Publié le Vendredi 31 août 2012 à 11h45.

Meeting de l'UE 2012 du NPA - 5. Intervention d'un militant de Peugeot

 

Université d'été NPA, Leucate, 26/08/2012

Bonsoir. Je me présenteen deux mots. Je m'appelle Bertrand militant NPA à Peugeot Mulhouse, où je travaille depuis 1988, et militant CGT comme d'autres camarades du NPA dans l'usine.

Je travaille à la chaine en Carrosserie depuis près de 20 ans.

Aujourd'hui, sur les chaines de montage, ce qui a changé c'est la moyenne d'âge des CDI qui est très élevée car il n'y a plus d'embauche. Ces salariés ne rêvent que d'une chose: partir le plus rapidement possible. Par contre il y a de nombreux très jeunes intérimaires issus des quartiers. Au Montage la proportion des intérimaires atteint 40 à 50% des effectifs. Du fait que c'est de plus en plus dur et qu'ils tiennent souvent les postes les plus pénibles, certains ne restent que quelques jours voire quelques heures.

En plus, pour les intérimaires qui font le boulot le plus dur, les payes sont réduites. En effet, depuis 2008, l'usine passe rapidement de jours chômés, voire des semaines entières, à des périodes de samedis travaillés ou de nuits à rallonge. Pour les embauchés, les jours chômés sont presque entièrement payés. Mais pour les intérimaires les salaires sont fortement amputés. Pour ceux qui ont une famille à nourir, la régression est du même type qu'en Grèce.

Pour tous, les conditions de travail sont de plus en plus dures. Pour accélerer les cadences, on a eu dans les années 70 à 90 les chronomètrages. Dans les années 2000 on a eu les temps calculés sur ordinateur avec des gestes standardisés. Aujourd'hui on est filmés pour supprimer chaque geste, chaque micro-pause jugés non-rentables.

Du coup, chaque année il y a une augmentation des maladies professionnelles chez des ouvriers de plus en plus jeunes. Pareil avec les restrictions médicales, les accidents du travail et les dépressions. Et les salariés handicapés ne sont pas épargnés.

Ces derniers mois, les pressions ont encore augmenté sur les malades avec plus d'envoi de courriers pour absences répétées. Ce qui peut entrainer le licenciement.

Les agences d'intérim font plus de pression avec des courriers d'avertissement aux intérimaires en arrêt maladie. Et maintenant elles viennent même à l'usine renforcer la maîtrise Peugeot contre ceux qui vont trop souvent à l'infirmerie ou ont trop d'arrêts maladie.

Après les accidents de travail, il y a toujours eu des collègues pour venir au travail avec des béquilles, des bras ou des mains bandés. Aujourd'hui c'est la règle.

Résultat, pour une production semblable, depuis 2005, les effectifs sont passés de 12 000 à 9 000.

Ils parlent de surcapacités de production. En fait il s'agit de surproductivité.

Aux suppressions d'emplois, il faut rajouter la suppression des selfs, de restaurettes, de lignes de bus.

Quand on travaille d'équipe, de 5H à 13H ou de 13H à 21H, plus moyen d'avoir un repas chaud à l'usine.

Avec les suppressions de lignes de bus, on passe plus de temps dans les transports.

Et maintenant le transport en bus est payant pour les salariés d'une société extérieure de restauration dans l'usine. Peugeot demande 154 euros par mois, alors que nombre d'entre eux ne gagnent qu'à peine 1080 euros, soit 15% du salaire!

Tout cela est accompagné d'un déluge de discours hypocriteset moralisateurs sur la protection de notre santé et de l'environnement. Tous les trois mois, le patron supprime par exemple de nouvelles lignes de bus. Du coup il encourage au co-voiturage mais, dit-il, pour la défense de l'environnement ! Peugeot nous fait crever au boulot mais vient d'obtenir un label santé et environnement.

Avec ces pressions continues, la mobilisation est devenue plus dure sur les chaines. Mais avec la dégradation de la situation de tous les salariés, ces 3 dernières années, on a vu réapparaître les professionnels dans les luttes. Et puis on sent chez les intérimaires une explosivité qui, si elle ne s'est pas encore fait entendre, ne saurait tarder à se montrer.

