Publié le Mardi 2 juin 2020 à 10h25.

« Le développement d’un cluster est-il imputable à la volonté de maintenir la rigueur budgétaire ? »

Nous avons rencontré le secrétaire du syndicat CGT du Centre hospitalier de Mortagne-au-Perche. Un établissement particulièrement touché par le Covid19.

En quoi avez-vous été particulièrement touchés ?

Établissement de troisième ligne, nous aurions dû être l’arrière-garde de la lutte contre le Covid pourtant, aujourd’hui, nous sommes qualifiés de « Cluster ». Pour nous, la reconnaissance de cet impact sur le Centre Hospitalier par l’État s’exprime dans le décret du 14 mai 2020 sur la prime Covid où nous sommes nommés à l’annexe 2 permettant d’accéder à l’article 8 (prime de 1500 euros hors département les plus touchés). Nous sommes le seul établissement de troisième ligne de basse Normandie dans cette situation, les deux autres établissements concernés étant Alençon (deuxième ligne) et Caen (première ligne).

Quels sont les raisons de ces contaminations en « cluster » de patients mais surtout d’agents ?

L’explication invoquée, toujours à l’oral, par la direction est que les contaminations seraient du fait des soignants qui, en salle de pause, n’auraient pas suffisamment respectés les « gestes barrières », argument confortable pour justifier leurs propres manquements. Pour nous, le manque de communication, l’absence de concertation dans les décisions, et le peu de prise de position claire en cellule de crise sont à l’origine de ces contaminations.

Lors du premier mois de crise sanitaire, la direction semblait plus attachée à communiquer sur les dons des commerçants locaux que sur les éléments qui nous auraient éviter de « naviguer à vue » dans les services. En effet, il n’y a eu quasiment aucune communication sur le Covid.  Sur le fond, nous manquions d’informations et de directives. Plusieurs agents ont été mis à mal dans leur pratique professionnelle face au Covid, jusqu’à subir des pressions importantes, alors que nous n’avions encore aucune directive de la direction. Par exemple, la première note d’information sur le port du masque est parue cette semaine au-delà d’un flash info mi-avril (adressé au grand public par l’établissement). Nous attendions des directives claires sur quels types de masques, de tenues, on devait porter où et quand... Actuellement, tous les personnels n’ont pas encore ces informations.

Nous avons donc décidé de fonder un syndicat au sein de l’établissement (nous étions jusqu’alors rattachés à celui du Centre hospitalier de L’Aigle). Nous avons, à la suite de cette fondation, réalisé deux tracts : un premier dénonçant la situation de l’établissement et un second réclamant la distribution de la prime Covid de 1 500 euros à tous les agents et la mise en place d’une consultation de la médecine du travail en lien avec les nombreuses contaminations d’agents (nous n’avons plus de médecine du travail depuis deux ans sur l’établissement).

Pour nous, cette situation exceptionnelle n’est pas tant le résultat de l’incompétence de notre direction à faire face à la crise mais semble plutôt liée à une volonté – même lors de la crise sanitaire – de maintenir la rigueur budgétaire de l’établissement coûte que coûte et de « passer pour le bon élève » auprès de l’ARS. Ainsi, 17 lits Covid ont été ouverts en Médecine dans un établissement qui compte 98 lits de Médecine et Soins de suite et réadaption. Les soignants Covid+ asymptomatiques ont été maintenus en activité dans les secteurs Covid. En plus de n’avoir d’autre choix que d’exposer leurs collègues, ils ont du eux même en faire les frais en venant travailler en étant contaminé (sentiment d’être des « pestiférés », terme loin d’être anodin et qui reviendra régulièrement dans la bouche des soignants). Les masques n’ont jamais manqué mais les surblouses ont fait défaut et il a été décidé de laver les tenues à usage unique (avec un important pourcentage de perte et exposant les agents qui étaient chargés de les nettoyer).

Combien d’agents contaminés ?

Nous n’en avons aucune idée car la direction ne communique pas non plus sur ce chiffre. Certains cadres ont eu le privilège de l’avoir les premiers jours puis l’information (inquiétante ?) a été confinée à la cellule de crise.

