Publié le Vendredi 28 avril 2023 à 13h34.

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Où va la psychiatrie ?

Le 29 septembre 2021, en pleine épidémie de covid, Emmanuel Macron clôturait les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie. Il dénonçait le « sous-investissement » subi par la discipline depuis de nombreuses années, et annonçait pour la « refonder » un plan de 30 mesures et un financement de 1,9 milliard d’euros en cinq ans.

Pas plus que le Ségur de la santé n’a apporté de réponse à la crise de l’hôpital public, les « assises » n’ont amélioré la situation du système de soins en psychiatrie et le sort des patientEs qui s’y adressent. Derrière la communication gouvernementale, la stratégie de l’exécutif consiste, là comme ailleurs, à exploiter les crises pour accélérer les contre-réformes libérales et autoritaires. Quelques pistes pour répondre à la question « Où va aujourd’hui la psychiatrie ? » et tracer dans les luttes une alternative.

Dossier préparé par la Commission nationale santé, sécu, social du NPA

 

La psychiatrie au péril du libéralisme autoritaire

La psychiatrie publique était jusqu’à présent une exception dans le système de santé français. Sous le nom de psychiatrie de secteur, elle mettait à la disposition des patientEs un système de soins public et gratuit, permettant d’assurer sur tout le territoire la prévention, l’accueil, les soins et le suivi des patientEs.

Cette prise en charge était permise par la présence d’une même équipe « pluridisciplinaire » [1] sur un territoire d’environ 60000 habitantEs, travaillant dans et hors hôpital. Les centres médico-psychologiques (CMP), les équipes de soins à domicile, les hôpitaux de jour implantés dans les villes et les quartiers donnaient la possibilité de pratiquer, dans la proximité, une psychiatrie « ouverte » en lien avec la cité (familles, médecins, travailleurEs sociaux, éluEs, associations). L’hospitalisation dans le service d’un centre hospitalier n’était, dans ces conditions, qu’une modalité de soin possible pour un temps limité.

Démantèlement du système de soins

Cette organisation a permis de rompre avec l’enfermement derrière les murs de l’asile devenu hôpital psychiatrique. Elle est aujourd’hui en cours de démantèlement. Les lieux de consultations et de soins sur le territoire ferment ou sont regroupés. Il en résulte un retour de plus en plus important des patientEs, faute d’autre solution, vers l’hôpital. La suroccupation entraîne des conditions d’accueil et d’hospitalisation indignes [2] et une incapacité des équipes à dispenser des soins de qualité. Les nouveaux modes de financement qui favorisent les projets dits « innovants », au détriment du fonctionnement généraliste des services, ne font qu’aggraver la situation.

Le temps indispensable de l’accueil et de la prise de connaissance de la personne et de son environnement est remplacé par le diagnostic et l’orientation par des « plateformes ». Le suivi avec le temps nécessaire en CMP disparaît faute de moyens. Il n’est nullement remplacé par le forfait de 8 consultations du dispositif « Monpsy », payées à un tarif scandaleusement bas chez unE psychologue libéralE. Dans cette vente à la découpe, les secteurs « rentables » de l’hospitalisation et du soin s’adressant à la clientèle la plus aisée sont confiés au secteur privé lucratif et libéral. La dimension relationnelle du soin s’étiole, avec pour conséquence inévitable la montée de la violence dans les services, souvent seul moyen d’être « entendu » pour le patient, auquel répond le recours à la violence institutionnelle (enfermement, contention).

Le discours convenu sur la « dé­stigmatisation » du malade mental ne peut cacher le maintien de la législation sécuritaire issue de l’époque Sarkozy, sur laquelle ni Hollande ni Macron ne sont revenus. Ce durcissement autoritaire s’appuie sur les paniques identitaires, exploitées par la droite et l’extrême droite, qui font de « l’autre » étrange ou étranger un danger. La tendance à une psychiatrie « d’ordre public » visant à protéger la société par l’enfermement et le contrôle social au détriment du soin reste d’actualité.

La psychiatrie, « une médecine comme les autres » ?

Le démantèlement en cours du système de soins psychiatriques s’accompagne d’une offensive idéologique qui en fourni la justification. Selon la pensée aujourd’hui dominante, le 21e siècle verrait enfin l’émergence de la psychiatrie comme discipline « scientifique », qui en ferait une « médecine comme les autres » débarrassée des « idéologies » du siècle passé.

Cette opération en réalité très idéologique consiste à réduire, sans démonstration convaincante, ce qu’il est convenu d’appeler « maladie mentale » à des causes essentiellement biologiques et génétiques. La dimension sociale et culturelle de la folie disparaît. Les « troubles psychiques » sont ramenés pour l’essentiel à un « dysfonctionnement » du cerveau et à de mauvais apprentissages qu’il conviendrait de « reprogrammer ».

