Publié le Mercredi 8 juillet 2020 à 09h52.

Commerce : « Les patrons, de par leurs actions pendant le confinement, ont indirectement fait progresser la conscience de classe »

Les salariéEs du commerce et des services ont été durement impactés par la crise du Covid-19. Aux salaires très bas et à la précarité s'ajoute aujourd'hui de nombreuses suppressions d'emploi et une remise en cause des 35h. À l'appel de plusieurs syndicats, le 9 juillet sera une journée de mobilisation et de grève avec une manifestation à Paris à 10h, départ Porte d'Italie. Gustave, employé polyvalent dans une épicerie bio parisienne fait le point avec nous sur la situation.

 

Comment l’épidémie a-t-elle été vécue dans le secteur ?

Concrètement cela a été un énorme choc. Dans notre boîte comme dans beaucoup d’autres, du jour au lendemain, la charge de travail est devenue considérable car il a fallu filtrer les entrées des clients qui étaient extrêmement nombreux à venir faire leurs courses. De plus, avec tous les « achats de panique », cela engendrait des livraisons de marchandise de plus en plus conséquentes le matin. Donc forcément c’était épuisant physiquement comme mentalement et d’un point de vue de l’hygiène il y avait, de fait, plus de contacts avec les livreurs car plus de palettes et donc plus de cartons à casser, plus de contacts avec les poubelles etc.. Il a fallu attendre plusieurs semaines pour avoir des protections dignes de ce nom. Dans notre boîte, les horaires ont été flexibilisés de sorte que les personnes à risque puissent faire leurs courses sur un créneau le matin, mais cela voulait aussi dire qu’on devait avoir fini pour l’ouverture 30 minutes plus tôt. On a également été amené pendant tout le confinement à faire des livraisons à domicile sans être payé plus alors que cela ne figurait pas dans notre contrat de travail et que ça pouvait clairement poser problème en cas d’accident. Ce qui est certain, c’est que dans le secteur des commerces et services, les profits sont passés avant la vie des salariés. Cela s’est marqué par de nombreux décès notamment ceux d’Aïcha, déléguée syndicale CGT, salariée du Carrefour de Saint-Denis, de Joachim Yoro, salarié dans la prévention sécurité, de Géraud, salarié au Carrefour Bercy 2 et de bien d’autres encore. Ces noms doivent entrer dans l’histoire. Leurs morts sont le résultat d’une gestion catastrophique de la crise au service de la rentabilité.

 

Pourquoi partez-vous en grève ?

On a appris que la direction comptait mettre en place les ouvertures le dimanche sur un des deux magasins de la franchise à partir de septembre. Pour beaucoup d’entre nous, il semblait clair que nous n’allions pas sacrifier notre vie sociale pour assurer les profits de l’entreprise surtout après avoir passé trois mois à se tuer à la tâche. Alors, suite au préavis de grève nationale déposé par la fédération CGT Commerces et Services, les salariés ont acté la grève du jeudi 9 juillet avec trois revendications locales : l’abandon du projet de mise en place des ouvertures le dimanche ; que toutes les demandes de rupture conventionnelle proposées par unE employéE soient acceptées automatiquement, quel que soit le poste ou l’ancienneté ; la création de fiches de postes répondant à la diversité de compétences et de savoir-faire qui existent au sein d’un même poste dans l’entreprise et que l’entreprise établisse la grille de salaire proposée par la convention Biocoop. En réalité beaucoup de collègues « employés polyvalents » sont amenés à passer des commandes et faire de nombreuses tâches des grades au dessus. Il nous semble évident que nos qualifications doivent être reconnues et que nos salaires suivent.

 

À quoi ressemble le mouvement pour l'instant ?

Au-delà de la journée du 9 juillet, le secteur est bouillant actuellement. Il y a eu des victoires marquantes comme celles des salariés d’Amazon et de la Boulangerie de l’Europe à Reims. Mais il y a également de nombreuses luttes en cours notamment à Monoprix où chaque samedi, plusieurs centaines de salariés se rassemblent devant un magasin Monoprix différent pour exiger justice et réparation. À Lyon, le 9 juillet sera l’occasion de se mobiliser contre la suppression de 583 postes à TUI soit 65 % des effectifs. En Haute-Garonne, des camarades d’Auchan sont également en train de construire la mobilisation localement. Chez André, les syndicats appellent carrément à la grève reconductible dans différentes villes. Bien que la lutte dans le secteur des commerces et services ne soit pas très puissante à l’échelle nationale, on sent clairement une progression et une envie de se rassembler pour gagner. Les dirigeants et les patrons, de par leurs actions pendant le confinement, ont indirectement fait progresser la conscience de classe et le sentiment qu’il n’y a rien à attendre des puissants.

 

Pourquoi le 9 juillet est une date importante ?

Tout d’abord parce qu’une grève sectorielle dans les commerces et services, ça n'arrive presque jamais. L'enjeu est crucial dans de nombreuses boîtes où les licenciements pleuvent et les conditions de travail se dégradent fortement. C’est aussi l'occasion de dire qu'en dehors des enseignes et des patrons, on fait tous le même métier avec les même salaires et les mêmes galères. Cette solidarité manque plus que tout dans ce secteur où la mobilisation est particulièrement difficile. Les conditions de travail y sont très dures, il y a donc un fort turnover, ce qui rend la lutte très compliquée puisqu'il faut avoir un an d'ancienneté et être deux pour faire une section syndicale. Ces critères sont souvent compliqués à atteindre. Cette date va donner de la force et de la visibilité aux travailleurs de l’ombre que nous sommes.

Propos recueillis par Camille Nashorn