Publié le Mercredi 10 juin 2015 à 09h32.

Besancenot : “Mettre les services publics sous le contrôle des salariés, des usagers et des habitants” (La Montagne, 10/06/2015)

Olivier Besancenot : "Mettre les services publics sous le contrôle des salariés, des usagers et des habitants" (La Montagne, 10/06/2015) A  quelques jours de la manifestation nationale pour les services publics de Guéret, le populaire leader du NPA et plus célèbre postier de France délivre un message offensif. Olivier Besancenot avait manifesté dans la préfecture de la Creuse en 2005, mais il sera retenu samedi à son guichet parisien, pour raison de... service.

Il paraît que votre poste est menacé dans votre bureau du XVIII e arrondissement ? Comme des dizaines de bureaux en France voire des centaines, on est confrontés à une réorganisation qui ferme des guichets, qui supprime des emplois, qui externalise un maximum de tâches et qui cherche à faire faire à moins de monde autant d’objectif. Donc, on résiste à ça. Après le week-end de Guéret, on va être en grève dès le lundi.

Il n’y a donc pas que les territoires ruraux qui trinquent… C’est ce qu’on se disait justement il y a quelques jours : on est en train de devenir comme la Creuse ! C’est le point commun entre les quartiers populaires et les zones rurales. Dans tous les endroits où il y a un potentiel à faible valeur ajoutée, comme dit la direction de la poste, on ferme un maximum de prestation pour se recentrer sur les zones où on peut faire du chiffre. C’est tout le contraire d’une mission de service public.

En sachant que La Poste est une entreprise qui touche des subventions par le biais du Crédit d’impôt compétitivité-emploi. C’est 300 millions d’euros par an pour soi-disant créer de l’emploi et l’année dernière cela a servi à supprimer 4.500 emplois. La question devient directement politique. Le Gouvernement aurait son mot à dire.

Ces grands groupes publics qui fonctionnent comme des entreprises privées devraient-ils retourner dans le giron de l’état ? Il faudrait rétablir des services publics qui ont le monopole de l’activité mais aussi modifier ces services publics et les mettre sous le contrôle des salariés, des usagers, des habitants, qui ont plus que leur mot à dire. Tant qu’on n’aura pas un droit de regard sur le fonctionnement des services publics, ils fonctionneront comme des entreprises privées. La Poste en est un bon exemple.

Paradoxalement, les Français souffrent de l’austérité, des serrages de boulons partout, mais électoralement, ce sont les valeurs de droite qui gagnent du terrain. On constate surtout que les gens ne vont plus voter. Il y a un dégoût des partis politiques et de la représentation politique en général. Le discours des uns et des autres ne fait qu’alimenter, que sponsoriser le Front National. On a l’impression que tous courent après ses idées. Le défi pour la gauche radicale ce serait d’assumer l’opposition au gouvernement et de fédérer toutes les forces dans un nouveau mouvement qui reste à construire. Malheureusement, pour le moment on en est loin. Si on veut se mettre à l’heure grecque ou espagnole il faut comprendre que là-bas il y a eu de très forts mouvements de contestation sociale, qui ont permis à des gens de faire de la politique alors qu’ils n’étaient pas dans les partis traditionnels. Cette dynamique-là, on peut la retrouver justement dans des rassemblements comme Guéret. C’est pour ça que Guéret ça va au-delà de la simple lutte.

Les partis de la gauche de la gauche ne sont-ils pas freinés par des querelles de chapelles pour structurer un tel mouvement citoyen ? On est dans une phase où la solution ce n’est pas un cartel d’organisations. Ca, on a prouvé qu’on était incapables de le faire. Il n’y a pas de raison que demain ça marche mieux. En revanche on peut imaginer qu’un nouveau type de mouvements voit le jour à partir du moment où des acteurs et des actrices du mouvement social décideront de construire un outil, qui soit leur outil et qui parle en leur propre nom. Et dans lequel s’intègrent des organisations. Mais pas forcément comme levier principal. Enfin, personnellement, je n’y crois pas trop.

Vous n’avez pas peur d’être débordés justement par ces mouvements populaires spontanés ? Non, au contraire, être débordés, on n’attend que ça. La solution elle est là et pas ailleurs.

