Publié le Mercredi 1 mai 2013 à 19h04.

M-Real : de la lutte au redémarrage du site

Le rachat par le conseil général de l’Eure de l’usine de papier M-Real à Alizay, en vue de sa reprise par d’autres industriels, est le résultat d’une lutte de longue haleine des salariés du site contre les licenciements et pour son expropriation. Récit.(1)

Par Pierre Vandevoorde

Fin janvier 2013, le groupe thaïlandais Double A a racheté la papeterie M-Real d’Alizay (Eure), après que celle-ci a été « départementalisée » temporairement, c’est à dire rachetée par le conseil général en vue de sa revente. C’est la concrétisation de la victoire des salariés de M-real qui, après trois ans d’une lutte pleine de rebondissements, ont arraché le redémarrage du site.

Tout a commencé en 2006. Le finlandais Metsäliitto, actionnaire principal de M-Real, entame le sabordage du site et de ses emplois, dans le cadre d’une entente illicite entre groupes papetiers. L’objectif est, à terme, de fermer le site en empêchant toute reprise afin de garder le marché sous contrôle. Face au plan social de 2006, la CGT mobilise le personnel, tente des actions de jonction avec d’autres boîtes autour du mot d’ordre « d’interdiction des licenciements chez M-Real comme ailleurs ». Mais nombre de salarié-e-s du site sont âgés. Il y a beaucoup d’ouvriers usés par le travail posté, en équipes. La casse est limitée à 130 licenciements, mais l’idée s’installe qu’on ne peut pas arrêter le rouleau compresseur. 

 

Un collectif unitaire dynamique

En janvier 2009, le site produit encore 300 000 tonnes de pâte et autant de papier par an. Mais après un arrêt technique en février, la production de pâte ne redémarre pas. Les ouvriers concernés sont affectés à la maintenance ou mis en formation, sans être alors inquiets. Jusqu’au chômage partiel pour 60 personnes en septembre 2009. Dans l’autre secteur, la fabrication de papier, les machines tournent avec de la pâte recyclée en provenance de Londres et les salariés se sentent peu concernés. Pourtant, quand la combustion des résidus de bois liée à la fabrication de la pâte ne fournit plus l’énorme quantité d’énergie nécessaire à la marche des deux unités, il faut l’acheter à EDF. Sans redémarrage de la production de pâte, la fin du site est ainsi prévisible dans les deux ans. 

Que faire ? Le NPA propose alors au PCF de créer un collectif unitaire. La mayonnaise prend : le collectif réunit une centaine de personnes autour d’une intersyndicale CGT et CFE-CGC. On y retrouve le PCF, le NPA, le PS, EELV, des représentants des conseils municipaux et le PRG et le MRC qui ne sont jamais revenus. La charte-pétition du collectif recueille des milliers de signatures sur les marchés, supermarchés, dans les mairies. Le collectif se réunit pratiquement toutes les semaines pour discuter des initiatives, soumises ensuite à l’approbation des salarié-e-s, qui ne sont jamais moins d’une centaine à chaque action. La confiance est d’ailleurs telle que les travailleurs les plus mobilisés n’ont pas vu l’utilité de créer leur propre structure. 

Le cadre du collectif est clairement délimité par sa charte (voir encadré [encadré 2] ci-contre), à prendre ou à laisser. Même si des illusions ont existé sur l’importance des rencontres avec les pouvoirs publics et la possibilité de les convaincre du bien-fondé des « solutions industrielles », c’est la mobilisation qui prime. Très vite, la vieille garde de la CFE-CGC est marginalisée et leur militant unitaire, Eric Lardeur, devient l’une des chevilles ouvrières du collectif. A partir de l’annonce du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) de 99 personnes en décembre 2009, le collectif enchaîne blocages de l’usine, manifestations, travail de démonstration économique de la viabilité du site. En juin 2010, coup de bambou : la perspective de reprise par un groupe important, sur laquelle le ministre Bruno Le Maire a appuyé sa campagne des régionales, se dégonfle. Après huit mois de lutte, c’est la fermeture de l’unité de fabrication de pâte à papier, avec 75 nouvelles suppressions d’emplois. Comme il se doit, M-real jure ses grands dieux que cette opération chirurgicale assure le sauvetage de la papeterie et de la fabrication de ramettes A4. 

 

Relance illégale de la production

Mais dès mai 2011, M-Real annonce sa volonté de vendre et de fermer le site s’il n’y a aucun repreneur d’ici septembre. Tout le monde a le dos au mur. Le collectif est réactivé. Avec une nouveauté, la venue d’élus de droite : la mort de M-Real, c’est 15 millions d’euros par an en moins pour les finances des collectivités. L’épineuse question des aides publiques s’invite à l’ordre du jour : certains pensent qu’il faut exiger des aides pour faciliter la vente, car sinon le dépôt de bilan menace. La majorité reste à ceux qui considèrent que la seule garantie, c’est la capacité de mobilisation. Il y a aussi le souvenir de ce qui est arrivé au site de Pont-Sainte-Maxence (Oise). Lâché par M-Real, il a été racheté par un escroc qui s’est mis en cessation de paiement au bout d’un an, avec en poche plusieurs millions d’euros d’aides que personne ne lui a jamais réclamé.