 

Puissance du groupe PSA (sous-titre rajouté)

Je vous ai parlé de nos conditions de travail. Maintenant je vais vous parler de Bob.

C'est le patron de l'EPF, une entreprise familiale de moins de 20 salariés. Vous vous demandez peut-être pourquoi je veux vous parler de Bob ? En fait, c'est parce que si vous ne le connaissez pas, lui vous connait et je crois qu'il va pas mal influencer votre vie dans la période à venir.

Bob possède donc l'EPF mais l'EPF contrôle la FPP, une société financière discrète. Mais la FPP fait peut-être votre café le matin avec des machines Krups, fait cuire votre repas, lave votre linge ou le repasse parce qu'elle a une participation importante chez Seb, c'est-à dire Moulinex, Tefal, Calor et bien d'autres. Mais la FPP de Bob ce n'est pas que ça.

Si vous voulez chasser en Espagne, c'est vrai que c'est peu probable, mais vous pouvez vous adresser à Bob, il possède les plus grandes chasses là bas. Pareil avec les sacs Hermés.

Si vous vous asseyez sur des sièges d'avion, ce sont les siens... Et si, plus modestement, vous allez en vacances en Espagne par la route ou au boulot dans l'Est de la France, vous roulez sur ses autoroutes. Si vous mettez une pièce dans un horodateur de parking ça tombe le plus souvent dans sa poche. Vous voulez boire un petit coup de vin, un Sauternes par exemple, vous achetez une pâte à tarte, vous allez dans les supermarchés Colruyt, vous achetez des produits Bob chez Bob.

Vous allez voir un parent dans une clinique privée, il y a de fortes chances que ce soit à lui. Si vous cherchez une maison de retraite en Europe pour votre vieillesse, pas de problèmes, Bob en a plus de 70.

Vous cherchez à vous loger, vous avez peut-être fait appel à une de ses sociétés immobilières. Vous avez un problème d'eaux usées ou de collecte des déchets, c'est peut-être bien à lui. Vous voulez une assurance, pas de problème, il a ça. Vous faites appel à une société de nettoyage, Onet par exemple, c'est à lui. Vous avez besoin d'un outil, allez chez Kiloutou, c'est à Bob. Vous voulez numéricable pour votre télé, c'est toujours Bob...et Bob vous sonde régulièrement pour savoir ce que vous consommez et ce que vous votez. Il possède l'institut Ipsos.

Bref Bob c'est un peu Big Brother...

Si je vous dit maintenant que la FPP de Bob contrôle aussi Faurecia, Gefco, PSA finance et PSA, vous aurez compris que Bob, c'est Robert Peugeot. Ce Peugeot vous le connaissez peut-être plus que les autres. Il a un peu défrayé la chronique en se faisant dérober 200 000 euros de lingots d'or chez lui, dans sa salle de bains. Le fisc pense en réalité 500 000, mais Robert n'a peut-être pas tout déclaré...

Alors quand Bob pleurait en juillet sur les difficultés de PSA, on peut rigoler. Le groupe est richissime. Peugeot a des intérêts dans tous les secteurs de la société, des alliés politiques à droite comme à gauche.

A la FPP qui contrôle PSA, on trouve des représentants de la BNP, de la Société Générale, d'Alstom, Bouygues, Pinaut, AGF, Allianz, Rothschild, Havas, Sécuritas... On y voit le baron Seillière, de la famille De Wendel. Ou encore un Chaudron de Courcel... Ca ne vous dit rien ? C'est le nom de jeune fille de madame Chirac... Et je ne parle même pas du directeur des marques de PSA, Frédéric Saint Geours qui est le patron de l'UIMM, la puissante fédération métallurgie du Medef.

Bref, c'est la grande bourgeoisie industrielle et financière française.

