Publié le Mercredi 9 juin 2010 à 23h07.

"Olivier Besancenot soigne son spleen dans les quartiers nord de Marseille " (médiapart.fr)

 

    Pas la grande forme, mais pas la déprime non plus. Dans le TGV le menant à Marseille ce dimanche 5 juin, Olivier Besancenot ne se berce pas d'illusions sur l'état actuel de l'anticapitalisme. Le porte-parole reconnaît la mauvaise passe du NPA, qui correspond selon lui «au terrible reflux du mouvement social».

    Selon le candidat aux deux dernières présidentielles, mais pas forcément à la prochaine, «il faut admettre que la direction a manqué d'intuition, même si je pense que nos orientations étaient les bonnes. Certains anciens se sont peut-être trop éloignés. Et la diversité des engagements rend certaines questions compliquées. Tout ça prend du temps. Il faut maintenant tout mettre sur la table avant le prochain congrès, en continuant à participer aux luttes qui reviennent, des retraites aux sans-papiers en passant par la Palestine».

    Au menu du futur congrès de novembre, dont les débats animent déjà les comités locaux: l'élaboration d'un nouveau texte d'orientation économique, une position à trancher sur la question religieuse (après «l'affaire du voile» de la candidate Ilham Moussaïd), un débat sur la stratégie électorale et l'élection de nouveaux porte-parole pour venir épauler Besancenot. Une vieille requête du leader anticapitaliste, «même s'il faudra accepter d'être moins présent médiatiquement».

    Désormais, il a envie de prendre un peu de champ, de participer activement au développement de la Société Louise-Michel, le cercle de réflexion créé par Daniel Bensaïd, le «philosophe-mentor» récemment disparu, qu'il ne cesse de citer. Besancenot est convaincu que la structuration du NPA se consolidera par «la formation et la définition commune d'une doctrine collective». En guise d'exemple, il évoque les réunions à venir autour du 140e anniversaire de la Commune de Paris, qui peuvent «permettre de donner un peu de chair à notre vision de l'exercice du pouvoir».

    Le porte-parole évoque aussi son investissement dans la structuration du réseau anticapitaliste européen, qui devrait franchir une étape à l'automne prochain. Enfin, il espère la réussite de l'implantation du NPA dans les banlieues, l'une des cibles de la stratégie refondatrice d'ouverture de la LCR (lire notre enquête alors).

    Ce dimanche après-midi à Marseille, sur la terrasse d'un bar de Saint-Joseph, un quartier résidentiel au milieu des tours des quartiers nord, Besancenot est venu écouter des militants et des représentants d'association. Pour faire le point sur les difficultés à mobiliser dans les cités françaises.

