Publié le Mercredi 29 mai 2019 à 14h50.

Quelques leçons du scrutin européen

Si Emmanuel Macron a échoué dans son pari de voir la liste LREM se classer en tête des élections européennes, il serait hâtif d’en conclure que les résultats globaux du scrutin sont une défaite en rase campagne pour le pouvoir en place. Car les votes de dimanche dernier, si on tente de les observer avec un peu de nuance, montrent que Macron et les siens ont partiellement réussi leur pari, notamment celui consistant à construire une polarisation LREM-RN et à reléguer loin, très loin, tout autre prétendant aux responsabilités. Il est beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions définitives du scrutin européen, notamment dans une période d’instabilité où les déplacements de voix peuvent être rapides, mais il n’en demeure pas moins que certaines tendances, pour le moins inquiétantes, se dégagent.

Avec des scores de 6,19 % pour le Parti socialiste et de 8,48 % pour Les Républicains, la tendance déjà à l’œuvre lors de la présidentielle de 2017 se confirme, en se renforçant : les deux partis qui ont, au cours des dernières décennies, assuré l’alternance dans la gestion de l’État et des affaires de la bourgeoisie, s’effondrent. On se souviendra qu’en 2014, ces deux courants avaient réuni respectivement 13,98 % et 20,81 % des voix, lors d’un scrutin déjà remporté par l’extrême droite de Marine Le Pen. La France fait partie de ces nombreux pays dans lesquels les classes dominantes sont en recherche d’une représentation politique stable, et éprouvent de grandes difficultés à la trouver. Mais à l’échelle européenne, on peut relever la stabilité ou le retour de certaines formations « traditionnelles » (plus de 30 % pour la social-démocratie dans l’État espagnol, une CDU-CSU allemande en recul mais tout de même aux alentours de 29 %, le Parti populaire autrichien et le Parti social-démocrate d’Autriche aux deux premières places, etc.). 

Semi-échec pour Macron

La 2e place de Macron est en effet, à bien des égards, un échec. À l’échelle des principaux pays européens, et à l’exception de la Grande-Bretagne, qui traverse une crise bien spécifique, LREM est en effet la seule formation politique détenant le pouvoir qui n’arrive pas à se classer première lors du scrutin. Une confirmation de la faiblesse de la base sociale et électorale de Macron, a fortiori dans la mesure où les premiers chiffres indiquent que LREM a considérablement « mordu » sur l’électorat traditionnel de la droite et donc, logiquement, et ce malgré le chantage au « rempart » face à l’extrême droite, perdu une partie significative de ses électeurEs de 2017. Selon les données disponibles, Macron ne retrouverait que 54 % de ses électeurEs de 2017, contre 80 % pour Le Pen et le Rassemblement national. Autant dire que l’instabilité demeure et que celui qui avait été vu en 2017, par d’importants secteurs de la bourgeoisie, comme une solution pour sortir de la crise des institutions de la 5e République, fait aujourd’hui partie du problème.

Mais, dans le même temps, les petits calculs de Macron et des siens ont réussi : en contribuant, par des politiques et des discours ultralibéraux et réactionnaires, à l’effondrement de la droite dite républicaine, et en installant l’extrême droite comme seule opposition crédible, Macron continue d’apparaître, pour les classes dominantes, comme le moins mauvais choix. Ce qui ne va pas manquer de l’encourager à poursuivre ses contre-réformes et ses politiques autoritaires, en continuant d’affirmer qu’« il n’y a pas d’alternative »… sinon l’extrême droite. La porte-parole de LREM Aurore Bergé a ainsi pu déclarer, sans ciller, aux lendemains du scrutin : « Les Français ont fait le choix de rompre avec le clivage entre la droite et la gauche. Et nous sommes les seuls capables de battre l’extrême droite. Aujourd’hui nous devons maintenir notre cap et notre cohérence. » Autant dire que de nouvelles batailles se préparent… 

Face au danger de l’extrême droite, la gauche au plus bas

Et ce n’est pas du côté de la gauche que l’espoir est permis, avec un score cumulé historiquement bas, une chute vertigineuse de la FI et, dans les rapports de forces internes, un score cumulé FI-PC inférieur au score PS-Génération·s (8,8 % contre 9,5 %). Les seuls à sembler tirer leur épingle du jeu sont les écologistes, avec 13,47 % des voix, ce qui confirme, malgré les dynamiques contradictoires au sein de l’électorat d’EÉLV, que la gauche est au plus mal. Yannick Jadot, tête de liste EÉLV, n’a en effet eu de cesse de répéter durant la campagne que l’écologie qu’il défendait n’était « ni de droite ni de gauche », et qu’elle était compatible avec une économie de marché. Des déclarations en complet décalage avec la radicalité qui s’exprime, notamment dans la jeunesse, sur les questions de justice climatique, et avec la compréhension que c’est bel et bien « le système » qu’il faut changer. Mais c’est toutefois EÉLV qui semble bénéficier des légitimes préoccupations écologiques, ce qui démontre que des batailles restent à mener pour convaincre que l’écologie est incompatible avec le capitalisme. 

À l’extrême gauche, le score de la liste de LO (0,78 %), pour laquelle le NPA avait appelé à voter, ne traduit pas de dynamique permettant d’espérer, en l’état actuel des choses, une inversion de la tendance. La campagne de LO, peu en phase avec les mobilisations concrètes et articulée autour d’un mot d’ordre très général de dénonciation du « grand capital », n’a probablement pas aidé, mais c’est avant tout la difficulté à construire des mobilisations victorieuses, redonnant de l’espoir et du crédit à l’idée de la possibilité d’un changement radical de société, qui permet de comprendre le manque de crédibilité des propositions des organisations anticapitalistes et révolutionnaires. 

Reconstruire un projet émancipateur

Au total, et même si les résultats du 26 mai traduisent des tendances bien réelles, on ne peut qu’être d’accord avec Barbara Stiegler : « Les résultats sortis des urnes ne rendent absolument pas compte de tout ce qui s’est produit d’inouï, de complètement inédit dans notre vie politique depuis six mois. Où est le mouvement des Gilets jaunes dans les urnes ? Nulle part. Cette distorsion spectaculaire montre qu’il y a un dysfonctionnement majeur dans notre démocratie. »1 Un dysfonctionnement majeur qui, malgré ses jérémiades « anti-système », bénéficie aujourd’hui en premier lieu à l’extrême droite, dont les résultats témoignent d’un ancrage bien réel, entre autres dans les catégories populaires, même si c’est l’abstention qui domine toujours chez ces dernières. Les élections du 26 mai sont un avertissement : sans mobilisation sociale d’ampleur débouchant sur une ou des victoires et sans construction d’autres perspectives, autour d’un projet émancipateur, que la vraie fausse alternative Macron-Le Pen, ces élections européennes pourraient s’avérer être une répétition générale de la présidentielle de 2022, avec l’hypothèse du pire.  

Julien Salingue

  • 1. « Barbara Stiegler : "Ce scrutin ne rend pas compte de ce qui s’est produit d’inouï en six mois" », liberation.fr, 27 mai 2019.