Sur le site d’Alizay, il n’y a plus de boulot. Un accord est passé avec la direction et les salaires sont versés, à condition que les ouvriers prennent leur poste. Les actions se succèdent et les négociations trainent : bien que M-real mette à chaque fois la barre plus haut, deux candidats à la reprise sont toujours là. Pourtant, le 18 octobre, prétextant d’un désaccord sur le prix de vente, le PDG du site annonce la fermeture. Assemblées générales, arrêt total, piquets, braseros… L’action la plus impressionnante demeure la journée « portes ouvertes », avec la relance illégale de la production2 : 2 500 visiteurs, dont le ministre Bruno  Le Maire et le préfet, qui se sont invités en fin d’après-midi… et Philippe Poutou, candidat aux élections présidentielles3. Ce dernier lance : « J’aime bien visiter les usines, surtout quand ce n’est pas la mienne », avant d’expliquer la nécessité de réquisitionner les entreprises qui licencient. Une exigence avancée aussi par l’intersyndicale ainsi que, pour la première fois, par Gaëtan Levitre, maire PCF d’Alizay, conseiller général et membre du collectif.

Le « travail » reprend le 18 novembre, après un vote à 98 % pour le déblocage du site, en échange d’un PSE contenant des garanties importantes et 90 000 euros de prime additionnelle en moyenne pour vingt ans d’ancienneté. Avec aussi et surtout l’engagement qu’un repreneur puisse produire du papier, ce qui était hors de question jusqu’alors. Une quinzaine de personnes restera pour maintenir l’équipement en état jusqu’au 31 décembre. Enfin, un droit de contrôle est obtenu pour Thierry Philippot, Jean-Yves Lemahieu (CGT) et Eric Lardeur (CFE-CGC), membres de la « commission de réindustrialisation » avec la direction. Les arrières sont assurés, et c’est cette garantie qui permet de continuer à mener le combat pour que l’usine vive avec tous ses emplois.

 

Vers la reprise du site

Une course contre la montre est alors engagée. Il s’agit de faire céder Metsäliitto, qui refuse toujours de vendre. Tout est bon pour mettre à mal son image prétendument « éthique » : dépôt massif de plaintes pour harcèlement moral contre le PDG, exigence de paiement de la dépollution, procédure au plan européen pour entente illicite entre groupes papetiers...

Un pas important est franchi le 8 décembre 2011 avec le vote unanime par le conseil général de l’Eure d’une motion demandant au gouvernement d’« exproprier pour cause d’utilité publique » l’usine M-Real, afin de permettre la reprise. Une motion votée sur proposition de Gaëtan Levitre, mandaté par le collectif. Un vote surprenant au regard des convictions libérales de plus d'un membre de cette assemblée et de la gestion pro-patronale du conseil général. Manifestement, le poids de la lutte des salariés de M-Real en pleine période électorale est tel que le PS s’est permis de pointer la responsabilité du gouvernement à peu de frais et la droite, gênée, n’a pu que suivre.

 Après un banquet avec 500 participants, le 30 mars, les lettres de licenciements tombent le 2 avril. Pour « l’équipe de réindustrialisation », suivent six mois ponctués de réunions de tous types, avec une assemblée générale d’information en juin et le suivi des collègues licencié-e-s qui passent au local du CE. Depuis un moment, il a fallu accepter de « ne pas communiquer », afin de ne pas compromettre les négociations. En fait, les syndicalistes ne sont plus tenus au courant de ce qui se passe entre les pouvoirs publics, le département et les industriels. C’est au dernier moment qu’ils apprennent le vote prévu au conseil général. 

Ce dernier va servir d’intermédiaire à la vente du site, en le rachetant. Il avance 22 millions : 15 millions seront récupérés après le rachat par le groupe thaïlandais Double A de l’usine de papier et 3 millions après celui de la chaudière biomasse, qui fournira de l'énergie aux installations et en revendra une partie à EDF. Enfin, 4 millions sont investis par le département pour aménager un port fluvial dans le cadre du Grand Paris, avec 28 hectares remis à un établissement foncier. Compte tenu du nombre d’investisseurs qui lorgnaient sur ce projet depuis la fermeture de l’unité de fabrication de pâte à papier, il est possible que le conseil général soit même bénéficiaire.

L’événement est monté en épingle, à la demande du gouvernement, qui a besoin que les feux des projecteurs se détournent un moment de PSA ou Florange. En revanche, 150 à 200 salarié-e-s vont retrouver très vite du travail, 250 à terme. Si on ne sait encore précisément qui va être réembauché, en particulier les animateurs de la lutte, ce sera certainement sans ancienneté. Un nouveau patron, cela veut dire aussi de nouvelles bagarres en perspective pour regagner les anciens acquis ! 

