Publié le Vendredi 14 septembre 2018 à 21h06.

De la crise du diesel aux véhicules électriques : réalité des menaces et des restructurations

Cent millions de voitures produites et vendues par an et plus d’un milliard de voitures en circulation sur les cinq continents. Et pour produire ces « machines » le travail de millions d'ouvriers dans le monde. Un total monde de 8 400 000 travailleur(se)s pour les constructeurs et les grands équipementiers selon leurs chiffres.  Selon ces mêmes sources, pour avoir des ordres de grandeur : 304 000 en France, 773 000 en Allemagne, 950 000 aux Etats unis et 1 605 000 en Chine. 

Dix ans après a crise de 2008,  la plus grande crise automobile après  celle  1929, la production contrôlée par un oligopole de quelques groupes mondialisés, états-uniens, japonais, et européens.  Mais on est dans un contexte nouveau porteur  de nouvelles restructurations et de nouvelles contradictions faisant porter sur les conditions de la vie et de travail de la majorité de la population de nouvelles  menaces et attaques.

1. Une production d'automobiles en augmentation au plan mondial

a) La croissance de la production et des ventes d’automobiles est inégalement répartie.  

Elle provient très majoritairement de la Chine et des autres pays dits émergents. C’est un changement majeur par rapport au siècle précédent. 

Aux Etats-Unis, sur le moyen  terme, la tendance est à la stabilité, sinon à la baisse : les niveaux d'il y a 20 ans ne sont pas récupérés. La reprise de ces dernières années ne contredit pas cette tendance.  Elle a été dopée   par le « boom » du crédit à la consommation  et l’essor  de l’extraction du gaz de schistes qui a «libéré » du pétrole pour  des automobiles de plus en plus consommatrices en carburant. Voir les grosses voitures 4x4 et autres « utilitaires sportives ».

Et aussi en Europe de l’Ouest et au Japon. les marchés de vente d’automobiles neuves stagnent  en tendance. Alors que l'Europe avait  été après la crise de 2008 le maillon faible de l'industrie automobile mondialisée, les augmentations de ces deux dernières années sont conjoncturelles, ne rattrapant pas les niveaux d'avant crise de 2008.  

C'est particulièrement marqué en France, Italie et Belgique. Les baisses de production depuis la crise de 2007 sont supérieures à 10 %. Les écarts avec l'an 2000 sont encore bien supérieurs, une chute d'un tiers en France.

Attention à ne pas observer la situation de l'industrie automobile mondialisée à partir d'un point de vue basé sur la France. L'industrie automobile continue d'augmenter sa production dans le monde  Des grandes usines de milliers d'ouvriers continuent d'être construites par les firmes historiques qui attisent plus que jamais la concurrence de tous contre tous, usines et salariés.

 

PRODUCTION

2000

2007

2017

Écart 07/17

France

3 348 000

3 015 000

2 227 000

-26 %

Italie

1 739 000

1 284 000

1 142 000

-11 %

Belgique

1 033 000

834 000

379 000

-55 %

Allemagne

5 526 000

6 213 000

5 645 000

-10 %

USA

12 800 000

10 780 000

11 200 000

+4%

Japon

10 140 000

11 596 000

9 690 000

-16 %

Chine2

2 069 000

8 882 000

29 015 000

+1300%

Total Monde

58 374 000

73 266 000

87 302 000

+20 %

 

 

b) Une  crise de surproduction, « écart entre capacités de production installées et ventes possibles   à un prix garantissant le profit escompté par les firmes capitalistes » avait éclaté en 2008 dans toute l'industrie automobile mondialisée. Elle  s’est momentanément atténuée  à coups de fermetures d’usines et de suppressions d’emplois d’abord aux États-Unis puis en Europe. 

