Publié le Mardi 2 avril 2013 à 16h24.

La crise grecque, faits et chiffres

Par Panos Angelopoulos(1)

Le délabrement en cours de la société grecque traduit bien la crise d’ensemble du système capitaliste. Mais il est aussi le résultat des plans d’austérité successifs (Mémorandums) imposés en mai 2010, février et octobre 2012 par la Troïka de concert avec les créanciers privés (banques, fonds d’investissement, etc.).

ELSTAT, l’agence grecque de statistiques, a publié ses dernières données en novembre 2012. Depuis 2009, en valeur constante, le PIB est passé de 211 milliards d’euros à 171 milliards, soit une chute cumulée de 19 %. En 2012, le recul est de l’ordre de 7%. Une telle dépression est, par sa durée et son ampleur, une « première » en Europe occidentale depuis la Deuxième Guerre mondiale.

La rapidité de cet effondrement est due à plusieurs facteurs. Il y a en premier lieu les politiques d’austérité. En second lieu, la contraction du crédit et le développement de l’économie de troc qui en découle. Des pans entiers de l’économie grecque sont à l’arrêt, non parce qu’ils n’ont pas de clients (en particulier à l’export), mais parce qu’ils ne peuvent plus financer le cycle de production. Il y a un énorme problème de liquidité. Dans le même temps, d’autres secteurs sortent de l’économie officielle du fait du développement du troc. En fait, on peut considérer qu’un tiers de la population ne survit que par le troc ou des systèmes de paiement locaux. Ce phénomène semble être en train de s’accélérer. Il devrait provoquer à relativement court terme un effondrement des ressources fiscales. Pourtant, personne n’a pensé toucher le grand capital, les banques, les armateurs et le plus grand propriétaire foncier du pays : l’Église.

La chute du niveau de vie

La consommation s’est contractée de manière très forte. Par rapport au niveau de 2005, le niveau des ventes de détail a baissé de 24 % et la production alimentaire de 15 %. Si l’on peut espérer que cette baisse est en partie compensée par le développement des réseaux de troc pour l’alimentation et la consommation courante, il ne peut en être ainsi pour certaines autres consommations, comme celles des services publics (éducation, santé).

Année

Prévisions de la Troïka en septembre 2010

Réalité
2010 -4,00% -4,90%
2011 -2,60% -7,10%
2012 +1,10% -7,00%*

Croissance économique de la Grèce (PIB)  - * Prévision de début novembre 2012

Les investissements productifs ont chuté, en volume, d’un indice de 175 à 75. Les exportations ont baissé d’un indice 140 à moins de 120. En 2009, la dette publique grecque représentait 125 % du PIB ; trois ans après, elle est passée à 175 % et, selon les estimations, grimpera à 189 % en 2013. 

La masse des impayés fiscaux recensés (impôts, taxes, TVA, etc.) est passée de 3,8 milliards d’euros à plus 10 milliards (mais certaines estimations sont plus élevées).

Le pouvoir d’achat des ménages a baissé d’un tiers. Pour la seule période mi-2011 – mi-2012, on observe une chute de 15 % du revenu des ménages et de 9,5 % des allocations sociales. Par contre, on a connu une hausse des impôts de 37 %. Dans le même temps le seuil du revenu non imposable est passé de 12 000 à 5 000 euros.

Ces données expliquent pourquoi 853 282 personnes (pour une population totale de 11,5 millions) sont enregistrées auprès de divers organismes, y compris l’Église, pour avoir accès à une aide alimentaire quotidienne. Et les mesures du troisième Mémorandum, adopté le 7 novembre 2012, n’ont pas encore déployé leurs effets acides.

Un ménage doit aussi se chauffer : chose pas évidente quand le prix du litre de fuel domestique est de 1,35 euro, en hausse de 35 % sur un an. En zone rurale, la forte hausse de l’utilisation du bois de chauffage est un indice de l’inaccessibilité du fuel.

Quant à l’électricité, en 2011, 30 000 ménages et petites entreprises étaient sujets à des coupures suite au non paiement des factures. Son prix a déjà été augmenté et une hausse de 40 % doit intervenir en 2013 en plusieurs étapes.

Misère et exclusion de masse

Le nombre des sans-logis est passé de quelques centaines à près de 40 000, et serait beaucoup plus élevé si la famille ne servait pas d’amortisseur.

La faim commence aussi à tenailler une partie croissante de la population, d’où maints évanouissements d’enfants à l’école, l’essor des soupes populaires, la distribution de nourriture par diverses ONG et initiatives solidaires, les pratiques de troc. Notons le cynisme du gouvernement et de la grande distribution qui mettent en vente – de manière « visiblement séparée », selon les recommandations gouvernementales – les produits ayant dépassé leur date de péremption.

