Publié le Lundi 13 avril 2020 à 14h26.

La mairie de Paris ne protège pas ses agentEs du Covid-19

Depuis l’annonce de la fermeture des écoles puis l’annonce du confinement, la Ville de Paris a mis en place son « plan de continuité des services publics ». Les premiers jours après le 12 mars (première allocution de Macron) ont mis à jour la désorganisation complète des services. La mairie avait prévu de maintenir les bibliothèques et les musées ouverts le dimanche 15 mars, mais les agentEs ont exercé massivement leur droit de retrait, ce qui a contraint la ville à les fermer. Cela a été également le cas pour les bibliothèques, que la Ville de Paris prévoyait encore d’ouvrir le samedi 14 mars mais qui sont restées fermées suite au droit de retrait des agentEs. Dans d’autres services, le droit de retrait a été invoqué de façon individuelle car aucune mesure n’était prise pour protéger les agentEs ou le public des risques de contamination, faute de moyens techniques : gel, masques, gants, nettoyage adapté.

En l’absence de possibilités concrètes d’assurer le minimum de protection requise et de consignes claires, les situations ont été très différentes d’un site à l’autre, d’une direction à l’autre. Certains directeurEs de site ont mis plusieurs jours à réagir, des services sont parfois restés ouverts comme si de rien n’était pendant plusieurs jours. Au final, la mise en place de mesures de bon sens n’a été possible que lorsque les équipes et l’encadrement local se sont entendus en bonne intelligence. Dans d’autres cas, l’avalanche d’injonctions paradoxales (« Restez chez vous ! Venez travailler quoi qu’il en coûte ! ») a provoqué une désorganisation totale des effectifs.

Dans certaines directions, les instances CHSCT sont totalement ignorées par l’administration, tout se fait à marche forcée. La Ville a promis une prime de 35 € par jour de service sur site pour les agentEs qui continuent à travailler en présentiel. Toutefois cette prime n’est pas accompagnée des moyens de protection adéquats. C’est le salaire de la peur pour les personnels qui exercent les métiers les plus pénibles et les moins payés, à commencer par les aides-soignantEs. Les services publics si souvent critiqués sont donc pourtant en première ligne dans le cadre de cette crise, mais c’est une première ligne composée de tirailleurs et tirailleuses munis de lance-pierres.

Certains services considérés comme essentiels sont maintenus mais réorganisés. Les autres services ont été fermés ou continuent en télétravail totalement improvisé.Ainsi, les services qui continuent à fonctionner le font sur des compétences réduites. D’une manière générale, on distingue quatre secteurs indispensables qui doivent continuer à fonctionner en présence des agentEs : nettoyage des rues et collecte des ordures, écoles (pour l’accueil des enfants de soignantEs et plus récemment des travailleuses et travailleurs sociaux), crèches (même chose) et tout le champ de l’action sociale et médico-sociale (EHPAD, centres d’hébergement, services sociaux, protection de l’enfance). Dans tous ces secteurs, les moyens de protection les plus élémentaires ont été attendus pendant plus d’une semaine ou ne sont pas encore arrivés en nombre suffisant. Le scandale de l’absence de masques n’a pas épargné la Ville de Paris, et en particulier les EHPAD où l’on compte plus d’une trentaine de décès parmi les résidentEs et où la situation est particulièrement tendue. La Ville fait appel au volontariat des agentEs, mais des réquisitions sont envisagées devant le manque de personnel. Elle fait également, sans honte, appel au bénévolat des étudiantEs en travail social. Déjà dénoncé en temps normal, le sous-effectif devient catastrophique en période de crise.

AgentEs et public parisien, quand Paris fait le minimum, focus sur le secteur social

Contre toute logique, les services sociaux parisiens, chargés d’accueillir et d’accompagner les personnes dans le besoin, sont actuellement mutualisés (par exemple regroupement des services des 19ème et 20ème, 11ème et 12ème arrondissements, etc.). D’une part, regrouper les agentEs de différents services, même en effectif réduit, est particulièrement contre-indiqué. D’autre part, alors que le confinement met gravement en difficulté, y compris alimentaire, des ménages déjà précaires, par exemple des familles dont les enfants mangent habituellement à la cantine pour 30 centimes le repas, la fermeture de certains services de proximité sans réelle possibilité d’accès à ceux de l’arrondissement voisin laisse de nombreuses personnes dans le besoin : distance accrue, difficultés à se déplacer, risque d’amendes pour non-présentation de l’attestation. Enfin, concernant les violences conjugales ou familiales, c’est le grand angle mort : les professionnelEs du secteur savent bien que le confinement va gravement contribuer à l’aggravation des situations.

Dans le secteur de la protection de l’enfance, mission de la mairie, la situation déjà dégradée habituellement se révèle dramatique : les mineurEs et jeunes majeurEs admis dans des hôtels restent seuls et confinés, souvent sans matériel informatique pour suivre les cours. Sans matériel de protection adéquat, les foyers d’enfants sont saturés et les conditions d’encadrement revues encore à la baisse, alors que le présentiel des enfants placés est à temps plein, l’école et les visites auprès de leurs familles étant annulées. Dans les familles d’accueil, qui travaillent 7j/7 à leur domicile, les conditions d’accueil sont complexes et les moyens mis à disposition pas suffisants.