Cette destruction de capacités de production a permis  un retour à des niveaux de profit inégalés notamment  pour Renault ( destruction de son appareil de production en France au fil de l’eau) et PSA. (fermeture de l’usine d’Aulnay). Cela se poursuit avec les passages en monoflux dans les usines de Mulhouse et Poissy (suppression d'une équipe). Et le brusque retour au profit des usines Opel en Allemagne s'explique d'abord par la baisses des effectifs (avec départs- démissions favorisés et contraints).

Le mode de production capitaliste exige  toujours plus de production pour extraire toujours plus de plus value du travail salarié et profiter des économies d'échelle que procure une production en plus grande série. Cela est la tendance. Mais cette tendance aboutit à intervalles réguliers à des crises de surproduction car les marchandises produites ne peuvent plus être vendues. Pour restaurer les taux de profit les firmes capitalistes détruisent des capacités de production. 

2. La crise de la valeur d’usage de l’automobile notamment en Europe

Un rappel de la distinction classique valeur d’échange - valeur d’usage. Ce qui importe au producteur capitaliste, donc à chacune des firmes automobiles, c’est la valeur d’échange de la voiture, une quantité d’argent  qui lui permet de réaliser la plus-value extraite aux ouvriers lors du  process de production. Sans réalisation de la plus-value il n’y pas de profit récupéré par le capitaliste.  Pour que la plus-value soit « réalisée », il faut trouver des acheteur(se)s  qui recherchent dans la voiture une valeur d’usage. Si toutes les voitures étaient interdites à la circulation, plus de valeur d’usage, impossibilité de les vendre et impossibilité pour le capitaliste de réaliser la plus-value. C’est pourquoi le profit des firmes automobiles dépend de la valeur d’usage des voitures. Et il y en Europe une crise de la valeur d’usage des automobiles qui se manifeste par des faits constatés. 

a) le diesel révélateur des errements de la construction automobile. Le scandale Volkswagen s'est étendu à la plupart des firmes automobiles européennes. On sait maintenant que les tests sur bancs d'essais ne reflétaient pas les émissions réelles suite à des trucages . Le diesel est dés maintenant absent de motorisation des plus petites voitures et sera interdit à la circulation das un nombre croissant de grandes villes en Europe et dans le monde. 

b) l’automobile reconnue de plus en plus largement comme facteur du  réchauffement climatique à la suite des émanations de CO2. Le secteur des transports motorisés ( tous modes confondus) représentait en 2014  le tiers des émissions de gaz à effet de serre.

c) On parle des normes devant s'appliquer aux voitures neuves mais le parc automobile réellement en circulation est composé de voitures de plus en plus anciennes. L'âge moyen des véhicules en circulation est en France de 9 ans contre 8,2 en 2012 et 6,7 ans en 1992. Sans parler des 17,2 années d'âge moyen des voitures  en Pologne. L'Europe développé se débarrasse de ses voitures les plus anciennes les plus polluantes pour les écouler en Europe de l'Est et en Afrique. La quantité de CO2 émise par les voitures ne choisit pas entre les frontières. 

d) la pollution à l’origine de  dégâts pour la santé de plus en plus recensés. Les émissions de particules fines et extra fines. Des villes « obscures » pendant plusieurs jours en Chine. 

e) en conséquence de ces difficultés et de l'austérité salariale l'achat d'une voiture neuve est devenu en France et en Europe le fait des plus riches âgés,   âge moyen de 56 ans en France.

La crise de la valeur d’usage de l’automobile est  là. Depuis une cinquantaine d’année des critiques du mode de production capitaliste tels André Gorz alertent sur les dégâts irréversibles crées par la circulation automobile. On est passé de l’alerte à une situation jugée maintenant inacceptable par de larges secteurs du mouvement social et de la population.

 

3.La reconfiguration de  la chaîne de production  dans l’industrie automobile

 a) Les firmes historiques contrôlent une part sans cesse décroissante du process de production d’une voiture.  Les achats de composants à des fournisseurs extérieurs représentent 75% du prix de fabrication d'une voiture contre 50 % en 2005.

