Publié le Mercredi 22 janvier 2020 à 18h48.

Une grève interprofessionnelle, ça se construit !

L’expérience du mouvement contre le report de l’âge légal de départ et l’augmentation de la durée de cotisation, en 2010, démontre que se concentrer sur des secteurs stratégiques pour pallier l’absence de grève générale ne fonctionne pas. Les employéEs grévistes des raffineries peuvent être réquisitionnéEs, et si les dépôts pétroliers sont bloquées par des soutiens militants (grévistes d’autres secteurs notamment), l’État n’a aucun mal à concentrer ses forces de police pour les débloquer, y compris violemment.

Élargir le mouvement de grève

Si on veut bloquer le pays pour gagner sur nos revendications, il n’y a pas de raccourci possible, il faut élargir le mouvement de grève, réussir à mobiliser de nouveaux secteurs, malgré les difficultés, malgré les pressions managériales et hiérarchiques, malgré tous les obstacles. Le niveau très élevé de mobilisation, la pression de la base voire des structures intermédiaires (Unions départementales et fédérations) a imposé le mot d’ordre du retrait à l’intersyndicale. Mais pas la grève générale.

Escure (UNSA) a été largement débordé par sa base qui a refusé toute trêve à la RATP, et qui a continué à reconduire alors même que des mesures catégorielles avaient été obtenues. Berger a été désavoué par les cheminotEs CFDT qui, elles et eux aussi, ont poursuivi le mouvement. La base syndicale aurait fort bien pu déborder les directions et imposer la grève générale, comme le mot d’ordre de retrait s’est imposé malgré elles... si cette base syndicale existait en dehors des rares bastions du mouvement syndical et ouvrier qui perdurent, et des quelques secteurs combatifs qui apparaissent ces dernières années.

C’est l’obstacle majeur posé par les confédérations aujourd’hui : leur état moribond, voire leur inexistence, dans un si grand nombre d’entreprises et de lieux de travail. 

Un travail (organisé) de conviction

La seule solution, c’est un travail de conviction, non par des appels de coordinations multiples, non représentatives, mais en allant rencontrer les exploitéEs et les oppriméEs, sur leurs lieux de travail ou de vie.

C’est ce qui se fait par exemple à Grenoble et à Montreuil, avec un certain succès : la mobilisation bien plus large que les noyaux militants habituels est une réalité, et les collectifs ou comités interpros locaux ont continué leur activité sans trêve. Puisque notre objectif est d’étendre le mouvement le plus possible, nous nous en donnons les moyens concrets. Les secteurs en reconductible, majoritaire ou de manière au moins significative, dégagent des forces pour aller directement sur les lieux de travail, du public comme du privé, et même sur les lieux de vie dans les quartiers populaires, ceux où on a trop peu l’habitude de militer.

C’est l’un des faits marquants de ce mouvement : un certain niveau d’auto-organisation existe, mais il se fait sur des bases territoriales.

En région parisienne, ce caractère est renforcé du fait de l’absence de transports en commun pendant plusieurs semaines. Des militantEs de la grève, notamment enseignantE, résidant à Montreuil et ne pouvant se rendre sur leur établissement d’une ville plus lointaine (Villemomble, Goussainville...), se sont organisés là où ils et elles le pouvaient, en rejoignant en assemblée générale locale les salariéEs mobilisés de leur ville de résidence.

Assemblées générales professionnelles et interprofessionnelles

De nombreuses tournées ont eu lieu, avec petit cortège, mégaphone et tracts, non seulement vers les établissements scolaires, mais vers tous les services publics (finances, hôpital, bureaux de poste, Pôle Emploi, services municipaux…), et depuis peu en direction de boîtes privées (Safran, Ubisoft, BNP…) et des quartiers populaires excentrés. Ce sont ces tournées qui ont permis de mettre en grève totale le bureau de poste principal le 17 décembre.

C’est aussi le cas en Isère, où la problématique des transports se pose moins. À Grenoble comme dans les villes de son agglomération, l’auto-organisation se fait même à une plus petite échelle, celle du quartier. Il s’agit de réapprendre des réflexes de fonctionnement intersyndical et interprofessionnel, voire mieux, d’auto-organisation en assemblées générales professionnelles et interprofessionnelles. On est encore loin de pouvoir occuper les lieux de travail, d’organiser des comités de grève représentatifs, mais sans surprise, les villes où ces processus sont les plus avancés sont celles où une confiance avait été acquise au cours de luttes communes mêlant des équipes de différentes structures militantes.

 

Une version longue de cet article est disponible dans la revue l’Anticapitaliste mensuel n°111 (janvier 2020).