 

Et le groupe auto PSA lui-même va très bien. Il a battu des records de vente de voiture ces dernières années. Si bien qu'il a mis de côté 11 milliards de liquidités. Et l'an passé PSA a donné 500 millions à ses actionnaires alors qu'il avait déjà décidé les fermetures d'usines et les licenciements.

 

Financiarisation, diversification des groupes (sous-titre rajouté)

Ce qu'il y a de nouveau avec la crise, c'est que Peugeot est prêt à vendre n'importe quoi, des voitures ou des produits financiers, pourvu que ça rapporte. Renault, Ford gagnent plus d'argent aujourd'hui avec leurs sociétés financières que hier avec leur production. La diversification tous azimuths de PSA qui s'est accélérée ces dernières années, date de 2006-2007. Demain ils vendront peut-être des canons.

Bref, une petite voiture low cost ou de grosses berlines, ils s'en tapent, la voiture électrique ils s'en fichent. Demain, ils vendront peut-être leur branche auto à un industriel indien ou chinois comme De Wendel.

 

Je dis ça en pensant à ceux qui peuvent se laisser influencer par le baratin de Peugeot qui se vante de produire en France, ou à tous ceux qui lui reprochent sa mauvaise stratégie industrielle ou encore qui veulent protéger la production française de la concurrence étrangère. La réalité est loin des vieux raisonnements du PCF d'il y a 30 ans. La période a changé. Aulnay pose une question clairement générale et politique.

Gouvernement PSA (sous-titre rajouté)

La puissance du groupe montre que quand PSA décide de quelque chose d'aussi important que la fermeture d'Aulnay, la suppression de 8 000 postes, soit environ 40 000 avec la sous-traitance, et demande en plus une forte baisse des coûts salariaux, c'est tout le patronat français qui prend cette décision.

Le PDG de Renault l'a d'ailleurs dit, si Peugeot va dans ce sens, il devra suivre.

Lorsque Bob en juillet a dit que PSA allait mal, le gouvernement s'est incliné. Les gesticulations de Montebourg c'était que du cinéma. Le gouvernement accepte la fermeture d'Aulnay et les 8 000 suppressions de postes. Il annonce des subventions pour l'automobile et remet les accords de compétitivité à l'ordre du jour de son sommet social de l'automne.

Pourtant Hollande venait juste de mettre fin aux accords compétitivité en juin. Et les dirigeants des principales confédérations syndicales acceptent ce jeu !

C'est un point de bascule dans la vie sociale et politique du pays.

On voit qui est le maître.

La FPP de Bob et le groupe PSA – allié maintenant à GM - ont tout simplement mis la main sur le calendrier social et politique. En juillet nous n'avons pas eu un gouvernement PS, mais PSA. Et ça va continuer de plus belle à la rentrée avec un deuxième plan de restructuration à l'automne prévu par l'alliance GM-PSA.

Cette mainmise directe du capital sur les autorités politiques est un signe des temps.

On a les gouvernements des banquiers Papadémos ou Monti. Mais on a eu un gouvernement Volkswagen en Allemagne avec le socialiste Schröder et ses lois Harz, du nom du DRH de Volkswagen. Ce sont eux deux qui ont imposé en Allemagne des salaires à 1 ou 4 euros l'heure.

On a un gouvernement Hyundaï en Corée du Sud. Le dirigeant du groupe est le président du pays. Obama a fait payer les dizaines de milliards de pertes de Général Motors à tout le pays, en même temps que GM baissait quasiment les salaires de l'automobile par deux.

En Italie, ça va encore plus loin. Marchionne, le PDG actuel de Fiat, trouve que le gouvernement Monti ne va pas assez vite dans la déréglementation. Il a décidé de sortir Fiat du code du travail du pays pour faire ses propres lois. Il supprime les syndicats et les protections maladies.

C'est ce que Robert Peugeot a bien fait comprendre à Hollande cet été. S'il ne lui obéit pas, il passera par dessus comme Marchionne.