C'est une évolution très ancienne mais qui s'accélère aujourd'hui. Avec le « juste à temps » et le « zéro stock », ce que l'on appelle le toyotisme, les constructeurs automobiles reportent les problèmes de gestion de stocks sur d'autres, équipementiers sous-traitants de taille plus ou moins importante. Les grands équipementiers ont eux mêmes recours à la sous traitance qui sont hiérarchisés selon leur rang. La flexibilité et l'exploitation sont plus intenses là où les capacité de résistance collective sont les plus faibles, dans les petites entreprises plus que dans les grandes.  La concurrence est tirée par le bas des conditions de travail. 

A mesure de cette évolution, les équipementiers et fournisseurs automobiles tels en Europe Bosch, Valéo, Faurecia (filiale de PSA) ou Michelin disposent de capacités d’innovation,  notamment dans les domaines de la motorisation électrique ou aux véhicules autonomes égales ou supérieures à celles des firmes automobiles historiques. Vers un changement de rapport de forces entre constructeurs automobiles et grands équipementiers ?

b) L'histoire de la construction automobile a été, jusqu'au début des années 2000, celle d'une marche vers la concentration entre constructeurs automobiles et grands équipementiers. La nouveauté est l'apparition de  nouvelles firmes dans la fabrication d'automobiles à l'exemple  du fabricant états-unien de véhicule électrique Tesla. En avril 2017 la capitalisation boursière de Tesla a atteint 51 milliards de dollars, plus que celle de General Motors et de Ford. A comparer avec les 100 000 voitures Tesla vendues en 2017 aux dix millions de General  Motors.

D’un côté une bulle financière mais aussi la preuve que les boursicoteurs espèrent en un miracle qui sortirait la production d’automobiles de ses limites actuelles. Le véhicule électrique n’est pas une solution écologique ( voir exposé suivant de cet atelier ) mais ce n’est pas bien sûr le problème des  chercheurs de profit.

Nouvelle concurrence pour les firmes automobiles historiques : Google et Apple notamment  investissent dans le véhicule autonome sans conducteur (un milliard de dollars pour Google). Voiture autonome, voiture contrôlée par satellite : vous avez aimé Uber, vous aimerez encore plus les taxis robots Uber ( ou une autre firme si Uber fait faillite d'ici là).

c) La Chine devient le principal pays continent où se déploient, avec les concours des firmes automobiles et équipementiers mondialisés historiques, cette reconfiguration. Les firmes automobiles européennes investissent trois fois plus en Chine qu'en Europe pour le véhicule électrique. Alors qu'il se vend 27 millions de voitures en Chine contre 17 millions en Europe. Résister aux sirènes nationalistes qui désignent  la Chine comme un concurrent ennemi alors que la plupart des  firmes  automobiles mondialisées y réalisent des profits colossaux.

La fin de la domination exclusive du moteur thermique sur les véhicules auto-mobiles est en cours.  Mais cela résout pas la nécessaire satisfaction des

besoins de la population en  transport . 

4. Les réponses des constructeurs automobiles 

C'est un mix de ces réponses fluctuant selon la conjoncture et la volonté  d'user jusqu'au bout les investissements consacrés aux  motorisations diesel  condamnées par les interdictions et les exigences de rentabilité. rentabilité.

a) Freiner et/ou ruser avec une évolution largement irréversible. Exemple : Les derniers trucages vis à vis des tests émissions de CO des firmes automobiles européennes, es procédures engagées par les constructeurs allemands pour s’opposer aux dispositions d’interdiction des moteurs diesels. Volkswagen vient de reconnaître que la moitié de ses voitures ne répondait pas aux nouvelles normes WLTP devant s'appliquer le 1erseptembre 2018. 

b) Mener d’amples campagnes de communications où les firmes automobiles sont présentées à la pointe des innovations technologiques en terme de véhicules électriques et autonomes -sans conducteur. 

c) Préparer l’après moteur thermique avec des investissements réels dan les domaines des véhicules électriques – hybrides, à batterie et à pile à combustibles – et autonomes. 

