Publié le Lundi 21 mars 2016 à 18h50.

Philippe Poutou : “Je tiens à garder un pied dans l’usine”

Philippe Poutou a été désigné officiellement candidat à la présidentielle par le NPA ce dimanche 20 mars. Entretien avec l’ouvrier de chez Ford qui avait crevé l’écran en 2012. 

En 2011 sur le plateau d’On n’est pas couché, Philippe Poutou, candidat encore inconnu du NPA à la présidentielle expliquait que son parti était contre la personnalisation de la vie politique. Il s’avançait même en déclarant : “La prochaine fois, ça ne sera pas moi”. Son parti l’a démenti ce dimanche à Nanterre en le désignant de nouveau comme candidat. En 2012 il avait obtenu 1,15% des voix. Nous nous sommes entretenus avec l’ouvrier de chez Ford.

Vous avez été désigné par le NPA pour porter ses couleurs à la présidentielle en 2017. Pourquoi vous ?

Philippe Poutou – Le NPA a pris la décision d’être présent à cette présidentielle car on tient à continuer à faire entendre la voix de la révolte, de ceux d’en bas. On veut amplifier l’idée que c’est par les luttes sociales qu’on changera les choses. Le mouvement actuel contre la loi travail nous redonne la pèche, il remet à l’ordre du jour la question sociale et la question de la résistance. On a donc décidé d’y aller, et on y va tôt pour régler la question des 500 parrainages. On est obligé d’anticiper, car pour nous c’est l’équivalent d’un tour préliminaire pour réussir à être vraiment dans l’élection.

 

Pourquoi moi ? Olivier n’étant pas partant – il l’a confirmé –, on avait deux possibilités : soit on trouvait un nouveau visage, celui d’une camarade, on y tenait ; soit on misait sur un visage plus connu. La majeure partie des camarades a pensé qu’on ne pouvait pas tenter le coup : les parrainages vont être difficiles à obtenir, le NPA est un peu moins fort qu’il y a cinq ans, et globalement le climat social et politique est très à droite. Il est apparu que dans ce contexte il valait mieux partir avec quelqu’un d’un peu connu. Je n’étais pas très partant, j’avais envie que ça change, mais j’ai accepté car je tiens absolument à ce que le parti soit là. Je repars.

Vous serez accompagné de trois porte-paroles de campagne. Quel sera leur rôle ? Pensez-vous possible de mener une campagne collective dans une élection dont la caractéristique principale est qu’elle se joue sur une personnalité ?

On essaye de partir sur un collectif avec trois porte-parole : Olivier Besancenot sera omniprésent pendant la campagne, notre porte-parole Christine Poupin et Armelle Pertus, une enseignante de Paris. On tient à montrer un visage collectif dès le départ. On sait qu’on est dans un paradoxe. L’élection est personnalisée alors que nous sommes contre. Les candidats ont souvent des ambitions personnelles, ce n’est pas notre cas. De plus on pense que les batailles sociales peuvent changer la donne, pas les élections. Mais on veut essayer d’exprimer cela, de le mettre en débat.

Les élections ont parfois tendance à contenir la colère sociale, pour la faire rentrer dans le rang des institutions : c’est une critique que vous portez. En vous présentant, ne pensez-vous pas participer à cela ?

C’est un problème : en participant à cette élection, cautionne-t-on l’idée qu’il y a une perspective possible à travers les élections ? Mais nous souhaitons utiliser les présidentielles comme une tribune. C’est un rendez-vous politique hyper-important, c’est un des rares moments où l’ensemble de la population se politise, est à l’écoute. On pense que c’est un rendez-vous à ne pas manquer, même si cette élection est un piège qui vise à nous faire croire qu’en changeant de président on peut changer notre sort. C’est le paradoxe.

On va essayer de le dire mieux, et plus fort. On veut se faire le porte-parole du mouvement social : celui contre la loi El Khomri, celui de Notre-Dame-des-Landes, et celui de la solidarité avec les migrants de Calais. On veut porter la dénonciation d’un système profondément injuste et inégalitaire. Notre perspective politique, c’est qu’il faut reprendre nos affaires en mains, qu’on relève la tête et qu’on se batte.

Nathalie Arthaud s’est déclarée candidate, de même que Jean-Luc Mélenchon. Le fait que la gauche parte en ordre très dispersé rend envisageable un second tour avec la droite et l’extrême droite. Y êtes-vous indifférent ?

