Publié le Mercredi 16 décembre 2020 à 09h42.

Contre le Covid en Europe, leurs stratégies et la nôtre

Avec le froid et l'humidité de l'automne, une deuxième vague de Covid 19 se répand partout en Europe, même dans les régions — Balkans, Europe de l’Est — qui avaient été épargnées par la vague du printemps. Lors de sa dernière conférence de presse, Jean Castex a osé déclarer que la France faisait mieux que ses voisins européens. Il fallait oser, quelques jours après les rapports parlementaires d'enquête sur le Covid, qui pointaient les mensonges du gouvernement sur les masques et l'effondrement de la politique des tests.

« Immunité collective » ?

À l'échelle internationale, les USA de Trump et le Brésil de Bolsonaro, ont appliqué la théorie de l'immunité collective, le capitalisme « comme d’habitude », quoi qu'il en coûte en termes de morts. 300 000 morts aux USA et une épidémie qui continue à croitre. En Europe, la Grande-Bretagne de Boris Johnson a semblé vouloir emprunter ce chemin. Mais a dû abandonner cette politique, quand ses effets dramatiques en termes de mortalité et de saturation du NHS, le service public de santé, sont devenus évidents. La Grande-Bretagne avait à la fin du printemps, au sortir de cette politique, un taux de mortalité à peine inférieur à l'effroyable bilan italien, premier pays européen à être frappé par la vague du Covid. 

La Suède est encore un cas différent. Un modèle de gestion « douce » de la pandémie pour les uns, un exemple qui démontre le faible danger du Covid pour certains autres, avec l'absence de confinement et un Anders Tegnell, épidémiologiste en chef et responsable de fait de la réponse au Covid en Suède qui n'hésite pas à déclarer que le masque est plus dangereux qu’utile. Bien peu ont noté l’auto-confinement d’une partie de la population suédoise, une allocation enfant maladie généreuse et des règles souples de présence en entreprise qui permettent de s'isoler facilement en cas de maladie, une habitude du télétravail, la fermeture des lycées et universités, ou la limitation des rassemblements. Mais les chiffres sont là. Une mortalité peu différente de la France, qui pourrait faussement rassurer, mais si on veut la comparer à ce qui est comparable en termes d’humidité/température, d’âge et surtout de densité de population, dix fois plus de morts en Suède qu’en Norvège voisine. Dont une surmortalité terrible chez les personnes âgées, très peu hospitalisées, certains disent abandonnées, faute de place dans les hôpitaux. Elles représentent seulement 13% des hospitalisations Covid, mais 75% des décès. On abandonne bien les vieux semble dire Tegnell qui, dans un mail révélé par le Times, ose déclarer que « 10% de surmortalité chez les personnes âgées serait acceptable en échange d'une immunité collective ». Il n’y a a toujours pas d’immunité collective, ni en Suède, ni aux USA ou au Brésil.

Stop and go

La plupart des autres pays européens ont opté pour la politique du stop and go face au Covid. Ils intègrent un rapport de forces social, qui interdit aux bourgeoisies d'abandonner trop ouvertement la santé au profit de l'économie, et leur impose périodiquement de protéger — bien mal — leur population en bloquant avant qu'il ne soit trop tard certains secteurs de l'économie, toute vie sociale et culturelle, puis de relancer dès que possible les secteurs les plus lucratifs de la société, au risque de relancer aussi la pandémie, et de réduire la vie de millions de personnes à un métro-dodo-boulot insupportable. Cette politique n'a pas évité la deuxième, et pourquoi pas la troisième vague, et a aussi signifié l'abandon de toutes les autres pathologies.

Alors la France, bon élève du stop and go ? C'est ce que voudraient faire croire les responsables de La République en marche, quand ils se félicitent des 12 000 contaminations par jour de la France qui réouvre progressivement, ajoutant que l'Allemagne en est à 20 000 par jour, obligée de se reconfiner. C'est oublier que, mi-octobre, la France de Macron était à près de 55 000 contaminations jour. Qu'il a fallu atteindre ce chiffre pour que le gouvernement réagisse avec beaucoup trop de retard, le 17 octobre, puis devant l'inefficacité des mesures trop tardives, le confinement le 29 octobre, après plus de deux mois de perte de contrôle de l'épidémie, avec l'embolisation du sytème des tests, un traçage et un isolement inefficace. Austérité oblige, les hôpitaux français sont autour de 5000 lits de réanimation, bien loin des 12 000 lits annoncés par Véran. Ils sont 15 000 en Allemagne. Donc l'Allemagne a réagi plus vite, dès la perte de contrôle de l'épidémie, alors même qu'elle avait une capacité hospitalière supérieure. Mais il fallait relancer l'économie française. Pour Bruno Le Maire, la priorité, c'était la réforme des retraites, et pour Darmanin la lutte contre le « séparatisme » et les attaques contre nos libertés !