Dans son usine de Sevel Nord, les premiers accords de compétitivité ont été signés fin juillet. Ils autorisent entre autres choses le dépassement quotidien et gratuit de 20 minutes du temps de travail journalier et des semaines de 3 à 6 jours en fonction de l'appréciation du patron. Chez Toyota au Japon, ce dépassement a été jusqu'à trois heures par jour, ce qui a conduit au Karoshi, la mort au travail par épuisement. A Sevel Nord, PSA en ouvre la porte. Et bien sûr chez les sous-traitants et par extension à tout le pays, comme Air France vient d'ailleurs de le mettre en place. Ces accords compétitivité, avec des salaires et des horaires liés à la conjoncture, c'est une espèce d'intérim généralisé et la fin du code du travail.

Et pour ces accords, le gouvernement subventionne spécialement PSA à Sevel Nord. Tout un symbole !

Alors oui, la lutte d'Aulnay est politique et on ne peut la gagner qu'en expliquant clairement à tous ce qui est en jeu. Pas seulement la survie d'une usine, mais la survie de tout le système social des 60 dernières années.

L'industrie automobile modèle les sociétés en profondeur (sous-titre rajouté)

En effet, ça fait longtemps que l'industrie automobile ne fabrique pas seulement des automobiles mais toute une société. Et je ne parle pas que du mode de vie, des embouteillages ou de la pollution. C'est l'organisation du travail de l'automobile qui s'est étendue à toute la société. Le stress et les suicides au travail se sont étendus de Peugeot à France Télécom et partout.

L'industrie automobile a toujours été un laboratoire.

Tant que les patrons de l'automobile ont cherché à vendre des voitures de petites et moyennes gammes à leurs ouvriers, ils ont toléré les protections sociales contre la maladie, le chômage et la vieillesse. Il leur fallait des ouvriers avec des revenus assez stables pour payer régulièrement leurs crédits autos.

Aujourd'hui, ils financiarisent, diversifient et cherchent leurs profits plutôt du côté des grosses berlines. Pour eux, les protections sociales des travailleurs n'ont plus de raison d'être. Et le système qui va avec, syndicats et démocratie représentative, non plus. Bref la dictature directe du capital. Ce qu'essaient de dire les "indignés".

Rôle des luttes des ouvriers de l'automobile (sous-titre rajouté)

Une grande partie de l'histoire des progrès sociaux tourne autour des luttes des ouvriers de l'automobile. C'est encore en train d'en prendre le chemin en Chine ou en Inde. Notre force à nous, ouvriers de l'automobile, les soutiers de l'économie mondiale, c'est de pouvoir fédérer autour de nous toutes les "indignations" et les "colères" de millions d'hommes et de femmes qui aspirent et se battent déjà pour un monde sans patrons, sans exploitation ni oppressions.

Or nous entrons dans une situation où ça devient possible. Tout le monde sait qu'on peut connaitre le sort de la Grèce ou de l'Espagne. Et quand les espagnols disent qu'il faut mettre les banquiers en prison, nous devenons tous espagnols. Les ouvriers de l'automobile sont aujourd'hui en situation de pouvoir donner un prolongement aux révolutions arabes en criant "dégagez" aux capitalistes.

Ca signifie que pour sauver Aulnay, Rennes ou Sevel Nord, nous devons être convaincus qu'on ne pourra défendre les conditions de travail et sauver chaque emploi qu'en voulant les sauver tous et tous ensemble. Nous devons sortir du combat entreprise par entreprise, secteur par secteur. Nous devons représenter la détresse et la colère de ceux qui veulent brûler leurs usines, des retraités qu'on veut faire crever au boulot, des jeunes qui n'en auront pas et des travailleurs immigrés qu'on expulse.

Les travailleurs d'Aulnay sont les mieux placés pour ça. Mais nous pouvons nous aussi, au NPA, proposer ces perspectives partout à la rentrée.

Les travailleurs de Ford Blanquefort ont posé un premier jalon dans ce sens en appelant à manifester fin septembre au salon de l'auto. Nous pouvons en faire un premier succès et nous pouvons le prolonger avec notre propre agenda d'initiatives pour construire le "tous ensemble" sur le ton qui nous permette de représenter tous ceux qui aspirent à un monde enfin débarassé de la dictature du marché.