Cette vision scientiste constitue une régression qui met en cause les approches humanistes du soin psychique et de la folie qui ont accompagné les luttes émancipatrices au cours du 20e siècle. La personne en souffrance n’est plus un sujet ayant des droits, que l’on prend le temps de rencontrer, de connaître et avec qui on élabore un projet de soins. Elle est soumise au bon vouloir d’une science qui l’objective dans ses symptômes.

Cette psychiatrie-là est bien à l’image d’une société libérale autoritaire où les « premierEs de cordée » censéEs savoir ce qui est bon pour l’ensemble de la population entendent imposer aux « gens de rien » les décisions justes et répriment celles et ceux qui y résistent.

J.C. Laumonier

 

« C’est le retour d’une sorte de triage entre “bons” et “mauvais” patients »

Entretien. Infirmier en psychiatrie depuis quatorze ans, Charlie Mongault, militant SUD santé-sociaux au CHU de Tours et membre de la commission psychiatrie de cette fédération [3], explique les conséquences du manque de moyens pour la psychiatrie publique.

Dans son discours aux Assises de la santé mentale et de la psychiatrie en septembre 2021, Olivier Véran, ministre de la Santé, déclarait : « nous allons donner à la santé mentale et à la psychiatrie la place qui leur revient, une place à la hauteur de l’enjeu pour le quotidien des Français ». Un an et demi plus tard, quel bilan peut-on tirer de ces annonces ?

Depuis la grande agitation gouvernementale des Assises de la santé mentale, rien n’a changé. C’était juste des effets d’annonce comme chaque fois que le gouvernement prend la parole sur un sujet majeur : psychiatrie, écologie, même combat. Au contraire, la grande nouveauté imposée par ce gouvernement, c’est le changement de financement qui après plusieurs années de retard doit entrer en application en 2023. Le financement du public et du privé sont désormais alignés, ce qui ne tient pas compte des missions particulières du service public. Surtout, ce financement se fait désormais en fonction de l’existence ou non de projets « innovants ». Il y a une injonction à l’innovation qui ne tient aucun compte des besoins de fonctionnement courant des services.

En quoi le soin psychique est-il particulièrement attaqué aujourd’hui ?

Il serait facile d’évoquer la privatisation rampante de la psychiatrie, mais quasiment tout le monde connaît parfaitement ce processus à l’œuvre. Ce qui est plus spécifique à la psychiatrie, c’est la volonté d’en finir avec la psychiatrie publique de secteur qui s’est mise en place dans les années 1960. Elle était marquée par la volonté de sortir les soins aux malades mentaux des asiles en s’intégrant à la société, au plus près de la vie des gens. Elle faisait reposer l’organisation de l’ensemble des soins (prévention, gestion de la crise et soin de suite de crise) sur une seule et même équipe publique pluridisciplinaire travaillant ensemble sur un secteur géographique. Cela permettait à la fois d’assurer les soins lors des hospitalisations complètes (à l’hôpital), mais aussi à l’extérieur dans les centres de consultation ou des lieux de soins ambulatoires dans les villes et les quartiers (centres médico-psychologiques, hôpitaux de jour…).

L’attaque menée actuellement touche les moyens mis à disposition de la psychiatrie. Elle se fait selon une orientation idéologique bien précise de segmentation du soin. Cela se traduit par la multiplication de propositions de soins hyper­spécialisés, avec des équipes dédiées à une seule problématique (comme la prévention du suicide ou des soins dédiés au psycho­traumatisme). Cette stratégie semble à première vue une évidence et frappée au coin du bon sens. Elle a en réalité des effets pervers graves et nombreux.

Le développement des nouvelles structures se fait au détriment de la psychiatrie publique généraliste sectorisée. Au niveau des moyens, on déshabille Pierre pour habiller Paul. Et on prive également les équipes de psychiatrie généraliste des savoir-faire de professionnelEs travaillant désormais uniquement dans les équipes spécialisées. C’est pourtant un moment où leur présence dans les services serait indispensable pour transmettre leur savoir et leur expérience aux nouveaux professionnelEs. Ceux-ci se retrouvent ainsi souvent démunis et sans soutien face aux cas complexes qui arrivent dans les unités « non spécialisées ».

Il s’opère, de fait, une sélection des patientEs sur des critères d’entrée restrictifs. C’est le retour d’une sorte de triage entre les « bons » et les « mauvais » patientEs. Lorsqu’on sait l’intersectionnalité entre la maladie mentale et toutes les problématiques politiques et sociétales, comment fait-on avec les personnes qui ne « rentrent pas dans les cases ? »

La situation des unités de secteur devant assurer un fonctionnement 7 J / 7 avec, 24 h / 24, avec un nombre de patientEs de plus en plus nombreux, avec des équipes insuffisantes et fragilisées, manquant de professionnelEs expérimentés, devient critique.

