Publié le Mercredi 13 décembre 2017 à 18h20.

Les morts ne sont pas tous des braves types

Hommage « national » à Jean d’Ormesson, hommage « populaire » à Johnny Halliday : la fin de la semaine dernière a été marquée par les cérémonies organisées à la mémoire de l’écrivain et du chanteur. Si nous n’entendons pas porter ici de jugement sur les qualités artistiques des défunts, force est de constater que les « hommages » – et les bavardages qui les ont accompagnés – ont pris une tournure immanquablement politique, qui mérite commentaires. 

L’hommage « national » rendu à d’Ormesson, qui n’était pas « seulement » un écrivain mais une figure connue de la vieille droite réactionnaire, ancien directeur général du Figaro, est ainsi bien dans l’air du temps. « Une clarté qui nous manquera et nous manque déjà », « un antidote à la grisaille des jours » selon Emmanuel Macron, qui a soigneusement tu les engagements de d’Ormesson.

Le talent et l’écho populaire réel et durable de Johnny expliquent l’impact de la nouvelle de son décès. Mais Johnny était aussi un exilé fiscal qui affirmait en avoir « marre des impôts », ajoutant qu’« en France, la réussite, c’est louche, on trouve ça dégueulasse ». Tout un symbole : c’est à Saint-Barthélemy, paradis fiscal bien connu des milliardaires, que celui qui a reçu un « hommage populaire » alors qu’il refusait de participer à la solidarité la plus élémentaire, a été enterré, sans que cela suscite de commentaires de la part des experts de la traque au « chômeur fraudeur ».

La monstrueuse mobilisation politico-médiatique autour des décès du chanteur et de l'écrivain confine à l’écœurement. Plus d’un « commentateur » a cru y voir le rassemblement national autour de deux symboles d’une France en recherche de valeurs. Vraiment ? Course à l’audimat et au clic, opportunisme politique, démagogie populiste : on a surtout vu le visage hideux d’une société de la com’ où tout se mélange et où tout se vaut, et où la mort est devenue une marchandise, commerciale et politique, sur laquelle se jettent les rapaces de tous ordres.

Les déclarations racistes de Finkielkraut regrettant l’absence des « non-souchiens » lors de l’hommage à Johnny Halliday, comme celles de l’ex-ministre Bussereau affirmant qu’il n’avait « pas vu le peuple de Seine-Saint-Denis » sur les Champs-Élysées, ne sont pas, en ce sens, à contre-courant : elles sont seulement la partie la plus visible de la course à la récupération politico-idéologique qui a accompagné les décès de Johnny Halliday et Jean D'Ormesson.

Derrière les beaux discours, c’est bien la mise en scène de l’entre-soi et l’arrogance vis-à-vis des classes populaires, opportunément et ponctuellement convoquées mais écrasées et stigmatisées le reste du temps, qui se sont étalées ces derniers jours. Deux journées de deuil national dont nous ne sommes pas et qui ne peuvent que renforcer la volonté de se débarrasser de tous ces cyniques qui nous méprisent. 

Julien Salingue