Publié le Jeudi 29 décembre 2011 à 10h09.

Philippe Poutou : «On fait ce qu'on peut» (Médiapart le 27 décembre)

 

On avait donné rendez-vous à Philippe Poutou au siège du NPA, à Montreuil, le 16 décembre dernier. Alors que commence le repas de noël des permanents, autour des rotatives de feue la LCR, de plateaux de coquillages et d'Alain Krivine, le candidat anticapitaliste arrive avec plus d'une heure de retard, coincé dans les embouteillages et retardé par un enregistrement à Canal +, pour un jeu animé par Ariane Massenet. «Ça permet de se faire connaître», soupire le successeur d'Olivier Besancenot.

On vous présente toujours comme un novice en politique, mais vous êtes un militant politique et syndical de longue date. Quel est votre parcours, et quelles sont les grandes dates de votre engagement?

Je suis effectivement novice en candidat, mais je milite depuis 25 ans. J’ai d’abord commencé à Lutte ouvrière, en 1986. D’un point de vue syndical, c’est plus récent, car j’ai longtemps été intérimaire. Je suis syndiqué  à la CGT depuis que je suis arrivé chez Ford -mon premier boulot fixe-, il y a 13 ans.

Mon premier souvenir politique, c’est 1981. J’avais 14 ans, et mes parents étaient heureux de voir enfin triompher des idéaux de gauche dont j’entendais parler à la maison. L’antiracisme, le combat contre l’apartheid, le Chili d’Allende… Avec mon adhésion à LO, j’ai découvert l’histoire du mouvement ouvrier, mais je restais fan de Mitterrand. Ce qui a tout fait basculer, c’est l’assassinat d’Eloi Machoro (leader kanak) en 1985. J’étais persuadé que Mitterrand allait donner l’indépendance aux Kanaks… Peu à peu la rupture s’est consommée.

Vous avez aussi été exclu de LO, avant de rejoindre la LCR, puis le NPA…

Cela a été un petit choc pour moi. On est entre potes et d’un coup tout s’effondre. A Bordeaux, on avait créé un journal dont on était très fier. Arlette (Laguiller) avait appelé à l’élargissement du parti, mais au bout de trois mois tout était oublié. Et LO n’était visiblement pas capable d’organiser des discussions en interne, ni d’accepter des remises en cause. La seule chose qui a été menée au bout, ce fut la discipline. Ce n’est pas une légende… Le côté plaisant, c’est qu’après avoir été viré de LO, en 1997, on trouve tout de suite la vie plus sympa et chaleureuse. L’arrivée de Besancenot comme porte-parole du NPA aidait aussi à donner la pêche.

La France pourrait perdre son triple A, Sarkozy et Merkel proposent un cadre européen ultra-rigoureux, et on en est déjà à deux plans de rigueur en France, en attendant le troisième. Dans ce contexte, comment expliquez-vous la faiblesse de la réaction du mouvement social?

Pour réagir et pour lutter, il faut avoir la forme et les outils pour le faire. Or il n’y a pas le moral, car la crise financière et sociale pèse sur tout le monde. Licenciements, précarité, dégradation des services publics… On ne se remet pas comme ça d’années de coups pris dans la gueule. Et puis, du point de vue des organisations syndicales ou politiques, ce n’est pas grandiose non plus. Le NPA est en crise, mais à côté personne n’est capable d’organiser le combat et d’unifier le mouvement. Il y a des batailles locales, contre la fermeture d’un hôpital ou un plan de licenciements, mais il manque une convergence au niveau national. Aujourd’hui, les directions syndicales ne déclarent pas la guerre au capitalisme et au patronat. Il y a une forme de résignation, laissant monter la colère impuissante de la base.

En face, la propagande fonctionne à plein pour maintenir les cerveaux sous l’étouffoir. Depuis cet été, ils ont mis les moyens pour nous faire accepter l’idée selon laquelle il n’y aurait pas d’alternative à l’austérité. Le cinéma autour des agences de notation, dont on n’avait jamais entendu parler auparavant, est symptomatique. Comme il n’y a pas de voix assez forte pour contredire ce discours, nous ne sommes ni audibles ni crédibles.

Comment le militant syndical traditionnel que vous êtes regarde le développement des indignés partout en Europe et dans le monde, beaucoup moins en France?

