Publié le Jeudi 23 mai 2019 à 09h07.

Suicides et travail : la SNCF sur la voie de France Télécom

Lundi 6 mai, le jour même où s’est ouvert le procès des ex-patrons de France Télécom pour « harcèlement moral » (le chef d’inculpation d’homicide involontaire, pourtant tout aussiapproprié, n’ayant pas été retenu), un agent de la SNCF se jetait sous un train devant le siège même de la SNCF…

Un fait révélé par le syndicat Sud-Rail qui ne manque de faire le rapprochement entre la situation des deux entreprises. L’horrible scénario France Télécom est en train de se rejouer à la SNCF. Les mêmes causes – une politique néolibérale de privatisation mise en oeuvre par une direction aux ordres du pouvoir (avec un management brutal, des restructurations permanentes, des suppressions d’emploi, une destruction de la mission de service public…) – et les mêmes effets : des salariéEs en souffrance pousséEs dans le burn-out, la dépression et le suicide. Soixante suicides en lien avec le travail recensés à France Télécom entre 2006 et 2010. Selon les syndicats, plus de cent à la SNCF en trois ans. Et déjà une vingtaine depuis le début de cette année… Une vague de suicides jamais vue depuis la création de la SNCF. 

Et une direction dans le même déni de responsabilité, à faire froid dans le dos, qu’exprime aujourd’hui sans remords au tribunal l’ex-PDG de France Télécom, Didier Lombard. Celui-là même qui restera certainement dans les annales du management néolibéral pour avoir déclaré qu’il se débarrasserait de « ses » salariéEs « d'une façon ou d'une autre, par la fenêtre ou par la porte ». Rendue prudente dans ses déclarations par le précédent France Télécom, la direction de la SNCF n’en mène pas moins la même politique et tente elle aussi de cacher ses responsabilités. Déjà, en 2009 – Sud-PTT venait de déposer sa plainte contre France Télécom –, elle se fendait d’une communication interne sur le « stress » dans son entreprise : « Il n’existe pas – et heureusement – de lien direct avéré entre le contexte professionnel, le stress subi par un agent, l’effet de celui-ci sur sa santé (notamment la dépression) et le risque suicidaire. » Circulez, il n’y a rien à voir ! Il y a d’ailleurs si peu à voir que depuis 2011, la direction refuse de communiquer ses propres chiffres de suicides. Le PDG Guillaume Pepy justifiera auprès des syndicats ce silence… par respect du deuil des familles : «La médiatisation que vous cherchez à donner systématiquement à ces drames constitue pour eux une épreuve supplémentaire que vous pourriez leur épargner. »

Mais la situation dramatique est telle en interne qu’elle est bien obligée de faire semblant de s’en préoccuper en annonçant la création d’un comité de trois « personnalités »nommés par la SNCF pour… « observer et mesurer les conséquences du changement ». Une opération camouflage qui n’est pas sans rappeler les précédentes – 2009-16-17 – où, déjà sous la pression syndicale, elle avait mis sur pied des structures équivalentes, « Observatoire » et autre« Commission paritaire de prévention des risques psychosociaux »… qui évidemment n’ont pas empêché la poursuite des suicides.

Et avec la poursuite des politiques néolibérales, le massacre n’est pas prêt de s’arrêter. La souffrance au travail est intrinsèque au capitalisme néolibéral. Elle est à combattre au même titre que tous les autres maux qu’il engendre.

Jean Boucher