  • Le modèle LKP
  • Devant le bar Le Rustic, tout juste les embrassades terminées que le concours de vannes à caractère footballistique est lancé. Besancenot assume et ne s'en laisse pas compter: «Je vous l'ai déjà faite la blague sur le nuage de cendres? En fait, c'était pas un volcan islandais mais la poussière provoquée par les supporters de l'OM, qui ont ressorti leurs écharpes pour fêter leur premier titre depuis dix-huit ans…»
  • A Marseille, Olivier est appelé «Olive». Comme pour se réapproprier le postier parisien, dont la renommée en banlieue est le premier des points d'entrée du NPA. «Ici, on est plus choqué d'avoir un porte-parole pro-PSG que d'avoir une candidate voilée», se marre un militant. Mais hormis des voix à l'élection présidentielle, et encore, cette popularité n'est rien sans le terrain quotidien, si elle veut déboucher sur un élargissement conséquent de l'audience anticapitaliste. Ici, les militants locaux ont développé une sorte de laboratoire des luttes dans les quartiers populaires, créé il y a près d'un an sur le modèle du LKP guadeloupéen.
  • Le CRAP, pour Collectif de réflexion et d'action populaire, se porte plutôt bien. L'une de ses têtes de file, Nicolas Johsua, résume la démarche: «L'idée est de réunir un maximum d'associations de quartiers, de partis militant dans ces quartiers, de syndicalistes et de personnalités habitant dans les quartiers, afin de construire un rapport de force face aux politiques clientélistes du PS et de l'UMP, tout en faisant de l'éducation populaire et en ramenant la politique au bas des tours.» Organisation de manifestations de défense de la cause palestinienne, création de collectifs sur le logement afin d'établir des contre-projets aux plans de rénovation urbaine de l'Anru, mobilisation contre les expulsions de sans-papiers ou contre les bavures policières. «On essaie d'offrir un cadre où on peut mettre les gens de la cité en contact, on propose un soutien logistique et théorique aux envies d'actions collectives», raconte «Nico». A ses côtés, Fadila El-Miri, qui fut tête de liste départementale aux dernières régionales, se réjouit elle de l'audience croissante de l'initiative. «Au début, on était six, avec les représentants de l'association “Quartiers Nord, Quartiers forts”. Puis on était 20 à la deuxième réunion, puis une centaine, et on est monté jusqu'à 300. Des partis comme les Verts, la Fédération, ou certains du PCF ont rejoint le CRAP. Au total aujourd'hui, il y a une trentaine d'organisations», explique celle qui est entrée au NPA peu après sa fondation, venue du Maroc à Gardanne (Bouches-du-Rhône) à l'adolescence. Même si elle n'habite pas elle-même dans les quartiers nord, cette directrice de centre social à Aix-en-Provence a choisi d'occuper le terrain. Car «le problème des simples réunions, c'est que ça en bloque certains. Moi, il y a trois ans, il était hors de question que je prenne la parole. Il faut aussi aller jouer aux cartes ou au foot avec les habitants, pour prendre la température des problèmes du quotidien, et essayer de participer à les résoudre».
  • «Une intersyndicale associative des quartiers»
  • Ce dimanche, ils sont plus de soixante-dix à avoir répondu présent, malgré le beau temps et les promesses déçues. Adil Fajry, trentenaire ayant rejoint le NPA à sa création, a «la rage de voir que les jeunes du quartier qui m'avaient promis de venir ne sont pas là, et sont évidemment sur répondeur. Et après, les gars passent toute l'année à me défoncer parce que je serais un politicien comme les autres!». Selon ce responsable d'associations sportives, le plus dur est de faire comprendre que les mentalités peuvent changer. «Tout le monde s'est habitué à se contenter de la politique du coca et des chips avant chaque élection.» Pour lui, «les clientélistes ne changeront de politique à l'égard des quartiers que si on leur enlève des voix. A Istres, on nous a doublé la subvention aux clubs de foot, après nos bons scores aux régionales».
  •  Ici, le clientélisme et le «système Guérini» (du nom de Jean-Noël Guérini, le président PS du conseil général) ne semblent pas être une légende qu'on prendrait à la légère. La salle de boxe un premier temps réservée a finalement été refusée au NPA par le conseil général propriétaire. «Les locaux associatifs nous sont interdits, parce qu'il ne faut pas parler de politique dans les cités! Il faut s'interroger sur la possibilité de faire des réunions dans des snacks», propose Zohra, la quarantaine, travailleuse sociale à Marseille. Plusieurs personnes (on en a compté six), employées par le département dans des structures d'animation de quartiers ou d'aide sociale, nous ont demandé de ne pas mentionner leur prénom dans ce reportage, par crainte de représailles.
  •  A entendre ses fondateurs, le Crap est aussi né avec l'ambition d'être «un bouclier collectif aux chantages à la subvention qui pourraient frapper l'une des associations membres»: «Il faut voir comment c'est ici, explique l'une de ses anonymes, on accorde des subventions pour “tenir” les bureaux de vote, au sens propre comme au figuré.» «Si jamais l'une des assos se faisaient couper les vivres, c'est tout le Crap qui gueulerait. Comme une intersyndicale associative des quartiers, il faut rééquilibrer le rapport de forces», renchérit Mohammed Ben Saada, l'un des organisateurs de l'après-midi.
