Publié le Dimanche 1 avril 2012 à 10h08.

Philippe POUTOU : « Je ne serai pas triste quand ce sera fini » (Le Parisien du 1er avril)

Ouvrier de l’usine Ford à Blanquefort (Gironde), Philippe Poutou, 44 ans, a été propulsé candidat à la présidentielle du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) il y a neuf mois.

Que pensez-vous des conséquences sur la campagne de l’affaire de Toulouse? PHILIPPE POUTOU. La suspension du décompte du temps de parole par le CSA pendant deux jours a permis de laisser parler les mêmes. Nous, on a été complètement squizzés. Et on a vu arriver la dérive sécuritaire. Place aux cow-boys maintenant! Cette politique et cet affolement tombent à pic, puisque comme ça, on ne discute plus du reste. Dans le même temps, le chiffre du chômage a augmenté. Quelle serait votre première mesure si vous étiez élu? L’interdiction des licenciements. Ce serait un début de réponse concrète à la montée du chômage et de la précarité. 23 Mds€ de fortune pour la famille Arnault (LVMH), 21 milliards du côté des Mulliez (groupe Auchan)… Cela offre de sacrées possibilités! Faisons payer les capitalistes, annulons toutes les réformes fiscales de ces vingt dernières années et exproprions les banques. Avec un monopole public sous le contrôle des salariés, les banques joueraient enfin un rôle utile à l’économie. On a besoin d’une politique anticapitaliste radicale pour répondre à l’urgence sociale. Le directeur d’une Fnac parisienne a été brièvement séquestré jeudi par des salariés en colère. Comprenez-vous ce genre d’action? Oui… d’autant que je l’ai fait moi aussi à une époque. Avec des collègues, nous avions séquestré mon patron. C’est l’expression d’une colère légitime contre les profits qui s’accumulent d’un côté et les licenciements de l’autre. Les petits contrats et la précarité, c’est ça la Fnac. Mais ce type d’actions n’est pas forcément efficace : elles permettent juste de signifier un ras-le-bol. Et puis on dit, « bah toi, tu vas rester dans ton bureau et on va s’occuper de toi ». Mais ces séquestrations ne se passent jamais mal. L’ancien bras droit d’Olivier Besancenot vient de rallier le Front de gauche, comme d’autres militants du NPA. Vous êtes tenté vous aussi? (Rires.) Pas du tout! Je ne peux pas dire que je suis indifférent aux départs. S’ils préfèrent Mélenchon, ils ont raison d’appeler à voter pour lui. Et puis ça fait de l’air : qu’ils nous laissent tranquilles! On côtoie les militants communistes ou du Parti de gauche dans nos syndicats, dans les manifs. Mais nos perspectives politiques ne sont pas les mêmes. Le candidat du Front de gauche croit que cela passe par les urnes. Pour nous, ça se réglera dans la rue. Mélenchon discute pour forcer Hollande sur sa gauche, mais après… Est-ce qu’il participerait à un gouvernement socialiste ou pas? Il a dit que non… Aux élections législatives, des accords auront nécessairement lieu. Dans toutes les régions sauf le Limousin, des élus du Front de gauche votent les budgets socialistes, qui mènent une politique libérale de privatisation des services publics. En Aquitaine, chez moi, le PS a donné de l’argent à l’usine Ford, où je travaille, alors que cette multinationale supprime des emplois. C’est scandaleux. Cela montre que leurs dirigeants ont un problème de crédibilité. Il y a une petite entourloupe… Sur ces aspects, Lutte ouvrière est sur la même ligne que vous… On n’a aucun rapport avec eux. Dans nos programmes politiques, il n’y a certes pas beaucoup de différences, sauf sur le nucléaire : nous sommes pour la sortie, pas eux. Mais à LO, ils sont dans leur coin. On a essayé de les approcher au moment de la mobilisation contre la réforme des retraites : on n’a jamais eu de réponse. Y a-t-il de la place pour trois candidats d’extrême gauche dans une élection présidentielle? Bien sûr. La preuve, c’est qu’on a eu 572 parrainages. Nous sommes donc légitimes. Et implantés sur le territoire. Pour vous, l’UMP et le PS, c’est la même chose? Ce sont deux partis qui entendent mener une politique libérale, une politique d’austérité. Et dans leurs directions, on retrouve la même oligarchie financière. La différence, c’est qu’au PS il y a des militants que l’on trouve dans les manifs. Avec des gens de l’UMP, jamais! Quand on se bat dans une usine pour nos emplois, on trouve quand même des élus PS pour soutenir le combat. Je suis moi-même issu d’une famille socialiste. Et une partie de nos parrainages a été fournie par des élus PS. Dans l’hypothèse d’un duel Sarkozy-Hollande au second tour, vous appelleriez donc à voter pour le candidat socialiste? C’est relativement clair : il faut dégager Sarkozy. Si l’élection peut être utile à quelque chose, il faut les dégager, ce c… et sa bande d’enf… qui gouvernent actuellement. Il n’y a pas de consignes aujourd’hui, on verra après le premier tour. Mais on ne devrait pas rester neutres au second. Vous n’êtes pas un professionnel de la politique. Comment vivez-vous cette campagne? Sans surprise, c’est compliqué. Au fil du temps, je m’habitue un peu. Depuis quelques semaines, je ne travaille plus à l’usine, et c’est dur. Ça me permettait de respirer, de rester en contact avec les collègues, mon milieu, ma famille et mes potes. La vie normale me manque. Vous êtes-vous fait à votre nouvelle notoriété? Je craignais d’être reconnu dans la rue. L’idée ne me plaisait pas du tout. Et finalement, qu’est-ce que ça fait du bien quand les gens viennent me voir! Ils me touchent, me disent : « Bravo, continuez, on est avec vous. » C’est marrant, il y en a même qui me disent : « On votera Mélenchon mais c’est super ce que vous faites. » Ça file la pêche. Au début de la campagne, meetings et passages télé vous mettaient mal à l’aise. Qu’en est-il aujourd’hui? Je flippe autant. J’ai peur du blanc, de ne pas comprendre la question, même si je sais que j’ai fait des progrès. Les meetings, c’est toujours difficile! Etre celui qui porte la parole est un peu anormal, je ne serai jamais à l’aise avec ça. Parfois, je me demande pourquoi je suis là… Sans doute parce que candidat à la présidentielle, c’est une tâche militante! Comment envisagez-vous l’avenir de votre carrière politique? Si je perds l’élection présidentielle, je retournerai à l’usine. Je resterai le militant que je suis depuis de nombreuses années. Donc vous ne serez pas candidat dans cinq ans? Ce n’est pas prévu… (Rires.) Pressé d’en finir? Non, parce que, même si c’est dur, il faut le faire, et occuper l’espace pendant encore trois semaines. Mais je ne serai pas triste quand ce sera fini.

Propos recueillis par Ava Djamshidi