nerveux. Les vannes fusent sur le plateau télé. Trop vite. Le sucré de son patronyme, son manque de niaque, un CV sans diplôme, les sondages sous 1%, tout y passe. Il y a cette chroniqueuse qui «[le] regarde comme au zoo», Michel Onfray qui «joue le prof de fac», et lui, Philippe Poutou, qui assiste à son premier passage chez Ruquier en «spectateur», obnubilé par l’idée de «ne pas gaspiller un petit espace» sur France 2, pour y caser des bribes de message anticapitaliste.

Et pourtant «vous savez, c’est confortable la télé !». On a perçu une trouille bleue chez le candidat NPA à la présidentielle et voilà qu’il oppose le cinglant de la vraie vie au moelleux du fauteuil. «En réunion avec le patron, quand il s’agit de sauver son boulot, ça, c’est violent. Là, qu’est-ce que je risque à part qu’on rigole ?» C’est asséné gentiment, logiquement. Pas mordant pour un sou, Poutou, ouvrier avant d’être candidat, dopé aux luttes sociales plus qu’aux campagnes électorales et convaincu que la contradiction s’assume.

On lui oppose jusqu’à plus soif le charisme d’Olivier Besancenot, son encombrant prédécesseur quand lui stresse en public ? Tant pis. Qu’y peut-il, Poutou ? Il veut bien faire le job mais ne se changera pas. Pas pour ça. «Il faudrait qu’on ressemble plus à un candidat qu’à un salarié. Je représenterai nos idées du mieux que je peux mais sans m’en faire une montagne, ni jouer les héros.» Il jure un peu au milieu des killers, professionnels de la politique qui parlent haut, rêvent depuis leurs culottes courtes de l’élection suprême et ne voient l’usine qu’éclairée par le projecteur de la visite officielle. Et si c’était sa carte ?

On rencontre Poutou au local NPA de Bordeaux, dans le carré de chaises disposées pour les réunions du soir, cafetière qui hoquette en fond sonore. Pas dans son appartement, interdit à la presse par «décision collective» prise avec sa compagne institutrice rencontrée au NPA. Collées aux murs, des affiches avec sa photo et le slogan «On ne paiera pas leur dette !». Lui, en jean, barbe de trois jours, légèrement dégarni, peste contre «l’idée loufoque de tout centrer sur un bonhomme».

Mais, fini de se défiler. En octobre, Poutou a négocié de passer à temps partiel : trois jours par semaine sur la maintenance des machines fabriquant les boîtes de vitesse, chez Ford, à Blanquefort (Gironde), et deux pour la campagne. Il s’étonne encore de ce nouveau statut : «Les patrons, ils sont très "hiérarchie sociale." Un candidat, pour eux, c’est un personnage. Même s’ils ne partagent pas du tout ses idées, ça les impressionne.»

Le «titre» lui est tombé dessus en juin, quand, après deux présidentielles, Besancenot en a eu «ras-le-mégaphone». A l’usine et dans sa section NPA, on murmure à Poutou : «Et si tu étais le prochain ?» Le parti caste dans ses rangs. Ouvrier de l’automobile à 1 750 euros par mois, pas membre de la direction, Poutou est en lice avec trois autres, dont les deux porte-parole féminines. Le NPA, qui bringuebale entre la majorité excluant de s’allier au reste de la gauche radicale et une aile ouverte à des discussions, doit trancher. Alors, Habemus Poutoum !

Dans la minorité, les reproches pleuvent sur les motifs de sa désignation. «La direction a fait un habillage social et ouvriériste de sa candidature mais personne n’est dupe, lâche un représentant. Et Besancenot, lui, n’a pas poussé dans un chou-fleur. Il était connu du parti, avait une légitimité.»

L’intéressé avoue volontiers que le job contrarie son tempérament «réservé». «On se sentirait mieux au milieu d’une foule mais parfois dans la vie, c’est l’inverse qui se passe, faut assumer.» C’est la deuxième fois qu’on lui fait le coup.

