Publié le Dimanche 4 mars 2012 à 21h45.

Poutou, et le candidat fut (TF1.fr)

Philippe Poutou, anticandidat désigné, a surpris tout le monde lors de ses dernières prestations télévisées. Retour sur l’avènement médiatique d’un homme comme tout le monde.

Avant, il était moqué. Anonyme propulsé sur la scène médiatique à son corps presque défendant, Philippe Poutou a failli être mis K-O dès sa première apparition chez Laurent Ruquier. L’ouvrier connaît ses machines à fabriquer des boîtes de vitesse, mais l’homme ne savait rien de la machine médiatique. De ses codes, de ses exigences, de sa brutalité. Pour son baptême du feu, il s’est brûlé. Par inexpérience, par innocence aussi. Car Philippe Poutou n’était préparé à rien, ne s’attendait à rien : "C’est mieux comme ça. Ca m’a permis de ne pas y réfléchir. Car plus on réfléchit...". Philippe Poutou-candidat, c’est d’abord une histoire écrite nulle part. En mai 2011, Olivier Besancenot annonce qu’il ne se représente pas. "Personne ne s’était vraiment posé la question de qui allait le remplacer, relate Isabelle Ufferte, responsable NPA en Gironde. Ce sont les camarades de boulot de Philippe qui ont envoyé un mail à la direction. Au début, il a pris ça en souriant". Finalement, le 25 juin 2010, la décision tombe : Philippe Poutou, 44 ans, ouvrier à l’usine First-Ford de Blanquefort, sera le candidat NPA. Désigné avec une faible majorité, représentant d’un parti divisé, l’homme doit aussi faire face au spectre Besancenot. "Olivier, on avait oublié qu’il était facteur. Il avait une image remarquable, alors forcément les gens ont fait des comparaisons. A tort", explique Isabelle Ufferte. Cet héritage d’un aîné trop brillant a pesé sur les épaules du frêle Poutou. Malgré ses années de lutte syndicale, ("c’est pas comme si j’étais le petit mec du coin", dit-il ), l’ouvrier peine à occuper son trop grand habit de candidat.

Parole tenue

Et puis, il y a ce 27 février 2012. Philippe Poutou est invité de Mots Croisés aux côtés de Nathalie Kosciusko-Morizet, Louis Aliot et Jérome Cahuzac. Face à ces pros de la politique, personne ne donne cher de lui. Contre toute attente, les téléspectateurs le voient répondre, répliquer, riposter, argumenter, ne rien lâcher. Même sa voisine polytechnicienne se fait tâcler. Sur Twitter, la prestation enthousiasme et étonne les internautes : "Une étoile médiatique est née", "ce soir Philippe Poutou crève l’écran, l’oscar du candidat décoiffant c’est pour lui, " A star is born" , "Poutou lâche les freins et colle au mur NKM qui reste sans voix". Ultime compliment : "le facteur Besancenot a trouvé son successeur". Sa transformation surprend jusqu’au sein de son parti. "On a l’impression que ce n’est pas la même personne", commente Christine Poutin, porte-parole du NPA.

Alors, sursaut d’orgueil, fin des complexes ou inévitable apprentissage ? Sûrement un peu des trois. Philippe Poutou lui-même n’explique pas vraiment ce qui lui est arrivé. "A force de redire les choses, ça finit par se normaliser", avance-t-il sans conviction. Il reconnaît une chose : sa préférence pour le débat. Un héritage de son combat syndical : "Les rapports étaient les mêmes avec les dirigeants de Ford Europe. Y’a le gros et le petit. Là, c’est pareil. Les gens te prennent de haut. Pour eux, l’ouvrier faut qu’il reste à sa place, et qu’il laisse faire les professionnels de la politique".

Face à ces bêtes médiatiques, le candidat Poutou détone et séduit. "Depuis deux jours, c’est dément. On reçoit plein de mails, relate Alain Krivine, candidat LCR en 1969 et 1974. Les gens sont très enthousiastes, ils le découvrent. Ils disent "il est comme nous, il vit, il parle comme nous"". Et le candidat Poutou a pu apprécier sa nouvelle notoriété au cours de la marche contre l’austérité à Paris. "Ca change, c’est extra. Les gens me reconnaissent, ils me soutiennent, me font des signes dans la rue". Mais les paroles qui le touchent le plus, ce sont celles de ses collègues d’usine. "Ils m’ont dit "super, super", ils étaient fiers. Je suis un petit bout d’eux, alors c’était aussi leur victoire".

Election oblige, l’ouvrier passe de moins en moins de temps dans son usine. En avril, il se consacrera tout entier à battre la campagne. Pourtant, ce retour en Gironde,il le confie, lui "fait du bien moralement. Ca a un côté stabilisant". Philippe Poutou "veut bien faire" et surtout "ne pas gaspiller le petit espace" qui lui est donné "pour faire passer son message". Alors, les caméras, les objectifs, les plateaux ,"il fait avec, mais ne sera jamais à la télé comme un poisson dans l’eau". En attendant, tout le monde sait désormais que c’est lui qui assure la tournée électorale. L’inconnue demeure quant à savoir si cette naissance médiatique sera suivie dans les sondages. Pour le moment, le candidat NPA n’atteint pas le 1% des voix. Mais Alain Krivine, veut croire que l’histoire se répétera : "en 2007, Olivier était au même point". Et puisque Philippe Poutou s’inscrit dans les pas de son successeur, pourquoi ne pas y croire ?

Pauline Soudanne