Publié le Mardi 12 octobre 2021 à 22h34.

Le nucléaire ne sauvera pas le climat

L'industrie nucléaire n'est pas au mieux de sa forme. Toujours embourbée dans des scandales industriels, en faillite financière, à la tête de réacteurs fatigués et mal entretenus, débordée par des milliers de tonnes de déchets hautement radioactifs, incapable financièrement et techniquement de construire de nouveaux réacteurs, mais alléchée par les immenses marchés publics des EPR, du démantèlement et de la gestion des poubelles nucléaires, elle déploie en France, avec le soutien inconditionnel de l’État, une stratégie offensive qui présente le nucléaire comme la solution au dérèglement climatique.

Il s'agit de sauver les soldats EDF et ORANO et de maintenir la France, coûte que coûte, comme grande puissance nucléaire, tant civile que militaire.

Une partie de l'opinion publique est sensible aux sirènes du nucléaire comme un moindre mal, énergie peu, voire non émettrice de gaz à effet de serre, qui alimente au passage le mythe d'une indépendance énergétique du pays alors que la totalité de l'uranium est importée.

Macron, comme ses prédécesseurs, est le premier défenseur de l'atome. En décembre 2020, en visite à l'usine Framatome du Creusot, il déclare : « sans nucléaire civil, pas de nucléaire militaire, sans nucléaire militaire pas de nucléaire civil ». En Polynésie, il renchérit, alors que 193 essais nucléaires ont eu lieu en 30 ans dans l'archipel, « la France a une chance c'est le nucléaire ».

Dans le monde politique, tout le monde se réconcilie pour le nucléaire : en février 2021, une cinquantaine de personnalités politiques signent l’appel de l’Association de défense du patrimoine nucléaire et du climat, renouant par là avec certaine une tradition française dite « transpartisane » des défenseurs de l’atome, d'Arnaud Montebourg à Gérard Longuet, sénateur de la Meuse, en passant par des sarkozystes ainsi que les députés communistes André Chassaigne du Puy-de-Dôme et Sébastien Jumel de Seine-Maritime.

L'industrie nucléaire utilise les réseaux sociaux et y lance des opérations de communication au nom du climat. Des partenariats rémunérés avec des webs télés et des youtubeurs-influenceurs fleurissent, sous couvert de vulgarisation scientifique, diffusant des informations fausses ou tronquées, à caractère très nationaliste, dans un objectif d'acceptabilité sociale du nucléaire.

Parmi les influenceurs, Jean-Marc Jancovici a une place grandissante. Son entrée au Haut conseil pour le climat et, dans un autre registre, sa participation au documentaire d'Emmanuel Cappellin « Une fois que tu sais » confirment sa place dans le monde institutionnel et médiatique.

Ingénieur, consultant, il est cofondateur du think-thank The Shift project (le projet de changement), qui œuvre en faveur d'une économie libérée de la contrainte carbone, et intègre le nucléaire comme une réponse au problème climatique.

EDF, Total, Engie, Orange ou Bouygues, clients de son cabinet de conseil Carbone 4, spécialisé dans la stratégie bas carbone et l'adaptation au changement climatique, financent également The Shift project.

Sa position idéologique va bien au-delà d'un discours sur le climat. Il est favorable à une société d'experts, sur lesquels s'appuient les politiques, lesquels doivent faire appliquer les contraintes à la population sur un mode autoritaire, dans une perspective inégalitaire des efforts à réaliser : « il est impossible de concilier trajectoire –2 °C et hausse du pouvoir d'achat » ; « tout le monde même les Français modestes va devoir faire des efforts, parce que même les Français modestes consomment trop d'énergie ».

Des collectifs antinucléaires et écologistes, nationaux et locaux, l'association ATTAC ont publié, en réponse une tribune « Jancovici… une imposture écologique ? Une écologie de droite décomplexée1 »

Une énergie ni sobre ni décarbonée

Le calcul des émissions de gaz à effet de serre reste complexe, et selon les sources, pour un kWh produit, l'énergie nucléaire émet entre 12 grammes de CO2 (source GIEC) et 66 grammes (rapport Wise 2015), qui semblent ne pas soutenir la comparaison avec les 490 grammes d'une centrale à gaz. Ne sont pas pris en compte dans ce calcul, en aval du cycle, la gestion pharaonique et énergivore des déchets, ni le démantèlement des installations, immense dette laissée aux générations futures, qu'aucun État ni aucune technologie n'a réussi à réaliser à ce jour.

