Publié le Jeudi 22 juin 2017 à 00h38.

Les LGBTIQ délaissé-e-s des processus révolutionnaires 

La dimension inédite atteinte aujourd’hui par les combats des LGBTIQ dans les pays arabes est liée au déclenchement des processus révolutionnaires.

Les LGBTIQ participent aux mouvements et manifestations de rue, se joignent à titre individuel aux soulèvements et mêlent leurs voix à celles de millions de manifestantEs. Ils et elles espèrent voir s’effondrer des régimes despotiques et antisociaux et ne développent pas à ce stade de revendication particulière. Le caractère de masse des révolutions les inclut naturellement.

Des structures propres

Dans une seconde phase va naître un triple mouvement :

▸ Une série limitée de coming-out individuels.

▸ Un mouvement d’expression individuel ou collectif : sites, blogs ou pages Facebook ou hashtag, revues papier ou électroniques, radios qui sont le fait de groupes non reconnus. Ce réseau va toucher un public large.

▸ Un mouvement d’action collective  va se dissocier de la dynamique des révolutions, nées dans les zones les plus éloignées des capitales et rassemblant chaque jour des milliers de manifestantEs sur des bases spontanées. Les militantEs LGBTIQ vont lutter dans les grandes villes importantes, se regrouper et s’organiser sur leurs propres bases.

Le mouvement LGBTIQ est en rupture avec la spontanéité et le caractère de masse des révolutions. Mus par la certitude que ces dernières ne porteront pas leurs revendications, que les sociétés civiles sont décevantes, que les révolutionnaires leur sont souvent hostiles, ils et elles comptent sur leurs propres forces, créent leurs structures qui organisent l’expression, l’élaboration, la défense des droits et des revendications, et développent des modes d’action extrêmement divers, sur la forme et sur le fond.

Ne pouvant organiser des actions publiques, ces organisations non reconnues vont développer des activités utilisant des événements, organisant des initiatives en ligne ou des actions symboliques. Les structures LGBTIQ mènent des campagnes de graffitis, tags ou peintures murales.

Des fronts en action

Au-delà des revendications du droit à l’existence, de fierté ou de liberté, vient la décriminalisation de l’homosexualité (Maroc, Tunisie, Liban, Soudan), la suppression du test anal (Liban, Tunisie), la libération de femmes trans emprisonnées (Liban), d’homosexuels incarcérés (Tunisie), de lesbiennes en détention préventive (Maroc) et la légalisation des associations LGBTIQ. D’autres exigent la prévention des MST/IST/VIH.

Certaines structures s’adressent à la société et aux LGBTIQ, d’autres aux pouvoirs ou aux institutions internationales, d’autres combinent les deux.

Ainsi, un front LGBTQI appelle les autorités tunisiennes à s’engager lors de l’examen périodique universel de la Tunisie devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies de 2017, à abroger l’article 230 du code pénal, à interdire le test anal, à lutter contre toutes les discriminations envers les LGBTQI et à réprimer tout appel à la haine ou la violence.

Les LGBT organisent des manifestations publiques au Maroc, en Tunisie et au Liban (réunions, débats, films, expositions, ­manifestations de rue, etc).

Dans la foulée des révolutions ont émergé des associations qui défendent les « libertés individuelles » ou les « minorités » et défendent les LGBTIQ face à la répression, sans pour autant en reprendre les revendications (Maroc, Irak, Kurdistan d’Irak, Liban, Égypte,Tunisie), Le milieu associatif médical se mobilise également. La reprise en charge par les organisations politiques et syndicales est inexistante et est le fait d’un engagement personnel de militantEs (Tunisie, Irak). Seul le Forum socialiste (Liban) y consacre un engagement en tant qu’organisation. Et les syndicats, parfois sollicités lors de licenciements motivés par l’orientation sexuelle, sont aux abonnés absents...

Solidarités internationales

La dimension internationale est présente et s’exprimera au moment de la tuerie d’Orlando. Des structures LGBTIQ participent à des manifestations au niveau international : Gay Pride (Hollande, Italie), Forum Social Mondial (2016), Malmoe for Diversity Festival 2016 (Suède), Copenhagen Winter Pride, 2016 (Danemark), Queer Asia 2016, SOAS (Londres)...

Plusieurs réseaux existent au niveau régional. Des associations du Maghreb et du Moyen-Orient publient une déclaration suite à l’incarcération de deux Marocaines mineures, en raison d’un baiser échangé en 2016. Des associations du Maghreb signent un communiqué  pour la décriminalisation de l’homosexualité. MantiQitna est une association qui organise un stage annuel, à destination des militantEs LGBTIQ de la région arabe.

Le boycott de la Pride de Tel Aviv est justifié par divers argumentaires, notamment le fait qu’aucun Palestinien ne peut demander l’asile en Israël, sauf s’il ou elle est homosexuelE, et que les autorités israéliennes se livrent à du chantage vis-à-vis de gays palestiniens, menaçant de les outer pour les contraindre à collaborer. La dénonciation du pinkwashing israélien est récurrente au sein d’associations palestiniennes ou libanaises.

L’idée fait son chemin que ce n’est pas l’homosexualité qui aurait été « importée de l’Occident », mais qu’en revanche, l’homophobie aurait été importée, notamment par des codes pénaux datant de la colonisation et toujours en vigueur. Une adresse à Cameron refuse que soit instrumentalisé l’assassinat d’homosexuels à Mossoul pour justifier une intervention militaire, etc.

Ici et maintenant !

Les Émirats arabes unis et l’Égypte ont légalisé les opérations chirurgicales de réassignation de sexe, pour contrer l’homosexualité. Au Liban, des évolutions positives sont enregistrées au niveau juridique, dues à des décisions individuelles de juges.

Généralement, c’est la répression seule qui domine. En plus de la répression qui vise touTEs les LGBTIQ (pénale, sociale, tortures spécifiques), les militantEs et leurs soutiens, voire ceux qui leur donnent la parole (journalistes), sont à leur tour réprimés.

En Tunisie, les autorités répriment l’homosexualité, mais légalisent une association dont les militants sont menacés de mort et agressés. Les autorités yéménites ou omanaises bloquent l’accès à des sites ou blogs LGBT. Les contre-révolutions laminent les espaces militants contraints d’espacer ou de suspendre leurs activités (Libye, Irak, Bahreïn, Syrie, Yémen). 

Des militantEs condamnés à la clandestinité fuient les persécutions perpétrées par les pouvoirs ou les sociétés en direction de l’Europe, où l’orientation sexuelle est désormais un motif de demande d’asile.

L’agression de Zak Otsmane, réfugié algérien de Trans Homo DZ – perpétrée à Marseille en mars dernier par deux légionnaire ou ex-légionnaire qui l’ont violé et torturé, et ont été mis en examen sans que soit retenu le caractère homophobe de l’agression... – est là pour nous rappeler que la solidarité avec les luttes LGBTIQ pourrait bien commencer ici.

Luiza Toscane