Le summum de la perversité de ce système se retrouve lorsque les unités spécialisées après avoir appliqué la prise en charge définie pour une problématique réadressent les patientEs vers la psychiatrie de secteur pour la poursuite de la prise en charge globale, alors même qu’elle se retrouve sous-dotée pour pouvoir mener à bien les soins.

En 2018, les luttes emblématiques qui avaient eu lieu notamment à Sotteville-lès-Rouen, au Havre et à Amiens avaient laissé espérer un « printemps de la psychiatrie ». Où en sont aujourd’hui les résistances et les mobilisations ?

Comme dans les autres secteurs de la santé, la période du Covid est venue mettre un frein aux mobilisations massives qui avaient tendance à se multiplier. Des luttes et résistances continuent à voir le jour d’un établissement à l’autre. Ce fut le cas pendant un an et demi dans mon établissement, au CHU de Tours, où un projet architectural de regroupement des différents sites d’hospitalisation a servi d’excuse à la direction pour supprimer 84 lits. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. À la suite des mobilisations évoquées, un collectif large s’est monté, justement nommé « le printemps de la psychiatrie ». De mémoire de collègues, cela faisait bien longtemps qu’une mobilisation ne s’était pas basée sur le refus catégorique de la dégradation de la qualité des soins. Ce collectif est toujours actif. Comme tous les secteurs qui se battent pour le progrès social, la question est de savoir comment articuler les luttes locales avec un niveau global.

Propos recueillis par J.C. Laumonier

 

« La contention fait des morts tous les ans, notamment par asphyxie »

Entretien. Après le rejet le 31 mars dernier par le Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) concernant la contention en psychiatrie, nous nous sommes entretenus avec Mathieu Bellahsen, psychiatre. Il publie en août prochain aux éditions Libertalia un livre sur le sujet : « Abolir la contention et le système contentionnaire ».

Le Conseil constitutionnel vient de rejeter deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) concernant la contention en psychiatrie (enfermement dans des chambres d’isolement, avec juste un matelas par terre, attachement par des sangles aux pieds, poignets et abdomen). La législation actuelle est pourtant selon toi insatisfaisante ?

Depuis des années, le gouvernement refuse un débat de fond sur la réduction, voire l’abolition des pratiques d’entraves, au premier rang desquelles se situe la contention mécanique. Pour ne parler que de la contention, cette pratique traumatise les personnes qui y sont soumises, voire créent des reviviscences traumatiques d’événements violents. Pour les soignantEs, la contention peut provoquer à la fois une grande souffrance au travail et/ou une banalisation, voire un sadisme délétère. La question qui n’est pas posée, c’est la légitimité de ces mesures en matière de soins. En octobre 2021, le ministre Véran disait à l’Assemblée nationale que l’isolement et la contention sont « thérapeutiques » ! Des soignantEs soutiennent également cette position. Or le Contrôleur général des lieux de privation de libertés, le Conseil de l’Europe, la littérature scientifique internationale s’inscrivent en faux face à ces déclarations. Par ailleurs, comment expliquer la recrudescence de ces pratiques alors qu’en France pendant quelques décennies de nombreux services s’en passaient ? Et l’argument de la pénurie n’est pas suffisant pour tout expliquer. L’imaginaire sécuritaire, la peur des patientEs, la banalisation de la violence auprès des patientEs et les complicités institutionnelles sont aussi en cause.

Dans ce contexte, le contrôle judiciaire des mesures d’entraves est une bonne chose car il peut servir de contre-pouvoir à l’intérieur de l’institution psychiatrique. Pour autant, encadrer ces mesures sans se poser la question de leur réduction conduira fatalement à leur inflation. Tant que la procédure est respectée, on peut attacher !

Par ailleurs, la dernière décision du Conseil constitutionnel conclut à une conformité mais reste problématique dans son argumentation. Étant donné que les personnes isolées et attachées peuvent faire des demandes de réparations financières pour les isolements et contentions abusives, cela revient à dire que le respect des libertés fondamentales peut être bafoué au motif d’une réparation financière d’après-coup !

L’idée selon laquelle la contention serait une modalité du soin est aujourd’hui largement répandue. Ce n’est pas ton avis ?

