Publié le Mercredi 17 juin 2020 à 10h44.

Une police structurellement violente

Le droit d’un État qui organise la domination et la reproduction de la classe des possédants sur le reste de la société ne peut être que profondément inégalitaire, injuste et finalement illégitime. Les institutions qui en découlent sont alors violentes, sous des formes et à des degrés divers, de l’éducation nationale à la police. Parce qu’elles visent toutes à obtenir le consentement minimum des citoyenEs, ce que certains chercheurs nomment le « disciplinement social ». La police, seule institution qui possède légalement les moyens de contraindre par la force physique les opposantEs à cet ordre social et politique, est donc la plus structurellement violente. Elle est le bras armé de l’État au service du capital.

Soumettre nos rébellions

Angela Davis affirme que « la répression n’est jamais aussi violente que lorsque les mobilisations s’opposent au capitalisme ou à l’impérialisme ». Et la répression s’exerce d’autant plus brutalement que le système économique écrase toujours plus les exploitéEs et les oppriméEs et que la contestation grandit. Ainsi, en France, un seuil réel et symbolique a été franchi avec l’attaque du cortège de la CGT à la manif du 1er Mai 2019 à Paris. Du jamais vu ! Ces dernières années, toutes nos manifestations ont été systématiquement attaquées, de celles contre la loi travail à celles contre la réforme des retraites. L’irruption des Gilets jaunes a provoqué une panique au sommet de l’État, déclenchant un niveau de répression exceptionnel. En un an : 4 500 blesséEs dont 250 très graves, 25 éborgnéEs, cinq mains arrachées. 1 000 personnes ont été condamnées à des peines de prison ferme, 1 200 à du sursis. Il y a eu 12 000 gardes à vue, plusieurs centaines d’interdictions de manifester ou d’être dans certains lieux, de nombreuses assignations à résidence.

La guerre intérieure

La décision de multiplier l’usage des armes « non létales » vise à dissuader les manifestantEs d’exercer leur droit de manifester tout en évitant de tuer, ce qui a toujours un coût politique dans une « démocratie ». L’envoi massif de gaz lacrymogènes dès le début d’une manifestation permet parfois sa dispersion « à moindre coût ». Avec le gazage, le nassage (aussi appelé l’encagement, interdit dans de nombreux pays) est également très efficace pour retarder voire empêcher une manifestation. Quant aux diverses armes à impulsion électrique non létales, Paul Rocher rappelle à juste titre que leur objectif est de tailler dans la chair, marquer les esprits, et parfois marquer à jamais des vies1. Différents observateurs font remarquer que l’augmentation des capacités techniques renforce la violence du maintien de l’ordre, les policiers tirant plus souvent et plus vite. Cet afflux d’armes utilisées tant dans les guerres impérialistes que sur le territoire nourrit bien sûr le marché international de la coercition en pleine expansion.

La force « légale » impose sa loi quand rien ne vient l’arrêter. Elle se développe sans limite quand l’impunité est quasi illimitée. Ainsi Jacques Toubon, Défenseur des droits, témoigne que sur les 34 plaintes qu’il a déposées auprès du ministère de la Justice, aucune n’a abouti. Renforcer l’immunité c’est aussi aligner les conditions de tirs des policiers sur celles, plus souples, des militaires. Ou de décider qu’ils bénéficient à priori de la présomption de légitime défense. De plus, les directives données sont très floues. Par exemple : qu’est-ce que « réagir de manière proportionnée, utiliser la force strictement nécessaire » et comment reconnaît-on ceux et celles « susceptibles d’avoir commis un délit » ? Alors il faut interpréter, donner des réponses qui deviennent des habitudes de réponses, des applications de la règle qui tendent à s’élargir. À faire loi.

Dans ces conditions il n’y a pas ou très peu de réelles « bavures » policières, mais un système de violence ordinaire dans lequel la police utilise largement le champ immense qui lui est laissé. Et ce que nous appelons « violences policières », ce sont ces actes auxquels nous ne nous habituons pas – ou pas encore ? –, le tabassage d’un adolescent ou les morts violentes et répétées...

Une police néocoloniale

Aujourd’hui la police française est considérée comme la plus violente des polices des États de l’Union européenne. Sans doute parce que non seulement elle réprime avec des armes de guerre nos rébellions, mais aussi parce qu’elle réprime aussi des personnes pour ce qu’elles sont et/ou en raison du quartier où elles habitent, « dans ces territoires perdus de la République, ces zones de non-droit où il s’agit d’aller porter le fer » (Nicolas Sarkozy). Ainsi, pendant ces mois confinés, les quartiers populaires ont été survolés régulièrement par des drones, des cars de CRS ont stationné à leurs abords, le maire de Nice a même installé un couvre feu à deux vitesses : 22 heures pour les plus riches, 20 heures pour les autres.

Les contrôles au faciès sont toujours « discriminatoires systématiquement » juge Jacques Toubon, Défenseur des droits, qui répète que les jeunes hommes arabes ou noirs sont 20 fois plus contrôlés que les autres. Contrôles à caractère raciste donc, et qui dégénèrent très souvent. Le Front uni des quartiers populaires (FUIQP) recense 700 jeunes tués depuis les années 1970, quasiment le même bilan que celui de l’IGPN en 2019 qui annonçait 14 décès par an de jeunes lors d’accrochages avec des policiers. Et pourtant, malgré les nombreuses recommandations, il n’y aura pas de récépissé pour ces contrôles. Parce qu’il s’agit de contrôler de manière répétitive les classes populaires et particulièrement celles « issues de l’immigration », de maintenir enfermés ces coloniséEs. ColoniséEs des colonies envoyés hier comme tirailleurs au front des guerres, colonisés de l’intérieur envoyés aujourd’hui comme « premiers de corvée » au front de la pandémie !  

L’État policier

Macron accélère le tournant sécuritaire. L’essentiel de l’état d’urgence décrété en novembre 2015 est aujourd’hui inscrit dans la loi ordinaire. Certaines clauses de l’état d’urgence sanitaire pourraient se perpétuer au-delà du 10 juillet, comme des interdictions de rassemblement, manifestation, ou réunion. Une nouvelle prise de pouvoir injustifiée et inédite sur nos libertés !

Plus globalement, leur démocratie est en berne : les décisions importantes sont prises lors d’une réunion furtive hebdomadaire de quelques ministres, hauts fonctionnaires et experts, avec Macron et choisis par lui. Ce Conseil de défense domine l’exécutif qui domine le législatif, comme l’administratif supplante la justice. Dans ce cadre, oui, la police a les pleins pouvoirs !

  • 1. Paul Rocher, Gazer, mutiler, soumettre : politique de l’arme non létale, la Fabrique, juin 2020, 200 pages, 13 euros.