L’expérience Covisan

Mais les exemples opposés de la Haute-Savoie et de l'île-de-France montrent aussi ce qui fait la différence face à la pandémie. La Haute-Savoie, département semi-rural de montagne, le plus touché par la pandémie en novembre (1121 nouveaux cas pour 100 000 habitantEs contre 425 au niveau national sur la même période) a tardé à réagir face à la vague Covid. Peu de réaction du préfet ou de l'ARS face à ce tsunami en avance sur la vague nationale. Et la population, qui avait été peu frappée par la première vague, n'avait guère intégré les gestes barrières et les distances de sécurité. Si les tests étaient bien là, le traçage défaillant, et encore plus l'incapacité d'expliquer et d'organiser l'isolement ont fait exploser, plus qu'ailleurs, les contaminations familiales. Ce retard s'est payé par un taux de mortalité exceptionnel, notamment dans les Ehpad.

Sur la même période, une évolution diamétralement opposée en Île-de-France, avec une baisse du nombre de cas, en zone urbaine dense pourtant, qui montre un autre possible. Une des clefs d’explication est Covisan, un programme qui propose de s'allier avec les patients infectés, de prendre contact avec eux pour voir comment protéger leurs proches. Inspiré de la lutte contre le choléra aux Comores et à Haïti, ce projet pilote initié par Renaud Piarroux, chef de service à la Pitié-Salpêtrière, mobilise des équipes de l'AP-HP,  de la mairie de Paris, des médecins généralistes, MSF, Croix Rouge… pour créer des équipes mobiles qui essayent de construire avec les patients Covid les moyens de protéger leurs proches, d'informer les contacts, donc bien plus que la distribution de masques ou de gel. Co-fabriquer de la prévention avec les malades eux-mêmes : un projet qui, à Haïti, a permis d'éteindre en deux ans une épidémie de choléra, importée par les soldats népalais de l'ONU, malgré la défiance et la faiblesse des systèmes de santé. Avec une dizaine d'équipes, une centaine de personnes, près de 50 000 cas ont été accompagnées en Île-de-France, bien plus si on ajoute leurs proches. 

Une autre voie est possible

À l'opposé de ce dispositif de santé communautaire, face à l'insuffisance du traçage par la Sécu, souvent un simple appel ou SMS, le gouvernement a été tenté de faire passer une loi pénalisant lourdement les « fautes » d'isolement. Devant la levée de boucliers et le risque de multiplication des refus de tests, il a abandonné cette idée. Et Castex de nous promettre partout des équipes qui, en 24 heures, vont aller conseiller les patients. Mais qui, et avec quel budget, quand on sait que le dispositif Covisan, il y a peu, était menacé de coupes budgétaires ?

D'autres exemples existent, plus militants, de volonté de prise en charge communautaire de la lutte contre le Covid-19. À Madrid, dans le quartier pauvre de Lavapiés, associations et habitantEs ont monté des caisses de solidarité pour les plus démunis, un réseau citoyen d’interprètes (bengali, wolof, arabe dialectal…), formé une soixantaine de médiateurEs au sein des populations migrantes, en lien avec les centres de santé publics et les espaces de « santé communautaire » mêlant habitantEs et médecins. Dans d'autres quartiers, ce sont des femmes de ménages étrangères, souvent latino-américaines et sans papiers, qui s'organisent face au Covid, pour les droits sociaux et leur régularisation. Car les populations les plus précaires sont les plus victimes du Covid, en Espagne comme en France. Avec une mortalité qui grimpe de 88% dans les communes françaises les plus modestes, contre 50% ailleurs. 

Ni immunité collective à la Trump ou Bolsonaro, ni stop and go qui n'a pas évité la deuxième vague et qui réduit nos vies à la production de leurs profits, une autre voie qui conjugue défense des hôpitaux face à l'austérité, réorganisation de la société en fonction des besoins, mobilisation communautaire des usagerEs, des associations et des professionnelEs de santé, dans une lutte commune contre le Covid, mais aussi pour l'ensemble des droits.