Publié le Mercredi 13 décembre 2017 à 17h58.

28% des actes médicaux sont-ils inutiles ?

Le chiffre a fait grand bruit. Il a envahi la « une » des médias pendant plusieurs jours. Selon une étude commandée par la Fédération hospitalière de France (FHF, émanation des directions d’hôpitaux), 28% des actes médicaux pratiqués en France seraient inutiles.

L'enquête a porté sur la fréquence, département par département, de cinq actes chirurgicaux : -césarienne, pontage coronarien, chirurgie de la colonne vertébrale, pose d’un stent, chirurgie du cristallin. Elle montre des disparités considérables et, pour le moins, troublantes. L’écart peut aller de 1 à 30 pour le pontage coronarien. Il peut être de 1 à 20 dans le cas des césariennes.

Logiques marchandes 

Cette étude statistique, qui porte seulement sur la chirurgie, ne démontre ni les conclusions ni les « chiffrages » (les 28 %) avancés par la FHF. 

L’ampleur des écarts constatés laisse toutefois planer une forte suspicion d’actes chirurgicaux pratiqués sans discernement, voire totalement inutiles.

La FHF attire l’attention sur une réalité incontestable, conséquence de l’introduction de logiques marchandes dans le système de santé, et sur les dérives qu’elles engendrent. 

Un système confié à des acteurs privés, dont la rémunération dépend du nombre d’actes pratiqués et de leur « rentabilité », incite à la multiplication des actes, et au choix des plus lucratifs, ainsi qu’à la sélection des patientEs.

Mutation des patientEs en clientEs

Cette logique a toujours pesé sur la médecine libérale « à l’acte » et les établissements privés commerciaux. Avec les réformes libérales des années 2000 et l’instauration de la « tarification à l’activité », elle s’est étendue aux établissements publics.

La pratique systématisée de la césarienne lors de l’accouchement, citée par l’étude, en fournit un bon exemple. Une intervention chirurgicale peut être nécessaire dans l’intérêt de la mère et de l’enfant. Son utilisation systématique relève, à l’inverse, d’une logique purement économique.

La programmation des accouchements à heure déterminée permet la réduction des coûts de personnel. La césarienne est, par ailleurs, un acte mieux valorisé, dans les barèmes, que l’accouchement simple (très peu « rentable »). Elle est donc plus -rémunératrice pour l’établissement.

L’irrationalité d’un système faisant intervenir, de manière mal coordonnée, une multitude d’acteurs libéraux et hospitaliers, favorise la répétition d’examens ou d’actes inutiles, tout comme la mutation du patienEt en clientE, « consommateur » et non acteur, de ses soins.

Une dénonciation dans quel but et pour quelles solutions ?

La dénonciation d’un système qui produit les actes inutiles est justifiée. Encore faudrait-il que ce soit pour permettre à touTEs d’accéder à des soins pertinents, de qualité. Telle n’est ni la perspective de la FHF ni celle de la ministre Buzyn. Cette dernière a ainsi mis en avant le chiffre de 30 % d’actes inutiles pour justifier l’accroissement de l’austérité budgétaire et les coupes dans les budgets hospitaliers, à l’occasion du vote de la loi de financement de la Sécurité sociale.

La « pertinence des soins » devient alors le paravent idéologique garantissant seulement un « panier de soins » très réduit. Au-delà, seuls celles et ceux qui en auront les moyens (par leur assurance complémentaire ou leur fortune personnelle) pourront s’assurer des soins de qualité et même s’offrir, s’ils le veulent, les prestations les plus inutiles et les moins « pertinentes ».

Jean-Claude Delavigne