Publié le Dimanche 30 août 2015 à 17h15.

La révolution permanente aujourd’hui ou l'actualité du trotskysme ?

Trame de mon intervention au débat de l'Université d'été sur « Révolution permanente et internationalisme – Yvan. 

 

La théorie de la révolution permanente est l'aboutissement d'une lutte constante à travers l'histoire du marxisme contre les dogmatismes, depuis la lutte de Marx au début du mouvement communiste, lors de la révolution de 1848, jusqu'à Trotski dans la lutte contre le stalinisme et la conception de la révolution par étapes.

Remettre sur l'établi cette question met en débat l'actualité du trotskysme, pourquoi nous référer aujourd'hui à lui, quel contenu pratique a cette référence ?

L'enjeu de notre discussion est de nous réapproprier collectivement cette conception contre toutes les compréhensions dogmatiques de la transformation révolutionnaire de la société.

Cela passe par différents objectifs.

Le premier est d’établir le fil rouge, la continuité du mouvement révolutionnaire, la courbe du développement révolutionnaire parallèlement à la courbe  du développement du capitalisme.

Le deuxième est de penser la révolution comme un processus à l’œuvre dans le développement social, ses contradictions qu’il nous faut comprendre et saisir. La révolution n’est pas une croyance mais un processus à travers lequel nous entendons agir pour la conquête du pouvoir par les classes exploitées.

Notre tâche est de formuler une politique pour la révolution à partir de la compréhension de ce processus, des exigences qu’il pose, en combinant revendications immédiates, questions démocratiques et la question du pouvoir. Cette politique s'écrit chaque jour en fonction du niveau de conscience, de notre propre niveau de conscience collectif, c'est à dire de nos liens réels avec les masses, de notre capacité à exprimer leurs aspirations, d'aider aux évolutions.

Ce processus se pense dans sa dimension internationale avec en conséquence une politique internationaliste : « la théorie de la révolution permanente envisage le caractère international de la révolution socialiste qui résulte de l'état présent de l'économie et de la structure sociale de l'humanité. L'internationalisme n'est pas un principe abstrait : il ne constitue que le reflet politique et théorique du caractère mondial de l'économie, du développement mondial des forces productives et de l'élan mondial de la lutte de classe, La révolution socialiste commence sur le terrain national, mais elle ne peut en rester là. » Thèses sur la révolution permanente, Trotsky.

En fait, nous reprenons une discussion qui jalonne toute l'histoire du développement du marxisme comme pensée vivante : « le marxisme n'est pas une baguette de maître d'école supra-historique, mais bien une analyse sociale des voies et des moyens du processus historique tel qu'il se déroule réellement. » Trotsky, Bilan et Perspectives, Préface à l'édition russe de 1919

Ce débat est aussi  un moment pour construire une compréhension commune du passé du mouvement révolutionnaire en nous en appropriant collectivement l'expérience, construire dans notre propre activité la continuité du mouvement révolutionnaire.

 

Une théorie pour l'action

Si nous voulons formuler nos raisonnements loin de tout dogmatisme il convient de nous mettre d'accord sur le sens du mot théorie. Le socialisme scientifique ne prétend pas définir les lois de l'histoire qui s'appliqueraient indépendamment de l'intervention consciente des hommes. Bien souvent la théorie de la révolution permanente a été comprise comme s'appliquant mécaniquement au nom d'un concept mal compris, la transcroissance de la révolution. Comme si cette transcroissance était automatique, inscrite  dans les réalités dites objectives.

Une théorie révolutionnaire est un outil pour l'action, pour armer les volontés d'une compréhension des contradictions à l'œuvre sans laquelle elles sont impuissantes.

Lorsque Marx développe l'idée de la révolution en permanence,  au lendemain de la défaite de 1848, il décrit les contradictions qui travaillent le mouvement démocratique révolutionnaire au sein duquel lui et Engels se sont battus, comme son aile gauche, radicale en se démarquant des sectes qui cherchent à imposer au mouvement leurs principes. Le prolétariat, aile marchante du mouvement, reprend à son compte les exigences démocratiques en allant jusqu'au bout, c'est à dire la conquête du pouvoir vers le socialisme.

Trotsky se situe en continuité avec le raisonnement, l'attitude, la démarche politique de Marx.

Quand après l'écrasement de la deuxième révolution chinoise Trotsky reprend la question, en 1929, il en élargit la portée en en définissant trois aspects essentiels :

a) Les conquêtes démocratiques passent par le pouvoir des travailleurs « prologue immédiat de la révolution socialiste, à laquelle la rattachait un lien indissoluble. De cette manière, on rendait permanent le développement révolutionnaire qui allait de la révolution démocratique jusqu'à la transformation socialiste de la société. »

b) « la théorie de la révolution permanente caractérise la révolution socialiste elle-même » en tant que processus, « Les bouleversements dans l'économie, la technique, la science, la famille, les mœurs et les coutumes forment, en s'accomplissant, des combinaisons et des rapports réciproques tellement complexes que la société ne peut pas arriver à un état d'équilibre. En cela se révèle le caractère permanent de la révolution socialiste elle-même. »

c)« le caractère international de la révolution socialiste qui résulte de l'état présent de l'économie et de la structure sociale de l'humanité. »

On le voit, la conception de la révolution en permanence recouvre la façon dont les marxistes abordent la question stratégique pour ancrer la volonté et l'action révolutionnaire dans les réalités pratiques et concrètes du mouvement.