Non, pour moi il s’agit d’un anti-soin. Dans le cadre du travail d’écriture du livre qui paraîtra en août prochain, j’ai reçu des témoignages directs de personnes qui ont été contentionnées. Que disent-elles ? Que la contention est une humiliation, un traumatisme voire une retraumatisation de violences physiques et psychologiques déjà subies par le passé (inceste, violences sexuelles, agressions physiques, maltraitances psychologiques, etc.). La contention aggrave la méfiance envers les soignantEs et décontenance la relation thérapeutique à construire. Par ailleurs, comme je le raconterai au travers de vignettes vécues, la contention peut produire du sadisme du côté des soignantEs et de la banalisation par les directions hospitalières et les tutelles pour qui, la plupart du temps, l’important est que l’ordre règne. Dans mon exercice de psychiatre de secteur, je n’ai jamais attaché de patientEs. Dans le pôle de psychiatrie dont j’étais chef nous avions proscrit cette pratique. Pour que cela tienne, il faut un travail institutionnel généralisé au secteur, une limitation permanente des penchants abusifs du corps psychiatrique qui va des tutelles et directions hospitalières en passant par les psychiatres et les soignantEs. La liberté est toujours un combat et on voit à quel point la société peut sentir le renfermé en ce moment, ce qui se traduit par plus de murs, de chambres d’isolement, de contention et de médicamentations forcées en psychiatrie. Et par un penchant répressif envers les équipes qui soutiennent une psychiatrie critique.

Pourquoi la question de la contention occupe-t-elle une place centrale aujourd’hui ?

Elle est la face émergée de ce que j’appelle le système contentionnaire. Dans la Révolte de la psychiatrie, nous avions montré avec Rachel Knaebel que cette pratique était revenue insidieusement dans les hôpitaux sans que l’on puisse dater exactement son retour majoritaire [4]. Aujourd’hui, 85 % des lieux attachent et isolent de façon régulière alors que les 15 % de lieux qui font autrement sont décrédibilisés par les premiers. Le renversement de la charge de la preuve indique bien la perversion du système contentionnaire et comment il fait vriller les pratiques au détriment des premierEs concernéEs, les personnes en souffrance psychiques. Par ailleurs, à mesure que l’intérêt des politiques publiques se centre sur la « e-santé » mentale et les gadgets numériques qui développent de nouveaux marchés pour les start-up, cette « dématérialisation » des relations humaines s’accompagne d’une surmatérialisation des entraves mécaniques et physiques. La contention est clairement une question clinique et politique.

Tu expliques qu’il existe des alternatives à la contention en t’appuyant sur d’autres pratiques. Peux-tu en donner quelques exemples ?

La première alternative au système contentionnaire est de reprendre à la racine le symptôme qu’est la contention et de déplier toutes les sangles de ce système. Faire qu’il y ait plus de lieux de prévention et d’accueil pour la souffrance psychique et éviter que les personnes arrivent dans des conditions dégradées aux urgences où elles seront attachées…. Donc refaire une psychiatrie qui soigne et non se contenter d’une cérébrologie faisant porter tous les troubles aux patientEs. En psychiatrie, l’alternative principale à la contention est un travail sur l’ambiance institutionnelle, des réunions avec les personnes en souffrance psychique, des activités thérapeutiques, des soins psychocorporels, une disponibilité importante et un intérêt pour l’existence et l’histoire singulières des patientEs, l’accueil de leur milieu de vie, de leurs familles, de leur monde. Ensuite, il y a des techniques de désescalade. Dans le service, nous pratiquions des enveloppements, il y avait un espace d’apaisement et des temps de club thérapeutique qui permettaient que se tissent d’autres liens, plus transversaux, moins verticaux entre les soignantEs et les patientEs.

Au niveau international, l’Islande a aboli la contention. De nombreuses institutions internationales comme le Comité de prévention de la torture sont abolitionnistes et des associations d’usagerEs et de famille le sont également. Il est regrettable qu’en France, la contention ne suscite que peu d’intérêt comparé à sa gravité dans les pratiques : la contention fait des morts tous les ans notamment par asphyxie. Voulons-nous collectivement poursuivre sur cette voie d’une psychiatrie asphyxiante ?

Propos recueillis par J.C. Laumonier

[1] Comportant notamment psychiatres, psychologues, infirmierEs, éducateurEs spécialisés, assistantEs de service social, aides-soignantEs, ASH, ergothérapeutes, etc.

[2] Les conditions d’accueil en hôpital psychiatrique sont régulièrement dénoncées dans les rapports de la contrôleuse des lieux de privation de liberté.

[3] Cette commission a notamment publié une brochure sur la psychiatrie :
http://www.sudsantesociaux35.org/Brochure-Psy-Edition-Federation-Sud-Sante-Sociaux-2022

[4] Mathieu Bellahsen a déjà publié la Santé mentale, vers un bonheur sous contrôle aux éditions La Fabrique, 2014 et la Révolte de la psychiatrie, avec Rachel Knaebel, aux éditions La Découverte, 2020