De plus, la filière nécessite de très longs transports de combustible et de déchets, générateurs d'énormes émissions de GES, qui sillonnent la France dans un sens puis dans un autre, par voie routière et ferroviaire, sans aucune information des populations des territoires traversés, et au prix de la sécurité des travailleurs2. Tout le minerai est acheminé pour une première transformation vers l'usine de Narbonne Malvesi, puis vers le Tricastin, pour être convoyé vers toutes les installations nucléaires du pays ; les combustibles usés sont traités à La Hague ; le plutonium est transporté à Marcoule pour fabriquer du combustible mox, et réexpédié vers certains réacteurs…

Une production d'énergie mondiale marginale et hors délai

L’Allemagne, qui a arrêté le nucléaire, souvent montrée du doigt, à juste titre, pour l'exploitation de ses centrales à charbon, mais qui développe les renouvelables, a réduit ses émissions de 25 %. Dans le même temps, la France, qui poursuit et relance le nucléaire, n’a réduit ses émissions que de 12 %.

Les 443 réacteurs nucléaires en service répartis dans 30 pays représentent 10 % de la production d'électricité et 2 % de la consommation d'énergie finale.

Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, les émissions de GES doivent être réduites de 7,6 % chaque année entre 2020 et 2030. Si on avance l'hypothèse de remplacement de centrales à gaz ou à charbon par des centrales nucléaires, à l'échelle mondiale, la réduction de 10 % des émissions de GES par ce procédé nécessiterait la construction d'un réacteur nucléaire par semaine d'ici à 20303.

La durée de construction d'une installation nucléaire, entre 10 et 19 ans (l'EPR de Flamanville, EPR dit de 3e génération, commencé en 2006, était censé être connecté au réseau en 2012), rend irréalisable l'objectif sur le plan strictement opérationnel.

Face à l'urgence d’agir, le nucléaire est hors délai.

Le climat ne sauvera pas le nucléaire

Les événements climatiques extrêmes, cyclones, tempêtes, inondations et autres canicules, accentuent la dangerosité du nucléaire. En 2050, les centrales nucléaires, gourmandes en eau de refroidissement, auront soif. La contrainte hydrique est un impératif à prendre en compte pour la construction d'éventuelles nouvelles centrales, en particulier sur les zones côtières vulnérables à l'élévation du niveau des océans.

Le risque sismique élevé, au Pakistan, en Inde, au Japon, et l'extractivisme capitaliste constituent un risque supplémentaire d'accident. Les exemples se multiplient, à l'image de la centrale du Tricastin qui n'a pas été épargnée par le séisme de 2019.

Le nucléaire, une énergie du passé, chère et dangereuse, pour les salariés et la population

Les ressources mondiales en uranium seront épuisées en 2070. Les déboires et scandales de l'industrie nucléaire majorent d'année en année, inexorablement, le coût de cette énergie, au regard de celui des énergies renouvelables. Le budget de l'EPR atteint aujourd'hui 19 milliards. Pour les rentabiliser, les installations nucléaires vont être prolongées jusqu'à 50 voire 60 ans. En France aujourd'hui, 52 réacteurs ont atteint l'âge de 30 ans pour lequel ils ont été conçus (21 ont atteint 40 ans).

Les fonds publics de la recherche sont engloutis par le nucléaire, aux dépens des énergies renouvelables.

Aujourd'hui, EDF sous-traite 80 % de la maintenance sur ses installations nucléaires. Jusqu'à 50 entreprises différentes peuvent intervenir pour le remplacement d'un générateur vapeur. Deux tiers des salariés sous-traitants, nomades, changeant de chantier au gré des missions, subissant des conditions de travail extrêmement précaires, sont soumis par les groupes prestataires à la pression de la rentabilité, avec des délais toujours plus courts, au prix de leur propre sécurité et de celle des installations4.

Comme le reconnaît l'autorité de sûreté nucléaire elle-même, « un accident nucléaire majeur ne peut être exclu nulle part », le risque nucléaire est omniprésent.

Quant au prototype ITER (réacteur thermonucléaire expérimental international), qui explore la fusion, il ambitionne de produire 500 MW (1/3 de la puissance de l’EPR) pendant 6 mn en … 2060. Son coût (20 milliards €) vient de dépasser l’EPR. Bilan énergétique désastreux, risques d’accident, déchets (le tritium, un gaz radioactif très dangereux difficile à éliminer, sera produit en grandes quantités) cet hypothétique réacteur est pour le 22e siècle… alors que la fusion est déjà disponible : c’est l’énergie solaire.

Ne cédons pas aux injonctions du productivisme capitaliste : on ne choisit pas entre la peste et le choléra. L'énergie la moins émettrice en CO2, la moins chère, la moins dangereuse, la moins polluante est celle que l'on ne consomme pas. Les économies d’énergie sont le principal gisement de ressources énergétiques, qui reste à exploiter. L’énergie socialement nécessaire peut et doit être couverte en quasi-totalité par des flux d’énergies renouvelables, en préservant les ressources naturelles, ce qui implique un changement de société, une vraie rupture vers une société non productiviste.