On pourrait presque dire qu’on s’est habitué à cet éparpillement. On va retrouver la même division qu’en 2012, 2007 et 2002. C’est une habitude, on se présente divisés et séparés, comme dans beaucoup d’élections. C’est un constat. Faut-il le regretter ? Est-ce que ça pose des problèmes pour le deuxième tour ? Nous ne le pensons pas. Ce qui est sûr c’est que ça permet de montrer les divergences importantes qui nous séparent. On a des différences avec LO et avec Mélenchon, dont on ne sait pas bien de qui il porte la parole à part la sienne. Aucune discussion préalable n’a été organisée pour se rassembler. Personne n’a souhaité en discuter, et pourtant on ne s’est pas précipité.

On a des différences avec Mélenchon sur la vision souverainiste, voire nationaliste des choses qu’il a parfois. Le « peuple insoumis », c’est un terrain glissant, on n’a pas envie d’y aller. On a envie de parler des gens d’en bas qui souffrent, et de rupture avec le capitalisme. Notre programme, c’est le renversement du système capitaliste. On n’entend pas ce discours là chez Mélenchon, même si on a des points communs.

Avec Lutte Ouvrière, c’est pareil. Au NPA, nous sommes de la lutte à Notre-Dame-des-Landes contre les grands projets inutiles, pour la défense de l’environnement, contre l’état d’urgence, etc. On ne retrouve pas LO dans ces combats. On a des divergences. On ne pense pas que notre combat soit seulement celui des ouvriers contre leurs patrons. Le combat prend plein d’allures différentes. On essaye d’être de toutes les batailles. L’élection présidentielle peut montrer ces différences, et ouvrir un débat politique à la gauche de la gauche.

Plusieurs courants du NPA, comme la Gauche anticapitaliste ou Convergences et alternative, l’ont quitté entre 2009 et aujourd’hui. Cette hémorragie s’est elle arrêtée ?

L’hémorragie s’est arrêtée. Cela dit on a diminué en force. On n’a pas réussi à construire ce qu’on voulait. Le bilan du NPA est difficile à positiver. Mais on tient la route malgré les difficultés. Toutes les organisations militantes en traversent, et souffrent de la situation politique et sociale : la dynamique de Mélenchon de 2012 contraste avec la situation du Front de gauche aujourd’hui. On subit une société qui penche à droite, et même à l’extrême droite. Les idées vont dans le mauvais sens : les préjugés sur les migrants, sur les chômeurs, tout ce qui peut nous diviser, se répandent. Mais la situation est peut être en train de changer. On y croit encore, on est convaincu que notre projet est toujours d’actualité. Un parti anticapitaliste large, unitaire, doit être construit.

Vous êtes toujours ouvrier-réparateur à l’usine Ford de Blanquefort. Comme en 2012, allez-vous continuer à travailler pendant votre campagne ?

Ça va se faire par étape. Au fil du temps, l’échéance approchant, je vais peut-être aménager du temps libre pour la campagne. Mais je tiens à être présent toutes les semaines à l’usine, c’est fondamental pour tenir : être en contact avec ses potes, avec sa vie normale. Il va falloir gérer ça, comme le faisait Olivier. Il faut trouver le juste milieu. Mais je tiens à garder un pied dans l’usine.

En 2012 vous aviez confié vous réveiller le matin et prendre conscience brutalement, avec dépit, que vous étiez candidat…

Ça va refaire pareil ! (rires) Une campagne signifie avoir une grande disponibilité psychologique. Ça s’était calmé avec les années, je retrouvais une vie normale. Ma candidature va réactiver beaucoup de choses. Ça va être important de faire tout ensemble.

Olivier Besancenot s’est mis à utiliser Twitter. Est-ce que vous allez vous y mettre vous aussi ?

Oui effectivement, Olivier m’a dit qu’il fallait que je le fasse. Il est devenu fan du tweet. Il m’a dit que ça avait même un côté ludique pour lui. On en discute car ça fait partie de ces choses auxquelles on n’est pas habitués. Beaucoup de politiciens l’utilisent. Je vais voir. J’utilisais plutôt Facebook jusqu’à présent, j’écris une fois pas semaine. Ce sont des outils grâce auxquels on peut faire passer des idées, faire discuter, faire réagir. Je pense que c’est important à faire, il faut juste prendre l’habitude.

Propos recueillis par Mathieu Dejean