On s’en sent proche. Les revendications sont légitimes, tout comme la défiance envers les partis et syndicats est compréhensible. On va d’ailleurs voir le décalage à la prochaine présidentielle. On espère tous dégager Sarkozy mais, si on y arrive, il n’y a pas de perspective politique pour autant. On en est à se dire “Il faut virer ce gouvernement pourri”, mais on sait aussi qu’il n’y aura rien derrière. Le mouvement des Indignés naît de cela. C’est une jeunesse qui invente, qui décide d’occuper une place et de se réapproprier la démocratie directe, par exemple en discutant de la dette. La révolution doit passer par là. Mais il ne suffit pas d’occuper une place, il faut aussi viser le pouvoir.

On en voit aussi les limites: le nombre est encore insuffisant, et on cherche la volonté de coordonner l’action. Je ne suis pas gêné que le mouvement soit anti-politique, mais il faut bien qu’à un moment donné il y ait des perspectives politiques. C’est ça qu’il reste à construire. Aux Etats-Unis, le mouvement se passe mieux, car le lien entre Indignés et syndicats est bon. Il y a une aide logistique, et pas de crainte de récupération. En France, il faut retrouver la confiance en nous-mêmes. De tous temps, l’opprimé a une histoire qui est faite de trahisons et de détournements de lutte.

Le NPA s’est beaucoup engagé aux côtés des révolutions arabes. Comment analysez-vous le résultat des élections en Tunisie, et la victoire des musulmans conservateurs?

Il se passe là-bas ce qui s’est toujours passé après une grande lutte sociale: il y a toujours des gens pour récupérer un mouvement. On parle d’islamisme modéré, mais la modération peut être de circonstance…

Vous n’y croyez pas?

Non, je ne crois pas à l’islamisme modéré. Mais au-delà de ça, il y a un danger. Le pouvoir n’est jamais laissé comme ça au peuple. Il y a toujours des tenants de l’ordre ancien pour s’immiscer. On le voit aujourd’hui en Tunisie, où des anciens du régime sont toujours dans les rouages de l’Etat. Comme des collabos de Vichy ont réussi à rester à leurs places à la Libération. Avec Ennahda, même s’ils n’étaient pas au pouvoir avant, on retombe dans des schémas classiques de pouvoir, démocratiques pour l’instant, mais pas dans une perspective socialiste d’élimination du capitalisme.

Quel est votre point de vue sur les risques pris par votre parti de toucher à certains dogmes laïques? La question du voile notamment, a énormément divisé l’organisation (lire nos articles). Autrement dit, selon vous, peut-on se réclamer de l’islam et de l’anticapitalisme?

On n’est pas arrivé à régler cette question. Les événements ont fait qu’on n’a pas pu discuter suffisamment pour tomber d’accord. On a bien vu combien cette question est complexe. On n’est pas un parti athée, mais un parti laïque. Il y a la volonté de ne pas discriminer et de faire en sorte que chaque camarade puisse se défendre comme il est. Mais il y a aussi la crainte que si on laisse trop de place à la croyance, cela puisse déboucher sur quelque chose d’incontrôlable. Dans le cas de la camarade (Ilham Moussaïd, candidate aux régionales en 2010), porter le voile n’avait rien d’intégriste, elle affirme son féminisme et ceux qui militaient avec elle n’y voyaient pas d’inconvénient. Et à partir du moment où on lui dit qu’elle ne peut porter son voile et apparaître sur des affiches, c’est un peu l’Occident qui impose son point de vue.

Alors, comment on fait? On se dit que le voile c’est l’oppression de la femme, mais on se rend compte que sur le terrain, c’est bien plus compliqué… On n’a pas trouvé la réponse. Moi je suis plutôt pour qu’on dise “Interdiction du voile” chez les militants. Mais on voit très bien que ce n’est pas satisfaisant, et qu’il y a des camarades sincères qui ne se sentent pas du tout dominés par l’intégrisme. C’est hyper compliqué…

Aujourd’hui, la situation au NPA est délicate. Une partie des militants ne fait pas trop la campagne…

Même pas du tout!

Beaucoup de militants sont partis, d’autres sont démobilisés… Comment faire campagne avec une organisation aussi fragilisée?