  • Des deux heures de témoignages, on retiendra la difficulté à intéresser les gens, à «repolitiser des endroits où la méfiance (est due au) passif de la gauche en matière de politique de la ville». Une éducatrice de quartier, d'origine algérienne, préférant ne pas être citée, estime nécessaire d'«en passer par la mémoire pour intéresser les jeunes. Il faut faire de l'éducation populaire, en racontant les luttes des travailleurs immigrés, dans les mines du Nord ou à Renault-Billancourt». Sa voisine évoque dans la foulée «la question de la guerre d'Algérie, qui a un sens encore plus fort ici face à la communauté pied-noir proche du FN.» Déjà, la formation est l'une des activités les plus mobilisatrices dans les quartiers, aux dires des participants. De conférences sur le capitalisme dans les quartiers populaires aux formations sur Malcom X ou les événements de Sétif, en passant par des débats sur le sionisme, les initiatives pullulent dans les comités NPA de Marseille et ses alentours. Mohammed, commerçant quinquagénaire, lance d'une voix éraillée: «Aujourd'hui, j'ai l'impression de revivre l'époque où mon père me disait: “Ne fais pas de bruit, ne va pas manifester, ne te fais pas remarquer”.» Selon lui, «il faut aller chercher les jeunes qui restent enfermés chez eux à écouter les médias qui relaient les propos de Sarko TF1. Il faut investir Facebook, pour leur proposer une alternative!».
  • Ici, la question religieuse semble revêtir moins d'enjeu qu'au niveau national. Seule Djamila, jean-chemise et turban sur la tête, évoque le sujet. «Je voudrais poser une question sur la laïcité au NPA, interroge cette militante du collectif Palestine de la cité phocéenne. On ne sent pas trop de clarté dans votre position. On n'a pas eu de réponse quand on vous a proposé d'organiser une conférence avec Tarik Ramadan, et on n'a pas senti beaucoup de soutien, quand Ilham Moussaïd s'est fait dézinguer par tout le monde… Est-ce qu'on doit laisser notre foulard ou se raser la barbe si on veut adhérer au NPA?»
  • Au-delà de sa pirouette au micro («T'inquiète pas, ta carte est prête, t'as plus qu'à la signer!»), Nicolas Johsua pense possible de sortir de ce vif débat interne qui divise profondément le NPA, et notamment ses composantes athées et féministes. «Il faut prendre le temps de pouvoir faire émerger des légitimités collectives, explique-t-il. Si les comités “quartiers populaires” prennent de l'ampleur dans les quartiers, la question de la représentation du parti par des femmes voilées aux élections posera moins de problème.»
  • «Engagez-vous! Prenez le pouvoir !»
  • Olivier Besancenot ne se contentera que d'une prise de parole, s'inscrivant aux deux tiers de la liste des interventions. Le porte-parole du NPA ne botte pas en touche sur la question du voile («On n'a pas su anticiper, il y a eu des débats, des crispations. Il faut prendre le temps d'en discuter et de trouver un consensus, même si moi je fais partie de ceux qui assument totalement»), mais préfère consacrer son intervention à l'importance de l'implantation du NPA en banlieue. «On progresse. Il y a deux ans, on faisait encore des débats sur les quartiers populaires avec un sociologue, un enseignant de ZUP, trois éducateurs et quatre habitants!, explique-t-il micro en main. Désormais, on est en train de faire en sorte que les gens des quartiers populaires commencent à se sentir bien chez nous.» Avant de s'enflammer: «Franchement, quand je vois le nombre de militants en or qu'on rencontre depuis, je me dis que si on les réunissait, il y en a qui auraient peur dans la gauche traditionnelle. Mais maintenant, il faut arriver à fédérer tous ces engagements, dans un grand mouvement de masse. Le rôle du NPA, ce n'est rien d'autre que de donner des débouchés politiques à l'expression des quartiers populaires, comme à celle des salariés des entreprises! Au final, Amir ne dit pas autre chose.
  • Concluant la séance, ce chef de file de la communauté comorienne considère qu'«il faut changer de grands-frères»: «Les quartiers ne manquent pas de leader! Mais c'est difficile, parce que les jeunes qui tiennent les murs n'ont pas envie de le quitter. Il faut que ceux qui luttent donnent aux autres l'envie de lutter.» Pour Fadela El-Miri, le travail lancé il y a un an commence à payer. «Désormais on est accepté et identifié quand on arrive avec nos tracts ou qu'on commence à venir tchatcher.» Les tensions avec le Forum social des quartiers populaires (lire notre reportage en septembre 2009) sont oubliées, et elle sera même leur invitée lors de la prochaine édition. Quant aux résultats électoraux, ils sont plutôt encourageants, dans la morosité actuelle.
  • Lire ainsi l'extrait d'une note-bilan sur les dernières régionales dans les quartiers populaires de Marseille: 
  • Image retirée.
  • Au moment de terminer la réunion, Mohammed Ben Saada lance un dernier appel à l'intention de la trentaine de «non-encartés» présents: «Les mentalités que vous dénoncez dans les partis, il n'y a qu'une façon vraiment efficace de les faire changer: Engagez-vous! Prenez le pouvoir!» Quelques instants après, entre un jus d'orange et une portion de quatre-quarts maison, il s'approchera de Besancenot, une vieille femme voilée à ses côtés. «Elle n'ose pas te le demander, mais est-ce que tu pourrais lui signer un autographe?» Pris dans ses contradictions mais le sourire aux lèvres, le porte-parole du NPA s'exécute. Sans qu'il l'ait confirmé par la suite, on a cru ressentir chez lui l'envie que des «militants en or» et autres «leaders des quartiers» prennent sa place.

Stéphane Alliès