Et pour finir cette liste non exhaustive, la maire de Paris avait bien commencé en promettant (mais pendant la période de confinement seulement) un accueil sans évaluation de minorité pour toute personne se présentant comme mineure isolée et étrangère, au service dédié. Cependant, l’ouverture d’un gymnase pour les accueillir est venue ternir le tableau de solidarité inconditionnelle qui semblait se dresser. Comme pour toutes les personnes sans-abri et mal logées, la réquisition de logements adaptés, avec un encadrement éducatif pour les mineurEs, est le minimum pour permettre à toutes ces personnes de se protéger des risques sanitaires et sociaux.

Une gestion de crise improvisée

La « continuité du service public », leitmotiv qui sert à justifier beaucoup de contraintes et de devoir en temps normal, en a donc pris un coup : la crise démontre que la continuité du service public est très relative. Entre le confinement et le maintien des services, les contradictions sont fortes.

Et cela se traduit par une réelle difficulté pour maintenir ces services ouverts. Les agentEs des services publics sont eux aussi malades. Et la gestion des cas de maladie pose clairement problème : même un ou une collègue qui présente des symptômes n’est pas testé. Des mesures tentent d’être prises pour éviter trop de contacts entre les collègues, ou encore des mesures de nettoiement renforcés mais souvent en l’absence de produits virucides, etc. Mais sans test, c’est la possible propagation du virus aux autres collègues et c’est aussi la peur pour celles et ceux qui vont travailler.

Cela repose donc en partie sur la responsabilité de chacunE (autoconfinement ou mise en arrêt éventuellement par un médecin), mais cela ne résout pas le problème pour les porteurEs sains.

Car le service public territorial devrait contribuer au fonctionnement du pays pendant la crise et ne pas devenir un amplificateur de la crise sanitaire (en étant un vecteur de contamination).

Pour cela, les mesures barrières ne sont pas suffisantes, on le voit bien à l’hôpital où de nombreux soignantEs sont aussi contaminés. Il s’agit de choix politique qui soit autre que le confinement : une solution « médicale » au problème, donc des moyens pour tester systématiquement, des moyens pour les hôpitaux, des moyens pour la recherche de traitements. Pas des moyens pour assurer les banques…

Quels moyens pour se défendre ?

Dans cette situation exceptionnelle, où les collectifs de travail sont entravés, les organisations syndicales ont dû, elles aussi, revoir leur mode de fonctionnement afin de rester présentes auprès des collègues, faire remonter les difficultés et contraindre l’administration à protéger ses agentEs. Ainsi, l’intersyndicale parisienne organisée pendant le mouvement contre la réforme des retraites tente de continuer un travail en commun. L’administration a été forcée d’organiser des CHSCT et mettre des moyens en œuvre pour répondre aux droits d’alerte et aux différents courriers qui lui sont adressés pour signaler des dangers graves ou des contradictions, même si l’absence de moyens de protection reste encore très préoccupante. Les mouvements de contestation sont eux aussi restreints en cette période et une grève serait complexe à mettre en place, mais pas impossible. C’est d’ailleurs le signal donné par la fédération des services publics de la CGT, qui a déposé un préavis de grève pour tout le mois d’avril. Mais dans cette période, c’est le droit de retrait et d’alerte qui est pour le moment le levier de contestation le plus utilisé. Il reste un moyen important de pression sur l’administration et permet aux collègues de réaliser que l’engagement sacrificiel des travailleurs et des travailleuses mis en avant par les autorités ne doit absolument pas prévaloir et dédouaner la responsabilité absolue de l’administration et de tous les employeurEs en matière de santé et de sécurité au travail. Il est aussi nécessaire de rappeler que les dysfonctionnements et sous-effectifs passés engendrent cette situation catastrophique. Et après le confinement ?

A ce jour, six décès dus au coronavirus sont à déplorer parmi les agentEs de la Ville de Paris. Comme pour les soignantEs, mais de manière évidemment moins dramatiquement palpable, le manque de moyens de protection individuelle et collective a mis à mal l’efficacité des services, même les plus indispensables. La question du déconfinement se pose dès à présent. Quels moyens seront à disposition pour une reprise du travail dans des conditions de sécurité satisfaisantes pour les agentEs comme pour le public ? En l’absence de protections et d’un dépistage massif, un rebond de l’épidémie paraît inévitable.

Et comme on l’a vu dans la mise en place d’une nouvelle organisation, la période de déconfinement risque d’être improvisée par la Ville de Paris, qui se languit de rouvrir tous les services, et dont on peut craindre que cela se passe dans des conditions désastreuses pour la santé des agentEs et du public. Le travail syndical s’annonce donc très intense et si l’on peut palper une colère importante chez les agentEs, leur mobilisation à la fin du confinement s’avèrera déterminante pour la création d’un rapport de force qui pourrait, au-delà des problèmes sanitaires graves, impacter la contestation sur la politique ultra-libérale et antisociale, et notamment sur les lois, suspendues pour le moment, remettant en cause gravement les services publics.