 

La continuité de la lutte pour le marxisme révolutionnaire

C'est dans cette continuité du développement du mouvement ouvrier que nous inscrivons notre combat qui y puise ses idées, sa force, sa raison d'être et ses perspectives. Plutôt que la formule sans contenu et quelque peu prétentieuse de reprendre le meilleur du mouvement ouvrier qui était celle des principes fondateurs du NPA, sans doute est-il plus fécond d'inscrire notre continuité dans la lutte des prolétaires, de la classe ouvrière, avec leurs forces et faiblesses. Nous ne sommes pas des pédants jugeant l'histoire, distribuant les bons et les mauvais points mais des combattants qui assument leur filiation.

Cette continuité, c'est celle d'un courant politique, le marxisme révolutionnaire conçu et pensé, pratiqué non comme une idéologie, un dogme mais comme une démarche scientifique, vivante, visant à comprendre le monde pour le transformer ou être les acteurs les plus conscients de sa transformation.

Notre démarche ne consiste pas à définir constamment des lignes de clivage, de démarcation mais à formuler une politique à partir des réalités sociales et politiques pour intervenir, rassembler, ouvrir des perspectives au sein du mouvement réel tout en nous adressant aux autres forces en gardant notre boussole, l'indépendance de classe.

 

Révolution permanente ou révolution par étapes, pour un plan C !

Les questions soulevées par les nouveaux éléments révolutionnaires qui surgissent de l'approfondissement des contradictions du capitalisme globalisé, les révolutions arabes, d'abord, puis la crise européenne dont la Grèce est le nœud, donnent un contenu concret à nos discussions. Il s'agit d'une discussion pratique pour définir une démarche politique dans un contexte qui pose la question du pouvoir, qui exige une stratégie.

A défaut de cette démarche fondée sur la compréhension des rythmes des événements, les révolutionnaires oscillent entre illusions et abattement. Les révolutions arabes en sont une illustration où l’enthousiasme a vite été désarmé.

La question grecque est un autre exemple, une autre expérience. Là encore il nous faut penser nos taches en fonction des perspectives sans être dominé par l'instant. A défaut la solidarité prend un contenu dicté par le rapport de force. L'absence de réelle stratégie nous conduit à l'adaptation ou à nous emballer pour des remèdes aussi nocifs que le mal qu'ils prétendent combattre !

Ainsi semble s'imposer comme une évidence la sortie de l'euro. La faillite de Tsipras, ce serait parce qu'il ne voulait pas sortir de l'euro. Et l'aile gauche de Syriza de partir en guerre contre les « européistes »... Comme s'il y avait une réponse immédiate, simple, indépendamment des rapports de force, de l'intervention consciente et organisée de la classe ouvrière, en Grèce et au niveau de toute l'Europe.

L'essentiel, la question de fond, l'élément décisif du rapport de force face aux puissances financières, est bien le niveau de conscience des travailleurEs, leur capacité à intervenir dans les événements pour défendre leur propre politique, leur propre programme, et s'organiser pour cela.

Le plan que les révolutionnaires doivent imaginer, le plan C, est le plan de luttes et de conquête de la démocratie par la classe ouvrière en travaillant à mettre concrètement en œuvre une démarche transitoire sans prétendre avoir de réponse immédiate indépendamment des rapports de force.

Quel symptôme du recul y compris du mouvement révolutionnaire que de voir, parmi nous, refleurir la conception de la révolution par étapes, d'abord les tâches démocratiques, la souveraineté nationale, ensuite, la lutte pour le socialisme, conception pourfendue par Trotski et condamnée par l'expérience du mouvement ouvrier.

Nos réponses ont pour point de départ la capacité des prolétaires à se mobiliser pour leurs propres droits, les salaires, les retraites, les services publics, pour en finir avec l'austérité et annuler la dette. Ces luttes n'ont pas pour perspective le repli national, le retour à la monnaie nationale, non, elles se tournent vers les autres travailleurs et peuples de la zone euro. Pas pour leur dire, la première étape de la lutte, c'est le retour aux monnaies nationales  mais pour appeler à s'emparer d'un programme de défense de leurs propres intérêts.

Prétendre que les frontières nationales sont une protection est une illusion voire une mystification.

Nous appelons à la révolution en permanence. Aucun sacrifice pour les banques comme pour la bourgeoisie grecque et son amie l'Eglise orthodoxe, à eux de payer la dette, pas à nous. Défendons nos salaires et nos retraites, refusons les privatisations, la braderie des richesses que nous avons produites. La démocratie ce n'est pas le contrôle de l’État grec par la troïka mais par les travailleurEs, la population. Notre Europe à nous, ce n'est pas celle de la dette, de la concurrence et des profits, notre Europe à nous, c'est celle de la solidarité des travailleurs et des peuples. Nous ne voulons pas sortir de l'Europe parce que nous voulons construire notre Europe contre la leur.

