Publié le Mardi 7 octobre 2008 à 23h37.

Réforme de la PAC....

Au bonheur des agro-industriels

Les ministres européens de l’Agriculture se réunissent, les 20 et 21 septembre, à Annecy, pour faire le point sur la « réforme » de 2003 de la politique agricole commune (PAC). Mais ils ne modifieront qu’à la marge une politique productiviste, liquidant l’agriculture paysanne et ruinant des millions de petits paysans du Sud.

Créée en 1957 par le Traité de Rome et entrée en vigueur, en 1962, la politique agricole commune (PAC) avait, à l’origine, l’objectif de subvenir aux besoins alimentaires de la population européenne et d’assurer aux agriculteurs des prix stables, à l’abri des fluctuations du marché mondial. Dans les années 1960, elle a permis d’accroître la productivité agricole, grâce à la mécanisation et aux intrants (engrais et pesticides), d’augmenter le niveau de vie des paysans et de stabiliser les marchés, garantissant ainsi la sécurité des approvisionnements et des prix raisonnables pour les consommateurs.

Les outils de régulation reposent sur trois principes : un marché communautaire unifié, avec libre circulation des produits agricoles ; la protection contre les importations extracommunautaires à bas prix ; la solidarité financière, par une prise en charge de la totalité du budget de la PAC par l’Union européenne (UE). Dans les années 1970, l’objectif de souveraineté alimentaire est atteint en Europe, mais la machine à profits est aussi lancée. L’augmentation de la productivité permet d’exporter sur le marché mondial et l’industrie agro-alimentaire engrange de gros bénéfices. Cela conduit à la poursuite de l’intensification de la production agricole, au détriment de la qualité et de l’environnement.

Dérégulation

La « réforme » de 1992 marque un changement de cap fondamental de la PAC. Elle organise la baisse des prix par la réduction des prix garantis pour certaines productions. Des compensations financières sont distribuées aux paysans, afin de pallier leurs pertes de revenus. Mais ces aides sont très inégalement réparties, et elles favorisent l’agriculture productiviste et les grandes exploitations. L’objectif de la « réforme » est alors de restructurer les exploitations agricoles afin de fournir aux industries agro-alimentaires des produits à très bas prix, répondant aux exigences du Gatt (ex-Organisation mondiale du commerce). L’agriculture doit devenir un secteur capitaliste comme un autre, avec de véritables entreprises réactives aux fluctuations du marché…

Avec la « réforme » de 2003, les aides sont découplées du volume de production et se fondent sur une moyenne d’années de référence – système des droits à paiement unique (DPU). C’est un bouleversement majeur dans la répartition du soutien public à l’agriculture. Ce système d’aide fige encore plus les inégalités entre producteurs. Plus l’exploitation est intensive, plus l’agriculteur touche des aides publiques (lire encadré).

L’inflation de ces deux dernières années sur les prix (céréales, engrais, carburants) et les épisodes climatiques chaotiques liés au réchauffement accentuent les inégalités générées par la PAC. Dernier coup de poignard, les petites exploitations individuelles non modernisées se voient refuser de nouveaux prêts pour leurs investissements, les banques étant échaudées par l’épisode des subprimes. De quoi les décourager et favoriser de nouvelles concentrations entre les mains d’« agro-managers » de plus en plus gros et de moins en moins nombreux. Cela aboutit à un système où le travail du paysan perd son sens, sacrifié sur l’autel de la productivité à court terme. Le travail est divisé entre les tâches manuelles réalisées par des ouvriers spécialisés, payés de 8 à 10 euros de l’heure, et la gestion qui revient au propriétaire des capitaux. L’intensification du travail (fortes quantités de travail et de capital par unité de surface) est indissociable du recours croissant à des produits et techniques polluants, dangereux pour la santé et l’environnement. Cela s’accompagne de l’élimination de plusieurs centaines de milliers de paysans. Une exploitation disparaît toutes les trois minutes en Europe, toutes les vingt minutes en France.

Conséquences désastreuses

Depuis 50 ans, les agriculteurs n’ont cessé de produire plus en vendant beaucoup moins cher et en étant beaucoup moins nombreux. La baisse des prix, imposée par la « réforme » de 1992, n’a pas été compensée par des aides directes, loin s’en faut, et elle n’a pas profité aux consommateurs. Les gains de productivité ont été confisqués par l’agro-industrie. La moitié des paysans ont des revenus inférieurs au Smic et un quart d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Sur le plan écologique, la PAC a eu des effets dévastateurs. En France, 2 millions d’hectares de zones humides ont été drainés ; un quart des prairies naturelles (3,5 millions d’hectares) a disparu au profit des grandes cultures. Entre 1992 et 1997, 40 000 hectares de haies et de bosquets ont été supprimés, avec des conséquences incalculables sur l’érosion, les nappes phréatiques, la biodiversité et les paysages. La contamination des eaux a atteint des niveaux inacceptables. L’agriculture française est celle qui utilise le plus de pesticides. Entre 1970 et 1997, les surfaces irriguées ont été multipliées par cinq. La monoculture du maïs s’est développée sans prendre en compte les conditions climatiques et en abandonnant une des bases essentielles de l’agriculture, la rotation dans l’usage des sols. Tout cela a profité aux agro-industriels qui disposent, au cœur de la paysannerie, d’un outil très efficace, le syndicat majoritaire de la FNSEA avec son annexe, les Jeunes agriculteurs, dominée par les producteurs de blé, de maïs et d’oléagineux. De fait, ces derniers dirigent la FNSEA, et donc la politique agricole.

