Publié le Mercredi 27 novembre 2019 à 15h45.

« Coup de feu » en cuisine

Cinq années consécutives de travail en restauration, et plus particulièrement en cuisine. Il faut admettre que, malgré les nombreux inconvénients, j’ai appris à aimer ce métier et l’univers s’y rattachant. Pour être plus précis, je fais partie des nombreux jeunes qui, après un premier parcours professionnel, sont allés à l’université et, pour des raisons évidentes d’étroits débouchés, sont retournés à leurs premières amours !

Passion et pédagogie patronaleHoraires décalés, des semaines à plus de 50, 60, même 70 heures, des temps de pause grotesques, les repas du personnel que l’on doit généralement engloutir en moins de cinq minutes debout sur son poste de travail, la chaleur, le stress, l’intensité du travail…Le fameux « coup de feu » est à la limite intéressant, puisque justement l’instant libère de tout le stress, cette énergie emmagasinée. Une séquence intense et curieusement libératrice. La passion a bon dos, surtout lorsque les salaires, ramenés au véritable taux horaire, sont ridicules. C’est de la pédagogie patronale pour un métier dont les us et coutumes peuvent paraître archaïques ; il n’en demeure pas moins que cette fameuse passion anime effectivement beaucoup de cuisiniers et fait tenir positivement. En vérité, l’incurie qui règne en restauration est, sans aucun doute, corrélée à une absence de tradition de défense collective face aux patrons, et une absence syndicale significative, sans oublier l’alcoolisme qui fait des ravages et la drogue, en l’occurrence la cocaïne, en pleine expansion.La confusion règne facilement. Pour certaines de mes expériences j’ai vu mon patron avaler pendant six mois d’affilée 11 heures de boulot en moyenne 7 jours sur 7. C’est impressionnant et c’est son affaire : nous n’avons pas à être solidaires de cette auto-exploitation. Ayant travaillé surtout dans les petites structures, le caractère paternaliste dont sont imprégnés les rapports sociaux ne facilite pas la chose et, à défaut de défense collective, c’est davantage l’important turnover qui révèle les malaises et problématiques. La rotation salariale dans le secteur hôtellerie-restauration est deux à trois fois plus élevée qu’ailleurs. Dans le cadre d’un développement constant du secteur, et des difficultés à pourvoir tous les postes, il n’est jamais difficile de trouver un poste. Un poste de qualité, c’est un autre délire…

Le commun et le collectifLes coups de feu – et pas que –  sont des moments où s’expriment une réelle camaraderie, une solidarité marquée par ces moments durant lesquels il y a beaucoup d’enjeux. Les préjugés raciste ou sexiste existent dans ce milieu avec les rites découlant directement de l’esprit du compagnonnage, cependant la poésie et la solidarité sont présentes. Les bagarres, les insultes, les engueulades surviennent, mais la spontanéité d’une pure solidarité et fraternité/sororité surgissent et surprennent à de nombreuses occasions. Derrière le fatalisme apparent se cache aussi une colère qui ne demande qu’à sortir pour s’exprimer. Cinq années est une durée relativement courte, des parcours étonnants j’en ai croisés. Une fois, pour cinq personnes en cuisine, il y en avait quatre en reconversion professionnelle. Le secteur bénéficie de cette attraction permettant de recycler facilement de nombreuses personnes, d’où une lente modification palpable des mentalités, une féminisation un peu plus affirmée en cuisine. Concernant les conditions de travail et les salaires, la restauration est l’un des secteurs à l’avant-garde pour la négation des droits salariés. Les nouvelles réformes, notamment sur le chômage, risquent de dégrader très rapidement ces aspects par le durcissement de l’accès aux droits visant beaucoup de travailleurEs saisonniers. Plus nombreux encore seront celles et ceux de notre classe qui devront accepter des boulots à n’importe quelles conditions, ce qui permettra aux patrons de pourvoir des postes que personne ne souhaite occuper et de dégrader les conditions de travail. Si le couteau permet de séparer le pur de l’impur, la casserole de sublimer, notre solidarité au travail devrait poivrer davantage les relations salariales ! Une ­question d’assaisonnement maîtrisé.