La contestation la plus radicale aujourd’hui, en France, se focalise sur l’environnement, les grands projets inutiles. Comment votre formation et l’extrême gauche en général se situe par rapport aux Zadistes ? On est très présents dans ces mouvements. On y côtoie effectivement toute une génération radicalisée et politisée au bon sens du terme, mais qui est sans parti et généralement ne veut même pas entendre parler des partis. C’est la preuve qu’il y a des capacités de mobilisation sur des questions précises, comme les grands projets inutiles, la question des services publics, ou le fonctionnement démocratique. Le problème c’est de trouver le chemin des convergences. Vers des objectifs communs, un mouvement qui nous mette ensemble et qui nous réunifie. C’est ça l’enjeu des prochains mois, au-delà du calendrier électoral qui est plutôt étouffant pour la vie politique.

 

Pensez-vous qu’il y a la place pour l’expérimentation dans le service public pour répondre aux besoins de la population ? Il y a une demande en tous les cas. Malheureusement ce n’est pas dans le logiciel des directions de nos services publics d’expérimenter de nouvelles fonctions, des projets qui n’ont pas de vocation rentable. Les demandes concrètes d’aide à la personne ne génèrent pas de chiffre d’affaires.

Si on vous dit « services au public », cela vous hérisse le poil ? Je sais que derrière les termes, il y a souvent des mauvais coups. Il y a aussi le service universel. On a toujours plein de mots savants pour cacher les vrais enjeux de ce qui est en train de se préparer. Pour nous, la question qui est posée, c’est de répondre concrètement aux besoins tels qu’ils sont. La question qui est posée est toujours la même que ce soit pour un hôpital, une école ou un bureau de poste : c’est, oui ou non, est-ce qu’on renoue avec l’idée de nos anciens qui a abouti au service public. C’est l’idée de pas simplement de maintenir, mais de préserver et de valoriser des services dans des endroits où en effet, objectivement, il n’y a pas de rentabilité.

Pour le service public que je connais le mieux, il existe la péréquation tarifaire?; on paye la même prestation pour envoyer un courrier de Nice à Paris ou de Paris à Paris. C’est l’idée que quelle que soit sa situation sur le territoire, quel que soit son revenu, on doit pouvoir communiquer.

La décentralisation peut-elle engendrer des progrès pour les usagers ? On a vu, par exemple, que les régions s’étaient emparées des TER et ont apporté une amélioration. Ce qui faut décentraliser c’est la démocratie, c’est les choix. Plus on donne le pouvoir à la population, plus elle est à même d’estimer ses propres besoins. Cela impliquerait une démocratisation active et donc un pouvoir aux salariés et aux usagers. Alrs que toutes les politiques libérales menées depuis trente ans consistent au contraire à centraliser les choix politiques. Les grandes décisions sont de plus en plus centralisées, ce qu’on décentralise c’est les budgets, dans une logique de mise en concurrence. Il faudrait faire exactement l’inverse : ce que nous proposons c’est un monopole de l’activité publique, qu’on exproprie les intérêts privés et qu’on interdise dans tel ou tel secteur l’activité de marché. Du coup il y a un budget centralisé, précisément pour permettre la péréquation tarifaire. Et décentraliser le pouvoir de décider à la population. On est pour un nouveau fonctionnement du service public du bas vers le haut et non l’inverse comme c’est le cas actuellement.

Quelles sont vos propositions offensives de développement des services publics ? Un fonctionnement qui débureaucratise les services publics. Pour nous l’enjeu ce n’est pas de remplacer un patron privé par un patron public. Mais c’est aussi les perspectives internationales. On devrait pouvoir imaginer qu’à l’échelle de l’Europe on fasse une coordination des services publics. Plutôt que les opérateurs publics se déguisent en opérateurs privés pour mener la guerre économique à d’autres opérateurs publics. Ce serait un des éléments de rupture avec l’Europe actuelle. Mais il faut des éléments concrets de construction d’une autre Europe. On a besoin à la fois de résister et de proposer et c’est tout l’intérêt de la campagne unitaire de Guéret : elle porte les deux à la fois et c’est une étape qui appelle une suite. Il faudra établir un rapport de force et pourquoi pas, après Guéret, imaginer une grande marche à Paris.

En ces temps d’austérité, peut-on aller vers la gratuité de certains services publics, notamment le transport ? Faire payer et faire respecter la tarification des transports représente  un coût exorbitant. Toute la politique de sécurité, de surveillance, de contrôle, c’est extrêmement cher, donc la gratuité n’est pas si coûteuse que ça paradoxalement. La deuxième chose, c’est qu’on ne peut invoquer la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique, notamment à l’approche du sommet mondial qui aura lieu à Paris à la fin de l’année, et s’interdire les seules réponses qui pourraient diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Et on sait que dans le domaine des transports, la gratuité provoquerait des changements profonds. Sauf à nous expliquer que les autocars seraient moins polluants que le train; ça ne tient pas la route?!

Propos recueillis par Julien Rapegno