Embauché chez Ford en 1999 après des années d’intérim et de petits boulots, il s’inscrit à la CGT. Vers 2007, la menace d’une fermeture du site plane.«on se banane» «un truc s’enclenche» Grève, manif, Poutou monte en première ligne. Parce qu’il en fallait un. «Il n’y avait personne pour parler aux caméras, les copains m’ont poussé.» Il raconte combien ça use et ça stimule à la fois, quatre ans d’actions, d’invasion du Salon de l’auto, de tracts, de bras de fer avec «le patron» pour sauver l’usine.

Philippe Poutou dit «le patron», «les copains», «les politiciens» et «c’te crise». La crise qui produit un cheptel d’assommés plutôt qu’un bataillon d’indignés. «Les gens n’ont pas le moral. Ils ne croient pas qu’on peut changer les choses. Les élections, les gens s’en foutent, sauf peut-être la présidentielle.»

Dans la famille, on a cru, déjà, à un scrutin qui changerait la vie. Philippe Poutou revoit son père «mitterrandiste à fond, levant les bras comme si Bordeaux avait marqué un but», le 10 mai 1981. Son père est postier, comme son frère et ses deux sœurs. Sa mère a arrêté de travailler à la naissance des enfants. De la Seine-Saint-Denis où Poutou est né, la famille redescend, au gré d’une mutation, en Gironde où sont ses racines.

Dans sa chambre d’ado, il punaise Allende et Amnesty International. Avec deux potes, il s’affiche «anti» (apartheid, militariste), «écolo et très droits de l’homme». Et anar, «sans savoir trop ce que ça voulait dire mais ça nous plaisait de le dire». Le trio de 16-17 ans se lie à des militants de Lutte ouvrière (LO) qui lui racontent l’histoire des idées et du mouvement ouvrier«colle à [son] idéal». A l’époque, il a les cheveux longs, écoute Touré Kunda, Renaud, Cabrel. Puis, il est viré de LO, en 1996, avec un petit groupe bordelais s’obstinant à croire à l’émergence d’un parti large. En 2000, ils toquent chez d’autres trotskistes, à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR).

Aux portes des entreprises pour épauler les «salariés en lutte» ou à Paris pour bosser le programme, le candidat profite de ces sauts de puce pour parcourir la presse mais désespère de pouvoir lire un roman sans le saucissonner ou de se remettre au foot. A l’ombre de la campagne, il voudrait garder du temps pour «des trucs normaux» : une ballade sur le bassin d’Arcachon avec les deux enfants de 6 et 9 ans de sa compagne, un dîner entre amis, un ciné «pour s’aérer».

Appliqué à sa tâche«pour ne pas décevoir les copains», c’est surtout comme orateur qu’il voudrait progresser. Décoller le nez de ses notes, dérouler son discours sans ânonner. Pour l’instant, il écrit tout. Vingt pages, c’est sa jauge : en dessous, il sait que le compte n’y est pas. Alain Krivine, candidat LCR en 1969 et 1974, compatit : «On avait moins de médias sur le dos. En meeting l’autre jour, Philippe a perdu le fil. Tous, télés, radios, journaux, ils ne l’ont pas raté !» «Ce n’est pas un professionnel du discours. Son message est peut-être moins structuréet il le dit peut-être moins structuré, son message mais il l’a dans les tripes», le défend Carlos, ami de la CGT et du NPA. A l’usine, ses collègues lui donnent du «Monsieur le Président» pour plaisanter, et enregistrent ses interviews histoire de n’en rater aucune. Ils en sont sûrs, si on faisait les sondages à la sortie de la boîte, l’élection, c’est lui qui la gagnerait.

Laure Equy

Philippe Poutou en 5 dates :

14 mars 1967 : naissance à Villemomble (Seine-Saint-Denis).

1999 : embauché chez Ford.

Juin 2007 : candidat LCR aux législatives (Gironde).

2010 : tête de liste NPA aux régionales en Aquitaine.

Juin 2011 : désigné candidat NPA à la présidentielle.