Publié le Vendredi 3 mars 2023 à 13h00.

Philippe Poutou : « Le traitement des "petits" candidats est l’illustration d’un mépris social très présent »

Publié par l'Humanité jeudi 2 mars

Dans  Un « petit » candidat face aux « grands » médias, Philippe Poutou, candidat du NPA lors de la dernière présidentielle, revient sur son expérience dans un ouvrage co-écrit avec Julien Salingue et Béatrice Walylo, à paraître ce vendredi 3 mars. Il y dénonce « les rapports de classes, le mépris social et la difficulté de défendre des idées anti-capitalistes dans de bonnes conditions ». Entretien.

Votre nouveau livre  Un « petit » candidats face aux « grands » médias paraît ce vendredi 3 mars. Pourquoi avez-vous souhaité partager cette expérience ? 

Les expériences militantes en général sont toujours bonnes à partager. Nous avons voulu raconter, sans prendre un ton de victime , les coulisses des invitations médiatiques lors des campagnes présidentielles.

À travers ces anecdotes, le problème de fond que nous exposons n’est pas la notion de « petit candidat », mais l’instrumentalisation des médias par un système et le traitement réservé à ceux qui n’en font pas partie.

Il s’agit d’illustrer à la fois les rapports de classes, le mépris social et la difficulté de défendre nos idées dans de bonnes conditions, contrairement à d’autres candidats. Ce livre s’adresse à qui veut l’entendre. En soumettant notre expérience, on espère éveiller une curiosité populaire sur ces questions afin de forger une conscience politique et remettre en question le système actuel.

Vous dénoncez l’action de l’Arcom, le gendarme de l’audiovisuel, pendant les campagnes électorales. Pourquoi estimez-vous que les critères qui régissent son fonctionnement sont « plus que douteux » ? 

L’Arcom ne fait qu’aller dans le sens du système électoral, mais il n’est pas plus antidémocratique que l’ensemble de la société. Tout se tient parfaitement. Une élection présidentielle n’est pas faite pour mener un débat politique mais pour organiser formellement un jeu plus ou moins démocratique qui, au bout du compte, est censée aboutir sur la victoire d’un même camp social.

Même si toutes les candidatures jouent la gagne, il y a très peu de suspens lors d’une élection. On est seul à dire ouvertement qu’on ne gagnera pas. Le jeu électoral, tel qu’il est conçu, défavorise une organisation anticapitaliste comme la nôtre et contribue à renforcer notre position minoritaire.

On pourrait alors s’interroger sur l’efficacité de notre participation à un tel banquet sachant en amont qu’on n’en sortira pas gagnant. Mais c’est l’occasion de donner de l’écho à des voix marginalisées, de rendre visibles d’autres idées, et par notre présence, d’illustrer la critique d’un système qui n’est qu’un jeu de dupes. 

Vous appelez la gauche sociale et politique à « réfléchir à deux fois avant d’accepter une invitation médiatique ». Mais n’est-elle pas prise au piège des règles édictées par les « grands » médias, au vu de leur impact sur l’opinion publique ? 

Le jeu médiatique correspond parfaitement au jeu institutionnel, et donc la confrontation avec l’un est aussi une confrontation avec l’autre. Quand on intègre cette logique, on comprend également pourquoi personne ne critique l’action des « grands » médias ou ne conteste les règles de l’Arcom.

C’est d’ailleurs très révélateur du respect des candidats de gauche à ces institutions et qui marque la grande différence avec notre vision anti-système. C’est aussi ce que nous avons voulu expliquer tout au long du livre, sans faire la morale, en alertant sur l’instrumentalisation des « grands » médias, mais notre expérience ne suffit pas.

Il faut élargir la réflexion pour que la gauche sociale et politique s’empare de la question et agisse plus judicieusement. Malheureusement, on a l’expérience d’une gauche qui joue le jeu médiatique et même pire, le jeu institutionnel et qui, quand elle est au pouvoir, se comporte comme un pion dominant. 

Vous citez le sociologue Pierre Bourdieu, notamment son analyse des « dispositifs télévisuels défavorables aux contestataires de l’ordre dominant ». Quel rôle y a joué à vos yeux l’hyper-concentration des médias ? D’autres facteurs entrent-ils en jeu? 

À partir du moment où l’information et ses outils sont entre les mains d’une classe sociale dont l’objectif est de se faire de l’argent tout en favorisant une domination idéologique, le problème est politique, et même profondément institutionnel.

La concentration des médias est certainement un facteur aggravant de cette situation, mais elle ne change pas sa nature. On s’aperçoit que, grande ou petite émission, journaliste connu ou pas, télévision ou radio, les rapports sont les mêmes.

Le traitement que reçoivent les « petits » candidats est seulement l’illustration d’un mépris social très présent dans la société qui ne concerne pas seulement la politique, mais également la santé, l’éducation ou la culture... Les classes populaires n’y ont pas les outils nécessaires pour faire entendre leurs voix.

Comment proposez-vous de lever toutes ces barrières anti-démocratiques ?

La NPA travaille avec l’historien Dominique Pinsolle, auteur de À bas la presse bourgeoise! qui raconte l’histoire des médias depuis le XIXe siècle.

Puisque l’instant que nous vivons est le produit d’une histoire, nous essayons d’inscrire notre expérience dans une vision historique afin de dégager une nouvelle perspective, en lien avec le travail déjà effectué sur la question, notamment celui d’ Acrimed.

Comme pour la mobilisation en cours contre la réforme des retraites, nous croyons que l’intervention populaire est la solution.

Mais pour mieux agir, il faut mieux comprendre. Si les populations sont armées intellectuellement, elles auront tous les leviers possibles pour protester contre les failles du système. C’est seulement par le rapport de force qu’on pourra  fragiliser les dominants, et par conséquents, renverser le système.

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