Publié le Lundi 18 juillet 2011 à 16h42.

L’ouvrier qui voulait devenir président (Le Parisien du 17 juillet)

De l’usine à l’Elysée… Philippe Poutou, 44 ans, salarié chez Ford, est le premier mécanicien à briguer la magistrature suprême. Il n’y avait jamais pensé. Pas davantage en se rasant le matin qu’en réparant des machines. Pourtant, le 25 juin dernier, Philippe Poutou, 44 ans, a été propulsé candidat du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) pour 2012, devenant du même coup le premier ouvrier de l’histoire à se présenter à l’élection présidentielle. Quelques semaines plus tôt, le successeur d’Olivier Besancenot était encore un militant comme les autres, tout juste auréolé d’une victoire syndicale. Son fait d’arme : 955 postes sauvegardés à l’issue d’un combat entamé par une grève au sein de l’usine Ford de Blanquefort (Gironde), où il a débuté en 1996 en tant qu’ouvrier.

C’est au lendemain de la défection du postier de Neuilly (Hauts-de-Seine), début mai, que camarades et collègues pensent spontanément à ce délégué CGT. « C’est un leader qui a du répondant. Philippe a une très grosse culture générale », s’enthousiasme Vincent, compagnon d’usine de 36 ans. « Et puis il s’est frotté de près au combat syndical », renchérit Carlos, ouvrier lui aussi. « Au début, je n’y ai pas cru ! raconte Poutou. Je leur ai dit que ce n’était pas sérieux. » Suffisamment cependant pour que le NPA décide d’en faire la vedette de son casting présidentiel. Une destinée à mille lieues de ses rêves de lycéen. « Avec des copains anars, on était en révolte contre la société », se souvient-il avant de raconter les « engueulades » avec son père, un postier partisan de François Mitterrand. « Je trouvais que le socialisme, c’était pas terrible », grimace Poutou. A 18 ans, il rejoint Lutte ouvrière (LO) et fait campagne pour Arlette Laguiller.

La même année, il rate son bac mécanique. Sans diplôme, il multiplie les petits boulots. Intérimaire, surveillant de collège… « Un peu tout ce qui me tombait sous la main », sourit-il. C’est à la faveur des 35 heures que l’ouvrier signe un CDI chez Ford, où il répare les machines sur lesquelles ses copains montent des boîtes de vitesses. Exclu de LO, le mécanicien rallie la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). En 2007, il se présente aux législatives dans la 5e circonscription de Gironde (2,7 %), puis conduit la liste du NPA l’an dernier aux régionales (2,52 %). Des campagnes battues sans jamais cesser de travailler. Même scénario pour la présidentielle ? « Je ne vais pas passer des mois déconnecté de l’usine. Psychologiquement, c’est impossible, lâche-t-il. Je tiens à être un salarié en campagne. »

Pas facile lorsque l’on travaille de 6 heures à 14 heures. D’autant que le candidat compte « continuer les repas avec les copains », sans oublier sa compagne et les deux enfants de cette dernière, avec qui il vit à Bordeaux. Sa solution pour y parvenir : « Mener une campagne collective qui correspond mieux au NPA. » Un parti pris qui colle moins à la nature de l’élection présidentielle. Mais Poutou s’en moque : « Le but, c’est de faire passer le message. Et de récolter le plus de voix possible. » C’est à cela, désormais, qu’il pense tous les matins. En partant à l’usine.

Ava Djamshidi