En 2010, l’ELSTAT évaluait le nombre de personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté à 2,34 millions, donc environ 20 % de la population totale. Il est estimé qu’en 2012 le nombre de personnes survivant en-dessous, souvent largement en-dessous de ce seuil, va atteindre quelque 3,3 millions de personnes. La pauvreté frappe avec plus de force les enfants jusqu’à 15 ans des familles monoparentales et les personnes de plus de 65 ans.

Le taux des actes de suicide était parmi le plus bas dans le monde occidental. Au cours de deux dernières années, on a enregistré une hausse de 40%. On parle de 3 personnes suicidées tous les 2 jours : des personnes qui viennent d’être licenciées, qui ont subi des coupes drastiques sur leurs salaires, retraites, allocations, et qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts…

Dès avant le début de la crise, les caisses d’assurance maladie étaient structurellement déficitaires. Entre 2007 et 2009, l’hôpital public avait déjà subi des coupes budgétaires de 40 %. Depuis, en réponse aux injonctions de la Troïka, les dépenses publiques de santé ont été réduites de 32 %. Les patients se sont vu demander un paiement forfaitaire de 5, puis de 25 euros pour toute consultation, ainsi qu’une participation aux frais médicaux. Les chômeurs ne sont plus couverts un an après la perte de leur emploi. Le plus souvent, ils ne se soignent pas et attendent que les pathologies s’aggravent pour finalement se rendre aux urgences. Les admissions y ont bondi d’un tiers. Les unités de soins intensifs sont également débordées. Il y a dans les hôpitaux une pénurie générale de consommables quotidiens (seringues, pansements, masques) et de médicaments.

Si le système de soins frise l’explosion, celui de la distribution de médicaments ne va guère mieux. L’Etat doit plus d’un milliard de remboursements aux laboratoires et aux pharmaciens. Les premiers appliquent souvent des prix exorbitants et viennent de décider de retirer du marché des médicaments pour des maladies chroniques. Les pharmaciens, sachant qu’ils ne seront pas remboursés par les caisses d’assurance-maladie, refusent très majoritairement de fournir gratuitement les médicaments aux patients.

Les rapports des ONG font état d’une crise humanitaire qui s’étend à vitesse grande V. Tandis que par le passé leurs missions et interventions concernaient des migrants sans-papiers ou des SDF, elles se trouvent actuellement débordées par les visites de Grecs ne bénéficiant pas de l’assurance maladie.

En même temps, des maladies disparues depuis des décennies, comme le paludisme ou la tuberculose, sont de retour.

Salaires et emploi

Plus du quart de la population active est au chômage. Chez les femmes et les jeunes, le taux de chômage atteint 57%. Le nombre des actifs employés est actuellement inférieur à celui des chômeurs et des retraités.

Année Prévisions de la Troïka en septembre 2010 Réalité
2010 11,80% 14,40%
2011 14,60% 21,20%
2012 14,80% 25,4%

Chômage (Chiffres à fin août 2012)

Le salaire minimum est actuellement de 586 euros bruts, autour de 490 nets, tandis que les conventions collectives sont en voie de disparition, laissant place à des contrats individuels, souvent imposés sous menace de licenciement.

Dans le privé, 60 000 petites et moyennes entreprises ont fait faillite en 2011. Des sociétés plus importantes déposent aussi leur bilan, ou optent pour la délocalisation. Tout cela se traduit par des licenciements massifs. Une autre vague est attendue en 2013 avec, par exemple, une restructuration du secteur bancaire qui devrait conduire à 20 000 licenciements sur 56 000 salariés.

Dans le secteur public, il avait initialement été question de supprimer 150 000 postes d’ici à 2015. De nouvelles formulations ont fait leur apparition pour rendre cette perspective plus « digérable ». La grande nouveauté s’appelle « réserve de travail ». Des employés de l’administration publique centrale et des municipalités seraient versés dans une « réserve », pour un an, avec un salaire réduit de 25%. Si un an après, aucune place n’était disponible, ils seraient licenciés sans compensation.

Les « réformes structurelles » se centrent maintenant sur la dite « restructuration du secteur public », c’est-à-dire la suppression prévue en 2013 de divers services, institutions, organismes qui produirait 20 000 « réservistes », mais surtout sur la privatisation des organismes publics de l’eau, de l’électricité et des chemins de fer qui déboucherait sur une purge sévère du nombre de leurs salariés.

Ajoutons qu’en 2011, plus de 400 000 salariés ont été payés avec au moins trois mois de retard. Ce nombre est en train d’exploser. La pratique se répand en outre de ne payer, face à la menace d’une faillite imminente, qu’une partie du salaire.

1 Extraits, édités par TEAN La Revue!, d’une intervention le 30 novembre 2012 lors d’une soirée projection-débat près de Quimper. Texte complet sur http://cadtm.org/Crise-d…