On fait ce qu’on peut, avec les moyens qu’on a, et avec la volonté de recoller les morceaux. Mais on s’aperçoit que c’est difficile, que le temps passe vite, et que depuis six mois rien n’a évolué. Ça ne progresse pas.

Comment l’expliquez-vous?

Je ne sais pas. On est un peu sorti du domaine politique. Nos engueulades sont parfois irrationnelles. Certains disent que je suis un sectaire, mais ceux-là ne me connaissent pas. Il y a des divergences profondes, au-delà des désaccords politiques et des choix d’orientation, où les rapports humains semblent durablement abîmés. Quelque chose s’est cassé, et on a l’impression que la discussion politique ne sert plus à rien. C’est un peu comme dans une famille, où il y aurait des brouilles pouvant durer des années, jusqu’au jour où frères et sœurs se diraient : «Mais comment en est-on arrivé là ?»Vous pensez que la situation va s’améliorer ?

Je ne saurai dire si je suis optimiste ou pessimiste. Notre avenir s’inscrit dans une crise beaucoup plus large, celle du capitalisme, que les capitalistes vont vouloir nous faire payer très cher. Dans ce contexte d’urgence, nos divergences devraient compter peu. C’est à tout le monde de faire des gestes faisant que la rupture humaine actuelle n’aille pas au bout de la logique d’une rupture politique. On peut encore espérer un sursaut collectif. Mais si on va au bout de la rupture, quelque chose se reconstruira peut-être…  Cela serait tout de même problématique de perdre du temps à cela.

Cela dit, toutes les autres organisations politiques ne sont pas vraiment fringantes aujourd’hui. Avec les militants du PCF ou du Parti de gauche, il faudra bien qu’il y ait des retrouvailles aussi.

Qu’est-ce qui les empêche aujourd’hui ?

Comment dire… Je fais une différence entre Mélenchon et les militants du PCF et du PG qu’on voit dans les manifs…

Le problème, c’est Mélenchon?

Ce n’est pas un problème, mais je fais une différence. S’il a des idées sympas aujourd’hui, il y a aussi des divergences profondes avec Mélenchon. C’est un politicien élu depuis des années, capable de beaucoup de revirements et qui pense beaucoup à lui. Je ne retrouve pas avec lui l’idée d’un combat collectif.

Autant dans mon syndicat, on est des militants de diverses formations, mais on gagne à peu près tous la même chose et on sait qui on est. Avec Mélenchon, il y a une délimitation sociale compliquée. Et puis, alors qu’on nous fait passer pour des sectaires, s’il n’y a jamais pu avoir de discussions, c’est bien à cause de lui! Il voulait être candidat, et c’était de toute façon le préalable à tout, point barre! Il a déclaré sa candidature en janvier dernier, puis nous a dit «Que vous veniez ou pas, ce sera pareil, ce sera moi!»

Et avec LO? Qu’est-ce qui vous différencie de la candidature de Nathalie Arthaud?

Ça peut friser l’absurde, vu de l’extérieur. Sur le fond, on dit la même chose, mais il y a une histoire dont on est tous le produit, et dont on ne parvient pas toujours à surmonter les passifs. C’est l’histoire de la division du mouvement ouvrier. Ça vaut également pour le PCF. On défile ensemble dans la rue, mais on est parfois un peu con… Franchement, on pourrait très bien avoir un cadre collectif malgré nos orientations différentes.

N’est-ce pas ce qu’ambitionne d’être le Front de gauche?

Mais il y a une divergence politique énorme avec le Front de gauche: l’alliance avec le parti socialiste! Même si Mélenchon dit qu’il n’ira pas au gouvernement, le PCF dit qu’il est prêt à y aller. Etre avec Hollande, on est peut-être borné, mais ça n’est socialement pas possible. La direction du PS n’a rien à voir avec le mouvement ouvrier. Les amis européens de Hollande, ce sont les sociaux-démocrates espagnols ou grecs, on voit où ça mène… C’est presque mathématique, le PS est trop lié à la bourgeoisie et la désillusion est certaine.

