Publié le Mercredi 29 avril 2020 à 08h27.

Faut-il avoir peur des virus ?

Chaque humain abrite en lui des bactéries et des virus qui y ont trouvé leur place. Ils évoluent avec les hôtes qui les hébergent, sans les détruire, sinon ils auraient disparu.

Un virus s’insère dans l’organisme d’un individu dont il va dépendre pour assurer sa reproduction et cela crée un bouleversement. L’équilibre qui va garantir la survie des deux, hôte et virus, s’est fait au cours de milliers d’années. L’important est de s’y adapter, d’agir afin d’éviter de leur offrir les conditions de nuire.

Un virus apporte trois avantages à l’hôte :– « souplesse » génétique qui va lui assurer des capacités de survie face à des changements brutaux dans les écosystèmes ;– participation à sa défense immunitaire ;– action sur les codages génétiques des protéines, indispensables à la vie de l’hôte. Donc, plutôt que de « faire la guerre » aux virus, selon la formule de Macron qui n’a rien compris à l’essence du vivant, il vaut mieux comprendre leur fonctionnement et renforcer les moyens de s’y confronter.

Les pandémies modernes

Elles viennent toutes d’un passage de l’animal à l’humain, suite à une modification du milieu naturel causée par des activités destructrices du capitalisme : déforestation, chasse et élevages intensifs, agriculture chimique… – Le VIH, qui donne le sida, a été identifié en 1983. Il fait 3 millions de mortEs par an. Le passage des chimpanzés à l’humain s’est fait en Afrique avec la chasse massive dopée par la déforestation, dans un contexte de populations concentrées et urbanisées. Les échanges croissants mondiaux ont fait le reste.– Le virus du SRAS, découvert en 2003, un coronavirus comme le Covid-19, vient de Chine. Il est passé des chauves-souris forestières à l’humain via un petit mammifère, la civette, victime d’une chasse intensive. Passage favorisé par la densité de population, les mauvaises conditions d’hygiène sur les marchés. – Le paludisme, découvert en 1880, est transmis à l’humain par un moustique. Il y a 6 000 ans, de grands défrichements ont permis la formation d’eaux stagnantes. Sans prédateurs, les moustiques ont proliféré et infecté les populations humaines. Aujourd’hui, la maladie, présente surtout en Afrique, contamine 200 millions de personnes et cause 400 000 décès par an. – Le virus Nipah, découvert en 1998, est apparu en Malaisie. La déforestation, pour permettre des élevages intensifs de porcs, a privé d’habitat les chauves-souris forestières qui se sont tournées vers un milieu de substitution, les plantations d’huile de palme, proches des élevages. Leurs déjections ont infecté les porcs, puis les humains.– Le virus Ebola, identifié en 1976 en Afrique, a infecté les populations fragiles, déplacées de guerre. Là encore, les chauves-souris forestières chassées par la ­déforestation ont été le vecteur.– Le virus H5N1 a donné la grippe aviaire en 2004. Parti du Sud-Est asiatique, dans les élevages intensifs de volailles, il s’est propagé en suivant les routes commerciales et non celles des oiseaux migrateurs porteurs naturels du virus.  – Avec le Covid-19, là encore, c’est le même processus : chauves-souris, viande de brousse et trafic d’animaux (pangolins), concentration de populations, manque d’hygiène.

Si on retrouve souvent l’Asie du Sud-Est et la Chine comme lieu de « naissance » de ces pandémies, c’est parce que s’y concentre de quoi favoriser les pathogènes : forte et rapide croissance urbaine, qui empiète sur les espaces naturels, élevages intensifs avec mauvaises conditions d’hygiène, zones tropicales où se concentrent des espèces réservoirs de virus.

Lien entre crise écologique et pandémies 

Les pandémies sont un produit du néolithique, de l’impact majeur sur les écosystèmes naturels via l’agriculture et la naissance de l’élevage. Mais le capitalisme et son système de prédation des ressources naturelles et humaines, de modification et de dégradation de l’environnement ont multiplié les causes de leur apparition. – La chute de biodiversité. La diminution ou disparition des régulateurs de pathogènes, l’uniformisation des paysages, les modifications brutales d’habitats favorisant certaines espèces au détriment d’autres, la perte de richesse spécifique d’un milieu (10 espèces au lieu de 100) altèrent les écosystèmes, perturbent les coévolutions ancestrales entre les virus et les humains, favorisent leur circulation.– L’agriculture intensive mondialisée. Sous la pression du commerce international, le transfert des richesses du « sud » vers le « nord » pousse à des cultures intensives et uniformes, hors de leur aire écologique, grâce à des procédés artificiels (produits chimiques). Procédés qui détruisent les écosystèmes locaux, bouleversent les coévolutions. Dans le secteur de l’élevage, la disparition des espèces domestiques locales au bénéfice d’un nombre réduit d’espèces conduit à une standardisation génétique qui favorise aussi les pathogènes. L’élevage intensif dans de mauvaises conditions d’hygiène, créée des « ponts » génétiques vers les humains. – La destruction de milieux naturels permettant à des populations de vivre et l’exode rural provoqué les ont contraintes à partir vers les agglomérations. La concentration des populations dans des grandes villes, dans de mauvaises conditions de vie, facilite les zones de « ponts ». L’augmentation de la population mondiale, passée à 7 milliards, a agrandi leur aire d’influence. – L’augmentation des échanges humains et commerciaux. Le développement démesuré du tourisme planétaire, l’explosion de la mobilité, en particulier des déplacements en voiture, l’augmentation folle des transports de marchandises, offrent aux virus des voies de circulation nombreuses. – Le réchauffement climatique. L’installation rapide de nouvelles espèces, donc de leurs parasites, déstabilise brutalement les écosystèmes, favorise la baisse de la biodiversité. – La destruction des écosystèmes (déforestation, artificialisation des terres…) conduit des espèces « réservoirs de virus » à se retrouver en contact direct et nouveau avec des populations humaines concentrées. Les populations d’avant le néolithique et les populations dites « autochtones », vivant au contact et par la faune sauvage, ne sont pas ou n’étaient pas sensibles à ces pathogènes. Elles ont longuement coévolué avec leurs proies et donc leurs pathogènes, et sont très protégées.

Et les bactéries ?

La fonte du pergélisol, du fait du réchauffement climatique, peut libérer des bactéries pathogènes dans l’environnement. De plus, l’élevage industriel, concentrant d’énormes quantités d’animaux, utilisant de manière systématique des antibiotiques, représente une condition idéale pour sélectionner des bactéries antibio-résistantes. Dans ces conditions, le cauchemar de l’émergence d’une bactérie aussi contagieuse que le SRAS-CoV-2, mais plus virulente et résistante aux antibiotiques utilisés à ce jour, avec une mortalité dramatique, reste malheureusement une possibilité plausible sinon probable, si nous ne changeons pas rapidement de système.