S'ils osent nous en exclure, ce que nous ne craignons pas,  nous en appellerons aux travailleurs et aux peuples pour qu'ensemble nous renversions cette oligarchie financière qui impose son talon de fer.

Rompre avec les institutions du capital en Grèce comme en Europe, ce n’est pas revenir à la drachme, mais combattre, ici et maintenant, pour une Europe des travailleurs et des peuples.

 

Quelques points essentiels de notre démarche dans la lutte pour le socialisme

La révolution permanente a pour théâtre aujourd'hui un monde profondément transformé par les bouleversements qui se sont opérés à travers les révolutions coloniales, la fin de l'URSS, la mondialisation financière et les pays dits émergents. Il nous faut prendre en compte la nouvelle phase de développement du capitalisme qui combine les traits de l'impérialisme et ceux du libéralisme.

Les vieux partis réformistes sociaux-démocrates ou staliniens ont disparu sans que le mouvement révolutionnaire ait été capable de gagner de l'influence de façon un tant soit peu significative au sein du mouvement ouvrier.

Il ne pourra commencer à y parvenir que s'il cesse de se penser comme une opposition à ce  réformisme d'un autre temps pour se penser comme aile marchante d’un mouvement ouvrier au sein duquel nous voulons contribuer à reconstruire une conscience de classe.

Nous ne nous définissons pas par rapport à de vieux clivages parlementaires de droite ou de gauche vidés de tout contenu par la soumission des institutions aux banques et aux multinationales mais bien dans les rapports de classe, comme représentation politique de la classe ouvrière..

Nous nous  définissons comme l’aile marchante de la lutte contre les politiques d’austérité, la concurrence généralisée entre les salariés, contre la domination de la finance sur le monde qui par la dette s’aliène les Etats et s’approprie une rente au détriment de toute la société.

Dans ce mouvement nous gardons notre pleine indépendance vis-à-vis des partis, nouveau réformisme ou nouveau populisme, qui prétendent les combattre tout en restant prisonniers du cadre des institutions bourgeoises et du capitalisme.

Nous militons pour unir les classes opprimées en construisant le lien entre les exigences quotidiennes, vitales et la nécessité de conquérir le pouvoir, de décider. Cette lutte ne saurait se fixer elle-même les limites des frontières nationales. La conquête des droits sociaux et démocratiques pour en finir avec la dette, l’austérité, le chômage et la concurrence capitaliste  par l’expropriation de l’oligarchie financière débouche immédiatement sur le terrain des luttes de la classe ouvrière mondiale.

Face à la politique libérale et impérialiste des grandes puissances qui engendre le chaos et les guerres notre solidarité avec les peuples passe d’abord et avant tout par la  dénonciation et la lutte contre notre propre Etat. Notre internationalisme n'est pas une simple démarche morale mais bien une politique de classe.

 

Un parti processus

Nous approprier aujourd'hui cette démarche de la révolution permanente nous invite à sortir des formalismes, des conceptions toutes faites, des recettes, des modèles de parti qui sont autant de motifs de querelles et de divisions qui paralysent le mouvement révolutionnaire. La référence au trotskysme devient elle aussi une formule creuse, un mythe.

La perspective de la construction d'un véritable parti de masse est un processus à travers lequel nous devons combiner une politique de regroupement des forces révolutionnaires et anticapitalistes avec la formulation d'une stratégie pour implanter nos idées au sein du monde du travail.

Un tel processus suppose que nous soyons capables de faire vivre une démocratie révolutionnaire dynamique tant au niveau du mouvement anticapitaliste qu'au sein même du mouvement ouvrier.

Avant d'être à même de gagner un crédit minimum auprès d'une fraction même minime de la classe ouvrière, de la jeunesse, faudrait-il d'abord que le mouvement révolutionnaire travaille, voire réussisse à dépasser ses propres limites, soit capable d’unir ses forces, de construire un cadre collectif pour l’élaboration comme l’action sans craindre aucun débat ni aucune confrontation.

La révolution en permanence n’est pas un simple processus objectif indépendant des facteurs subjectifs, dont les choix que nous pouvons faire, une compréhension aussi du processus à travers lequel peut se développer le mouvement révolutionnaire, se construire des partis de masse. Elle est une théorie pour l'action qui exige une vaste travail de compréhension de la nouvelle phase de développement capitaliste pour décrire les nouvelles possibilités de la formation d'une société socialiste débarrassée des rapports d'exploitation et d'oppression, un travail militant en lien avec l'activité pratique des membres et proches de notre mouvement tant au niveau national qu'européen et international.

Il n'y a pas de politique de rassemblement des anticapitalistes et des révolutionnaires qui puisse se dérouler au niveau d'un seul pays. Ce serait un non sens. L'internationalisme nourrit toute notre pratique.