d) Les contraintes environnementales devraient inciter à déployer d'autres formes de déplacement que la motorisation individuelle. Le scandale est bien là : une carcasse de plus d'une tonne pour des déplacements moyens de quelques kilomètres dans une machine occupée en moyenne par moins de deux personnes. Cela ne s'améliore pas, ni  avec le poids de 544kg  de la batterie d'une Tesla à l'autonomie de 300km, ni avec celui de   la batterie de la Zoe Renault qui ne pèse que 300 kg..Et aujourd'hui  l'augmentation de l'autonomie en km entraîne celle du poids des batteries.

e) Contrôler l’usage des véhicules pour s'assurer de nouveaux débouchés. Des filiales de Renault et PSA « start up » sont en piste pour succéder à Bolloré à Paris  pour vendre l’autopartage  de voitures électriques. Aujourd'hui cela est largement de la com mais  au-delà il y a la volonté de trouver de nouveaux gisements de profits en devenant y compris acteur de la privatisation  de l’espace urbain . Leur avenir ; la multiplication de moyens de transport individuels toujours à l'origine de ségrégations urbaines et du dérèglement climatique. 

5. Nouveaux lieux de fabrication et nouvelles techniques : des attaques renouvelées contre  les conditions de travail.

a) La voiture électrique pas une solution à l'emploi. Une banalité ici à l'Université d'été du NPA mais il faut se souvenir des discours post crise de 2008_2009 où le PDG de Renault vantait le véhicule électrique comme une solution immédiate  

Aujourd'hui à Renault Flins,  sur une même chaîne en monoflux à la production en 2017 de 94 000 Nissan Micra, 63 000 Clio et 30 000 Zoe électrique. 15 % de la  la production d'une usine aujourd'hui réduite à 2500 salariés. Aux oubliettes la production de batteries maintenant achetée auprès du fournisseur coréen LG. Et la démonstration  que l'assemblage d'une voiture électrique sur une même chaîne que d'autres voitures « classiques » n'est pas une « révolution ».  

b) Exemple de Bosch usine spécialisée dans le diesel à Rodez en Aveyron. Un des principaux équipementiers mondiaux investit dans de nouvelles usines partout dans le monde.  Sa politique à Rodez : user les capacités de production de l'usine en injecteurs diesel en faisant payer aux salariés  la « transition » vers le dépérissement de l'usine ; salaires en baisse suite aux chômage technique imposé. Et sans organiser aucune reconversion.

c) Exemple de Tesla le phare la modernité automobile du 21 ème siècle où les conditions de travail dans son usine  de Fermont en Californie – loin de Detroit- sont parmi les pires des usines automobiles nord américaines. Dans cette usine la plus robotisée, 5 000 ouvriers travaillent plus de 40 heures avec des heures supplémentaires obligatoires Il y a un tiers d'accidents du travail en plus que dans le reste de l'industrie automobile américaine  (8,8 pour cent des ouvriers atteints contre 6,7 % dans le reste de l'industrie automobile nord américiane selon une enquête publiée par l'UAW).

Il ne s’agit pas de proposer de meilleures solutions industrielles applicables dans l’industrie capitaliste d’aujourd’hui, mais de pointer les responsabilités des firmes et équipementiers automobiles dans le véritable désastre d’aujourd’hui,  de s’opposer à leurs choix toujours fondés sur le meilleur profit.  Ils vont même essayer d'investir, à la manière d'un Uber, de nouveaux gisements d'activité comme  le transport partagé dans les centres villes. 

La solution n'est pas dans une augmentation de la production du nombre de voitures. Il faut  trouver les moyens d’empiéter sur la toute puissance patronale qui veut dicter leur avenir à la populations soumise à la pollution et au réchauffement climatique, et aussi aux travailleurs soumis aux restructurations et aux suppressions d’emplois. Anticapitalistes, il nous faut tenir les deux bouts de cette contestation.

JCV