Au moment critique du « cluster », 169 personnes, dont une grande majorité d’agents du sanitaire, ont été testées par prélèvement nasal. Six ont été dépistés positifs. En l’absence de médecine du travail, c’est la DSI (direction des soins infirmiers) qui recevait les résultats personnels des tests et les donnait aux cadres des services. L’annonce s’est donc faite par le « bouche à oreille », sans aucun respect de la confidentialité et du secret professionnel alors qu’il s’agissait d’une donnée médicale…

Suite à l’évidence de ce « cluster », l’ensemble des services sanitaires (sauf les urgences et le SMUR) ont été fermés pour désinfection. Si cette décision est présentée comme étant celle du directeur, nous avons peu de doute sur le fait qu’elle découle de l’ARS Normandie et du CPias (Centre d'appui pour la prévention des infections associées aux soins). Les agents ont été placés en congés « forcés » ou réaffectés en EHPAD (logique pour préserver ces services du Covid…). Certains ont été affectés à la désinfection des locaux. Ces agents ont été rappelés la veille pour le lendemain sans aucun respect du délai de prévenance (pratique habituelle dans l’établissement).

Côté patient, des dizaines ont été transférés vers d’autres établissements. Certains à plus de 80km de chez eux. L’établissement n’a plus été en mesure d’assurer ses missions de service public sur le territoire.

Comment organisez-vous la résistance par rapport à cette situation ?

Notre syndicat naissant a signalé ces éléments par des tracts. Nous nous inscrivons dans les mar(re)dis de la colère organisés par l’USD CGT Santé. Un rassemblement a eu lieu mardi dernier devant le CH d’Alençon avec plus d’une cinquantaine de personnes, un autre est prévu mardi prochain devant le CH de L’Aigle. Étant encore peu implanté chez nous, nous avons décidé d’attendre pour ce type d’action. Nous nous réunissons, nous réfléchissons, nous échangeons par les divers moyens que nous avons à notre disposition, car forcément, nous n’avons pas de délégation syndicale étant nouvellement implanté. 

Les informations nous arrivent au compte-goutte par la direction puisque nous ne sommes pas élus aux instances représentatives du personnel. A l’inverse, les agents nous font part, toutes les semaines, des dysfonctionnements de l’établissement. Néanmoins, en raison de la petite taille du Centre Hospitalier, les agents ont l’impression d’être facilement identifiable et redoutent donc de subir des représailles vis à vis de ce qu’ils nous communiquent. La dessus, je ne suis pas en reste, il y a quelques jours j’ai reçu de la direction une « invitation à discuter » sur mon positionnement professionnel... ce n’était jamais arrivé depuis que je suis sur l’établissement.

Au moins les choses bougent ! Après que nous ayons dénoncé l’absence de communication, toute une série de procédures internes ont été communiquées. Elles ont été publiées cette semaine mais semblent datées du début du mois... la veille de la parution de notre premier tract...

La création d’un syndicat CGT n’a pas été bien vécu dans l’établissement, les agents craignent de parler, nous avons même appris que des « enquêtes » auraient été menées pour savoir d’où venaient les informations que nous avions publiées dans nos tracts... Une belle criminalisation de l’action syndicale par une direction à la solde de la casse de l’hôpital publique depuis de nombreuses années et ce n’est pas terminé, malgré tout ça il est encore difficile d’obtenir de quoi se protéger du Covid. Dans les paroles, il est pourtant prétendu le contraire mais dans les actes la prévention et la protection des agents passent après la rigueur budgétaire. Nous nous préparons pour le retour à l’anormal.

 

Références : 

Page Facebook @CGT CH MORTAGNE

https://actu.fr/normandie/mortagne-au-perche_61293/face-covid-19-lhopital-mortagne-perche-se-reorganise_32679618.html

https://actu.fr/normandie/mortagne-au-perche_61293/a-lhopital-mortagne-perche-patients-non-atteints-par-covid-19-transferes_33333672.html

https://www.ouest-france.fr/normandie/mortagne-au-perche-61400/mortagne-au-perche-un-syndicat-cgt-l-hopital-6844686