 

1. Une version longue de cet article est disponible sur http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article27654

2. Voir le film NPA réalisé sur l’action : http://www.dailymotion.com/video/xmb3gy_m-real-poutou_news#.UPHWVmfM_cs

3. Jean-Luc Mélenchon, Eva Joly et François Hollande viendront aussi, de même que Bernard Thibault et Thierry Le Paon de la CGT.

 

 

L’unité NPA-PCF au cœur du collectif

Cheville ouvrière du collectif et secrétaire CGT du comité d’entreprise de M-Real, Thierry Philippot est un ancien militant du PCF. En 1998, il le quitte pour la LCR. Son activité de rénovation de la CGT et de dénonciation d’un accord « pourri » de réduction du temps de travail aboutit au départ de l’ancienne équipe du syndicat. Dans les années qui suivent, la direction met tout en œuvre, avec l’appui de ces individus encartés au PCF, pour tenter de se débarrasser de lui. « C’est le soutien quotidien de mes camarades du parti, avec l’appel d’air de notre bulletin d’entreprise où on rendait coup pour coup et plus, qui m’ont permis de tenir le coup », affirme Thierry.

Les relations entre le NPA et le PCF – notamment avec Gaëtan Levitre, maire d’Alizay et conseiller général, et ses proches – commencent à changer avec la lutte de 2006. Par la suite, dans le respect de ce qui sépare le NPA et le PCF, elles deviennent des liens de fraternité au sein du collectif. Pour autant, dans les articles de l’Humanité concernant M-Real, le NPA ne sera jamais mentionné !

Pour leur part, les deux militants NPA extérieurs engagés dans le collectif ont eu à participer, dûment badgés, à des réunions avec ministres, préfets et autres notabilités, au grand étonnement de ces derniers. Ils y ont fait entendre une parole radicale là où tout est fait pour l’étouffer. 

 

Une charte contre les licenciements

« Chez M-real comme ailleurs, les licenciements, ça suffit comme ça !

La liste des entreprises qui ferment ou licencient rien que dans notre secteur donne le vertige. Il faut que ça s’arrête !

Chez M-real, la production de pâte est arrêtée depuis février, et c’est maintenant le chômage partiel.

Avec M-real (415 emplois), c’est plus de 1 000 emplois qui sont en jeu dans notre région.

Avec les soussignés, je me prononce pour :

- Le redémarrage immédiat de l’usine de pâte à papier.

- Le maintien de tous les emplois chez M-real, tant pour les embauchés que pour les sous-traitants.

- De nouveaux investissements rapides sur le site (station de désencrage, Biomasse, fabrication de granulés de chauffage…) et le développement de l’emploi durable.

 

Collectif pour le maintien et le développement de l’emploi chez M-real soutenu par : CGT, CFE CGC, FILPAC, PCF, NPA, PS, MRC, PRG, les Verts. »

 

 

Vers une loi M-Real/Arcelor ?

De quoi ont besoin les salariés ? Fondamentalement, de vivre sans peur du lendemain. Seule l’interdiction des licenciements peut le leur garantir. Et si le patron fait défaut, on se passe de lui, en l’expropriant. Comment y arriver ? Par tous les moyens nécessaires. Y compris en nationalisant sous le contrôle des travailleurs. C’est en déclinant depuis des années ces raisonnements que la LCR, puis le NPA, ont fait progresser la première et la deuxième revendication. Pas encore la troisième…

L’interdiction des licenciements, cela suppose la coordination des luttes. Car rien ne vient des confédérations, constantes dans leur refus d’organiser ne serait-ce qu’une marche nationale pour l’emploi. L’expropriation s’est, elle, imposée dans le débat public. Elle a pris chair avec le vote unanime par le conseil général de l’Eure d’un vœu appelant à l’expropriation de M-Real. C’est la même méthode qui a fait germé l’idée d’une « petite loi », qui dirait en gros : « Il sera interdit de fermer une entreprise lorsqu’elle est viable et qu’il existe des repreneurs sérieux. »

Lors de sa visite à M-Real en février 2012, le candidat François Hollande a exprimé son accord sur cette idée. Cela a donné la proposition de loi 44-12, repoussée par la droite… et perdue depuis dans les tiroirs de l’Assemblée nationale ! Ce qui passe très mal auprès des salariés du site. Le 5 janvier dernier, Hollande a d’ailleurs préféré venir saluer le souvenir de Pierre Mendès-France à Louviers, plutôt que les travailleurs de M-Real. Il paraît néanmoins que l’idée suit son cours, sous le titre de « loi Florange »…

 

1. Le candidat François Hollande en février 2012 avec des représentants des salariés de M-Real. Blog Jean-Charles Houel.

2. L’usine M-Real. DR.