Publié le Vendredi 31 janvier 2020 à 11h13.

Construire des mobilisations en matière de santé au travail au regard de l’expérience Lubrizol

En France, il y a environ 700 accidents du travail mortels par an, souvent des jeunes et des précaires. 700 morts évitables qui ne font jamais la « une » des médias et dont les coupables sont rarement condamnés, ou alors à des peines très faibles comme Bolloré condamné à 5 000 euros pour une infraction ayant conduit à une chute mortelle. À cela, il faut ajouter celles et ceux qui décèdent de maladies liés au travail. Pour l’amiante, c’est 20 000 mortEs selon le rapport du Sénat ! Mais aucun procès pénal, aucun patron ou ministre renvoyé en correctionnelle. C’est le crime parfait ! Sans compter les autres cancers : 400 000 cas en France par an et 150 000 morts prématurées. Quel est la part liée au travail ? Pas de registre des cancers, pas d’étude sur les causes, mais une fourchette qui varie de 4 à 8 % selon les instituts, soit entre 6 000 et 12 000 cancers professionnels, dont seulement 1 840 reconnus par la Sécurité sociale. La réalité est bien pire. L’enquête du GISCOP 931 démontre que pour certains cancers, 70 % peuvent résulter d’exposition professionnelle. 

Avant Lubrizol, une longue traversée du désert sur les risques différés notamment sur les cancers professionnels

La CGT de Seine-Maritime mène de nombreuses bagarres, longues, difficiles sur les accidents et maladies professionnelles, convaincue qu’il ne faut pas rester isolé, raison pour laquelle la CGT 76 a adhéré à l’association Pézerat2 et participé à la création du collectif « Ne plus perdre sa vie à la gagner » fin 20143.

Construire des mobilisations de rue sur les questions de conditions de travail pour gagner sur des revendications reste difficile au regard du modeste rassemblement organisé devant la préfecture de Rouen fin 2018.

Avant Lubrizol, nous avions prévenu du risque d’un AZF dans le département. La CGT a écrit à de multiples reprises au préfet et au ministre du Travail pour dénoncer le fait que des pans entiers de la réglementation ne sont pas appliqués en matière de santé au travail dans les industries, en s’appuyant sur des accidents extrêmement graves : fuite d’éthylène à Total Gonfreville en 2015, chute d’un générateur de vapeur à la centrale nucléaire de Paluel en 2016 ou explosion mortelle à Saipol Dieppe en février 2018.

L’expérience accumulée et les liens précédemment construits comme moteur de la mobilisation Lubrizol

Le matin même de l’incendie de Lubrizol, la CGT dénonçait l’absence de transparence, de mise en œuvre des mesures élémentaires de protection et le fait que Lubrizol était connu comme délinquant multirécidiviste. Dès le lendemain, un collectif unitaire regroupant organisations syndicales et politiques, associations de victimes, de défense de l’environnement, des riverainEs… lançait un appel à manifester et, dans les jours suivants, formalisait une plateforme revendicative dénonçant la responsabilité de l’État au plus haut niveau et remettant en cause le droit des capitalistes à gérer des industries dangereuses.

Au-delà des revendications sur la transparence, la vérité, l’indemnisation complète à la charge de Lubrizol, le suivi sanitaire des victimes, le collectif entend continuer les mobilisations avec tous ceux qui se bagarrent pour que les industriels cessent de mettre nos vies en danger.

Si la mobilisation de rue et la multiplication des plaintes au pénal pèsent pour une transparence, le chemin est encore long. Les déclarations de Macron sur le fait que l’État n’a pas fait de faute, ni en amont ni lors de la gestion de crise, résonne comme un signal donné aux industriels : « Vous pouvez continuer à jouer avec la vie des travailleurs et des riverains… ». L’ampleur de l’incendie du 14 décembre au sein de la raffinerie Total à Gonfreville montre que les capitalistes n’ont pris aucune mesure post Lubrizol pour éviter les accidents.

Construire des mobilisations sur nos morts au travail

L’expérience d’AZF montre qu’il ne faut pas avoir d’illusions sur la mise en œuvre des préconisations qui pourraient sortir des rapports de la mission d’information parlementaire ou de commissions d’enquête du Sénat. Nous devons convaincre les équipes syndicales de multiplier les expressions publiques sur les risques professionnels et environnementaux, de construire des liens entre salariéEs et riverainEs, accentuer notre propagande contre le droit des capitalistes de jouer avec nos vies.

Nous devons tenter de construire des mobilisations sur nos morts au travail. Lorsqu’il y a un manifestant tué par la police, on se mobilise toutes et tous, nous devons tenter de faire de même chaque fois qu’unE travailleurE est tué par un patron.