Publié le Mercredi 3 juin 2020 à 08h47.

Une crise structurelle

Prendre la mesure de l’ampleur de la crise est nécessaire pour riposter aux attaques présentes et à venir, juger des réponses du gouvernement tournées vers le sauvetage des entreprises, et des impasses dans lesquelles s’enliserait le mouvement ouvrier à proposer des mesures de simple relance « industrielles » de la ­production d’automobiles.

Des primes à la casse comme depuis 30 ans

Macron a choisi de soutenir les entreprises de l’ensemble de la filière automobile. Alors qu’un million de voitures, dont 500 000 d’occasion, sont en stock, Macron a redécouvert les primes à la casse pour doper les ventes. Des primes inaugurées il y a près de 30 ans par Balladur, en 1992, et renouvelées régulièrement jusqu’au même Macron en novembre 2018 après les premières manifestations des Gilets jaunes, avec le même argument : « Rendre le parc automobile moins polluant ».

Cette recette, qui tient à la nécessité récurrente de garantir un débouché pour les voitures neuves, ne sert pas à diminuer la pollution. Si, malgré les triches, les bureaux d’études travaillent effectivement sur des moteurs légèrement plus économes et moins polluants, le niveau de pollution dépend d’abord du nombre de voitures en circulation qui, lui, ne cesse d’augmenter. Contrairement à l’idée reçue d’une obsolescence programmée de tous les biens industriels, les voitures durent de plus en plus longtemps… faute de ressources pour en changer.

Ce « dopage » des ventes est une aubaine pour les acheteurs les plus riches et une aide aux firmes automobiles pour écouler leurs voitures. Ce n’est que rustine. Pour les salariéEs de l’automobile cela n’a jamais empêché les ­restructurations de se poursuivre.

Pas de miracle avec la voiture électrique

Après le scandale du « dieselgate » et une interdiction généralisée du diesel d’ici quelques années, tous les constructeurs se tournent vers les véhicules électriques. C’est une situation nouvelle par rapport à il y a dix ans. L’objectif affiché par Macron est de produire en France un million de voitures à motorisation électrique, c’est-à-dire un peu moins de la moitié du total de voitures produites en France. Un objectif qui n’engage que ceux qui y croient.

Mauvaise pioche. Le lendemain de l’annonce du plan Macron, l’Alliance Renault Nissan rendait publique sa nouvelle répartition des rôles avec l’assignation de chacune des marques à un continent et un domaine technique. Pour la plateforme exclusivement dédiée à l’électrique, c’est Nissan qui est désigné. Cela veut dire qu’investissements et budgets études seront drastiquement réduits chez Renault dans ce domaine.  Qui jouera en France le rôle attendu de pionnier ? Ils espèrent ainsi sauver l’automobile, quelles que soient les pollutions émises tout au long de la vie du produit, et la dépendance créée, notamment en France, vis-à-vis des centrales nucléaires. Mais il n’est pas sûr qu’ils trouvent les acheteurs et que soient tolérées des subventions de 6 000 euros pour ces voitures individuelles destinées aux plus « riches ».

Fin de cycle chez Renault

Le constat est brutal. On arrive chez Renault au bout du cycle inauguré par les prédécesseurs de Carlos Ghosn : Renault ne produira plus en France de voitures à moteur essence ou diesel à l’horizon de trois ans. Et les voitures électriques ne s’y substitueront pas complètement, ni en termes de production ni en termes de ventes.

Dans le cadre de la mondialisation inachevée de l’industrie automobile, chaque firme dispose pour une production intégrée d’un espace géographique de dimension continentale. Pour les États-Unis, c’est l’Amérique du Nord, Canada et Mexique inclus. Pour l’Europe, c’est le continent moins la Russie et l’Ukraine, mais plus les pays du pourtour méditerranéen. À l’intérieur de ces espaces, la concurrence est organisée entre tous les sites en termes de productivité et de coûts. Autant les malversations privées de Carlos Ghosn ont pu être camouflées, autant la stratégie d’implantation internationale était connue et validée par tous les membres du conseil administration, y compris par les représentants de l’État y siégeant.

Les raisons financières ne sont pas seules en jeu. Sinon il faudrait expliquer pourquoi PSA et Toyota ont maintenu plus que Renault des installations en France. En fait la part des salaires versés directement par les firmes automobiles dans le prix de revient de fabrication d’une automobile, lui-même la moitié du prix de vente final, ne dépasse pas aujourd’hui 20 %.

Les motifs sont aussi politiques à un double titre : s’affranchir de l’exploitation de travailleurEs aux traditions de lutte exécrées par les dirigeants, et participer à la politique de la bourgeoisie française, impérialiste dans son pré carré. Les implantations de Renault en Roumanie et au Maroc, suivies dans ce dernier pays, quelques années plus tard, par PSA, participent de cette politique globale.

Relocaliser les productions à haute valeur ajoutée ?

Au sein de ces espaces continentaux de production, les firmes capitalistes continuent à capter le profit extrait du travail ainsi réparti géographiquement. La contradiction non résolue autour de cette politique tient, au-delà de l’emploi et d’une demande solvable rétrécie, à la question fondamentale de la reproduction de l’ordre social existant et de sa stabilité. Contradiction d’autant plus aiguë que la récente épidémie a montré comment même les firmes les plus mondialisées restent dépendantes des appareils d’État de leurs pays d’origine.

Macron a proposé de relocaliser les productions de la filière automobile à haute valeur ajoutée. C’est plus « standing » que Trump qui bataille pour que GM ou Ford rapatrient leur production du Mexique vers les États-Unis. Mais que sont des produits à haute valeur ajoutée sinon ceux dont on espère le plus de profit, des fabrications sophistiquées avec le moins de salariéEs possible ? Le concept de « start up nation » appliqué à l’automobile  est intéressant pour nouer des relations avec les GAFA qui rôdent autour du gisement de profit que pourraient représenter certaines activités liées à l’automobile, mais ce n’est une solution ni pour l’emploi ni pour la satisfaction des besoins les plus essentiels.