Le système des « restitutions », c’est-à-dire de subventions à l’exportation pour le sucre, la viande, le lait et les céréales, compense les prix bas du marché mondial et permet de vendre, sur le marché international, à des prix en dessous du coût de revient tout en faisant des bénéfices. Cette politique de dumping dérégule les marchés du Sud, notamment africains et sud-américains, mettant à mal leurs agricultures locales, ruinant des paysans déjà paupérisés, qui arrêtent de produire et vont grossir les bidonvilles.

À cela, s’ajoutent l’explosion de la production des agrocarburants, la diminution globale des stocks aux États-Unis et en Europe, la spéculation sur les matières premières agricoles, la baisse de la production mondiale due aux aléas climatiques (sécheresse ou excès de pluie), la réduction des terres cultivées (urbanisation, réseau routier, etc.), et, bien sûr, la flambée des cours du pétrole. On obtient ainsi la crise alimentaire mondiale actuelle, avec son cortège de famines et d’émeutes de la faim. Mais elle n’est pas dramatique pour tout le monde, les bénéfices des multinationales céréalières ayant doublé ces deux dernières années.

Mesures d’urgence

Comme pour d’autres secteurs de l’économie, nous ne sommes pas opposés par principe à l’intervention publique dans le secteur agricole, bien au contraire. Des mesures d’urgence s’imposent : la refonte complète des aides, le recouplage à la production réelle, le plafonnement par actif (par travailleur), la remise en place d’outils de régulation, la planification des productions, des protections douanières selon des normes sociales et environnementales, le contrôle des structures, la coopération et l’aide aux pays du Sud, ainsi que la garantie du droit à la souveraineté alimentaire des pays.

Mais un vrai changement implique que l’on sorte de la logique productiviste, capitaliste, de concurrence et de profit, pour entrer dans une vraie économie écosocialiste, de coopération, au service de la satisfaction des besoins du plus grand nombre, avec des produits de qualité garantissant un revenu décent aux travailleurs et des conditions de production acceptables pour la planète (préservation des sols, de la ressource en eau, de la biodiversité, réduction des émissions de gaz à effet de serre).

Il faut favoriser les modes coopératifs dans la production (coopératives d’utilisation du matériel, statut collectif pour les terres), la transformation (coopératives de transformation, comme celles qui existent dans les AOC fromagères) et la commercialisation (rupture radicale avec le système de grande distribution et création de coopératives de vente, multiplication des circuits courts). Il faut établir un cadre commun, déterminé par l’ensemble de la société, sur le modèle de production de l’agriculture biologique et autonome ou de l’agriculture paysanne, en favorisant l’apprentissage de ces modèles dans la formation. Il faut construire un véritable système de coopération internationale avec les paysans du Sud, visant à l’autonomie alimentaire de ces pays. Il faut favoriser le fonctionnement démocratique et autonome à chacun de ces niveaux.

Les aides publiques à l’agriculture

Le budget total de la PAC est de 40 milliards d’euros, soit près de 40 % du budget total de l’Union européenne (UE). Les 12,1 milliards d’euros attribués annuellement à l’agriculture française se répartissent ainsi :

► 9,5 milliards d’euros au titre du « premier pilier », financé exclusivement par l’UE : régulation des marchés, soutien aux produits et, depuis la « réforme » de 2003, aides découplées (DPU). Sur ces 9,5 milliards, 5,4 vont aux grandes cultures céréalières, 2,7 à la viande et au lait et 1,4 aux autres productions.

► 1,8 milliard d’euros au titre du « deuxième pilier » (développement rural), cofinancé par l’UE, l’État et les régions. Ils se répartissent entre l’aide à l’installation et à la modernisation des exploitations, la protection et l’entretien de l’espace rural et des ressources naturelles, l’aide aux zones défavorisées, par exemple les zones de montagne. Les aides nationales représentent 0,85 milliard d’euros et leur majeure partie est consacrée à la gestion des risques et calamités agricoles sur lesquels lorgnent les compagnies d’assurance. Les aides des collectivités territoriales consistent essentiellement en subventions pour le matériel et les bâtiments.

Les 12,1 milliards d’aides sont très inégalement répartis entre les 400 000 exploitations françaises. La répartition entre les territoires et les productions se décompose en trois grandes zones :

► une zone de grande culture (Grand-Nord-Est de la France), où les exploitations sont les plus grandes, les aides à l’hectare les plus élevées, donc les aides par exploitation les plus importantes ;

► les zones intermédiaires de polyculture et d’élevage (Grand-Ouest, Sud-Ouest et zones de montagne), qui bénéficient le plus des aides du second pilier, le plus redistributif mais le moins important, avec moins de 15 % du budget total ;

► le Sud-Est méditerranéen, où dominent des cultures spécialisées non aidées (arboriculture, maraîchage, viticulture), et qui subissent la déréglementation de la PAC et la mondialisation.

Toutes ces aides sont très inégalement réparties, selon la taille des exploitations et la grande majorité n’est pas plafonnée. Ainsi, 20 % des exploitations (les plus grandes) perçoivent 74 % des aides, d’où la formule popularisée sous la forme : « 20 % des agriculteurs reçoivent 80 % des aides. »