Les écolos sont d’ailleurs en train de l’expérimenter. Voyez ce que donne un accord avec Hollande : en quelques jours, il est déjà vidé de son sens! Que le Front de gauche pense encore possible de tirer Hollande vers la gauche, très bien. Mais qu’on nous laisse défendre l’idée que c’est impossible. Le véritable rapport de force, il sera social et ce ne sera que la population qui pourra imposer un virage à gauche. Les acquis du front populaire, c’est la grève générale et non un accord d’appareil politicien.

Mais François Hollande n’est-il pas justement le meilleur candidat socialiste, le plus pragmatique, pour céder face à la pression d’un tel mouvement social?

On dit souvent qu’Hollande c’est la gauche molle, mais moi je crains qu’il puisse être très ferme contre nous et très mou face aux marchés. Ce n’est pas une question de caractère, mais du respect fondamental de la logique libérale. Il est le successeur de Jospin pour qui «L’Etat ne peut pas tout». Moulinex, Michelin, Vilvoorde… Certes c’est moins brutal que Sarkozy. Mais au final, c’est quand même toujours le même message: «On ne peut pas, désolé, on s’excuse».

Aujourd’hui, il y a une guerre sociale. Et on a des syndicats qui s’entendent sur l’importance de la compétitivité… Et sur la retraite, on a Hollande qui n’est même pas capable de dire quelque chose qui remettrait un peu en cause le système. Tout ça manque de radicalité, non?

Quel serait votre modèle de gouvernement si vous accédiez au pouvoir?

La question est difficile. Ce qui est sûr, c’est qu’un président ne doit pas exister. Pas seulement un président de la République, mais l’idée même d’un homme qui aurait des pouvoirs que lui seul pourrait exercer. Cela vaut aussi pour un président de région ou un maire. Ça, c’est la monarchie, pas la démocratie.

Le modèle idéal, ce serait les soviets. Pas seulement ceux de la révolution russe, mais aussi ceux de la guerre d’Espagne ou de la révolution iranienne de 1979. Là où on se réunit et où on décide par soi-même comment on fait pour agir. Le gouvernement n’aurait là qu’un rôle de coordination et de centralisation, mais pas de réels pouvoirs de décision. Une démocratie directe, qui se structurerait par en bas. Un peu sur le modèle de la démocratie participative de Porto Alegre au Brésil.

Nous sommes fin décembre, où en êtes-vous des parrainages pour pouvoir vous présenter (lire notre reportage)? Etes-vous inquiet?

On est autour de 310. On avance lentement. C’est vrai qu’on flippe, car les délais se réduisent. On a jusqu’à début de mars, et il ne va pas falloir que les forces se relâchent. Ce qui est embêtant, c’est toute l’énergie dépensée là-dedans, alors que toutes les forces militantes pourraient faire campagne. L’obligation des 500 parrainages est vraiment une loi anti-démocratique. Mais ce qui est positif, c’est qu’on rencontre beaucoup de maires qui sont des salariés, des petits viticulteurs ou agriculteurs avec qui ça se passe très bien.

On a beaucoup parlé de mépris social lors de vos passages médiatiques. Mais vous-même avez tenu à nuancer ce mépris…

Chez Laurent Ruquier ou devant Pascale Clark, il y a bien sûr eu de la condescendance à mon encontre. Beaucoup, dans les médias, me regardent en se disant «Il n’a rien à faire là», mais je pense qu’il faut relativiser tout ça. Car ce n’est pas ce mépris social-là qui est le plus violent. Faut pas déconner, sur un plateau télé, on est bien assis, on nous donne de l’eau, il fait chaud… Je ne risque rien. Au pire d’avoir manqué de répartie, ou d’être frustré de se voir couper la parole sans arrêt.

Mais ça n’a rien à voir avec la violence qu’on peut rencontrer tous les jours au boulot, l’intimidation ou la souffrance au travail due au comportement de certains patrons. Ça n’a rien à voir avec les discussions autour de la conservation du triple A, qui représentent en fait des milliers d’emplois supprimés ou précarisés, des suicides, des divorces. La réalité du mépris social, elle est là.

 Par Lénaïg Bredoux et Stéphane Alliès

L'entretien a eu lieu le 16 décembre à la mi-journée, dans les locaux du NPA, durant une heure. Il a été relu avant publication, mais quasiment pas amendé (hormis sur le nombre de signatures, en progression d'une vingtaine depuis deux semaines si l'on en croit la correction apportée).