Publié le Mercredi 27 novembre 2019 à 15h38.

Du mousse à l’auto-entrepreneur

D’une certaine manière, le « jeune travailleur » apparait lorsque les enfants sont retirés des usines occidentales à la fin du 19e siècle. Plus âgés que l’enfant, la « petite ouvrière », « l’apprenti cheminot » et le « jeune manœuvre », qui correspondraient à l’adolescent d’aujourd’hui, gagnent beaucoup moins qu’un adulte, souffrent corporellement de leur statut et rendent leur salaire à leurs parents. Dénonçant les brimades physiques, les conditions d’hygiène et l’humiliation permanente de certains travaux pour les jeunes, les révolutionnaires d’avant 1914, puis le PC et la CGTU, cherchent à construire des organisations de jeunesse, notamment pour répondre à ces problèmes caractéristiques des jeunes travailleurEs : à travail égal, salaire égal.

Malgré les nombreuses mutations au cours du siècle, notamment le renforcement de l’encadrement juridique, certains problèmes demeurent. Un apprenti en première année d’alternance ne touche que 2,5 euros de l’heure, soit 25 % des 10 euros brut du SMIC de 2019. Même un apprenti de plus de 21 ans en dernière année d’apprentissage touche moins de 80 % du salaire minimum… Indépendamment du statut d’apprenti, certains postes sont réservés aux jeunes car de toute façon personne ne peut les tenir trop longtemps en raison de leur pénibilité parfois physique. Fréquemment, ils leur sont destinés : boulots pour étudiantes et étudiants, dont la moitié travaille, c’est-à-dire accueil, babysitting, restauration rapide, centres d’appels, donc temps partiel, absence de carrière et salaire minimum.

Chômage et précaritéDès les années 1960 apparaissent les entreprises de travail temporaire (ETT) qui constituent dès l’origine « un des modes les plus courants et les plus "normaux" d’obtention d’un travail pour les adolescents appartenant aux fractions les moins qualifiées de la classe ouvrière. » 1 L’intérim explose dans les années 1970. Représentatif d’une marginalisation dans le monde du travail, le CDD, désigné comme tel en 1979, s’ajoute à l’intérim. Au début des années 1980, 17 % des jeunes salariés de 15 à 24 ans sont précaires, 50 % en 2014 2. Les plus jeunes et les moins diplômés sont les plus touchés. Les choses s’aggravent pour celles et ceux sortant sans diplôme de l’enseignement secondaire (près de 20 % d’une génération). Ils ont deux fois plus de risque d’être en CDD ou à temps partiel. Dans les années 2000 un tiers des jeunes dans cette situation était au chômage trois ans après être sorti du système scolaire, c’est désormais un sur deux depuis 2009 3. Travailler dans ces conditions est singulièrement lié à un chômage massif chez les plus jeunes. Si seuls 37 % des 15-24 ans sont sur le marché du travail, 25 % d’entre eux sont chômeurEs. C’est 2,5 fois plus que chez les autres actifs.De leur côté, les centrales syndicales considèrent comme « jeunes » les salariéEs de moins de 35 ans (10 % de leurs adhérentEs), les moins de 25 ans représentant moins de 2 % des adhérentEs CGT ou CFDT 4. Plus facile de se syndiquer dans les transports ou l’industrie où les syndicats existent, que dans l’hébergement-restauration où 1 % des jeunes salariéEs sont syndiqués. Contester l’autorité du patron voire du salarié mieux placé, du tuteur, c’est prendre le risque de rompre un contrat d’alternance, se retrouver sans qualification reconnue. La conscience de l’exploitation ne manque pas, et beaucoup cherchent à la fuir en occupant des emplois interchangeables et quelquefois un peu moins mal payés car en intérim ou CDD, tandis que d’autres subissent le « capitalisme de plateforme », remettant au goût du jour de vieilles formes d’exploitation comme le travail à la tâche.  1 – Michel Pialoux, « Jeunes sans avenir et travail intérimaire », Actes de la recherche en sciences sociales, mars-avril 1979.2 – Selon l’Insee, la précarité regroupant l’ensemble des stages, l’apprentissage, l’intérim et les CDD.3 – Henri Eckert, « Diplômés/non-diplomés en France », Agora débats/jeunesses, 2018/2.4 – Sophie Béroud, Camille Dupuy, Marcus Kahmann et Karel Yon, « La difficile prise en charge par les syndicats français de la cause des "jeunes travailleurs" », La Revue de l’Ires, 2019/3.