Publié le Mercredi 10 février 2010 à 23h55.

"C'est parti" : l'ancien parti, le nouveau et son héros réticent (Le Monde 9 février)

Après le Mur de Berlin, la Carte orange, le tour vint pour la Ligue communiste révolutionnaire d'être avalée par la marche du temps. Il se trouve qu'une cinéaste a sorti sa caméra à temps pour enregistrer les derniers jours de "la Ligue", comme la désignaient familièrement ses partisans et ses ennemis, jusqu'à ce qu'elle laisse la place au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA).

Camille de Casabianca, qui a milité jadis dans les rangs de la Section française de la IVe Internationale, autre nom de la LCR, filme en toute sympathie.

Ce qui ne fait pas d'elle une naïve. Sa familiarité avec le sujet ne l'empêche pas non plus de s'étonner. Cette distance, d'autant mieux mesurée qu'elle résulte d'une histoire personnelle plus que d'un calcul intellectuel, fait de C'est parti une rareté : un film qui montre la politique en train de se faire lucidement et chaleureusement, à charge pour chaque spectateur d'en tirer des conclusions, théoriques ou pratiques.

C'est parti s'organise autour d'un leitmotiv, le grand ménage organisé dans les locaux de la LCR à la veille de la naissance du NPA, dont les images reviennent à intervalle régulier. Les vieux militants, dont le plus célèbre est Alain Krivine, et les plus jeunes, parmi lesquels on reconnaît Olivier Besancenot, balancent le vieux monde par les fenêtres : des kilos de papiers noircis de débats aujourd'hui abscons, des affiches de campagnes infructueuses, des fichiers mystérieux.

Pendant qu'on fait du passé table rase, la gestation du nouveau parti arrive à son terme. C'est là que l'on trouve les séquences les plus passionnantes du film. On y trouve un héros réticent, Olivier Besancenot, qui doit assumer sa position de vedette. Sa seule présence à une réunion garantit la présence des journalistes, qui par ailleurs ne s'intéresseront pas aux autres intervenants. Camille de Casabianca circule dans l'appareil de la LCR comme un poisson dans l'eau, et la plupart du temps son film donne la sensation d'être l'observateur invisible de la vie quotidienne des militants. Sauf quand le débat tourne autour du bon usage d'Olivier Besancenot. Dès qu'il est question de célébrité, les dés son pipés, et la conscience d'être filmé se manifeste. De ce point de vue, C'est parti apporte quelques éléments intéressants à la critique du star system.

Ex-"liguards"

Mais l'essentiel du contenu politique est ailleurs. Les éventuels accès de nostalgie des vétérans trotskistes sont régulièrement étouffés par les questions, les interventions des nouveaux militants. C'est là que l'on trouvera toutes les réponses aux questions que pose la présence d'une femme musulmane sur une des listes du NPA aux régionales.

On s'apercevra ainsi que ce récent épisode est l'aboutissement d'un processus engagé depuis quelque temps, et que les militants et militantes gauchistes, qui ont eu bien du mal jadis à prendre en compte le combat homosexuel, doivent aujourd'hui répondre à d'autres interrogations.

Plutôt tourné vers l'avenir, le film de Camille de Casabianca ne s'intéresse qu'incidemment aux nombreux ex-"liguards" qui peuplent aujourd'hui la vie publique française. C'est Henri Weber, ancien directeur de l'hebdomadaire Rouge, aujourd'hui député européen socialiste, qui les représente dans un débat saisi à la Fête de L'Humanité. Le vétéran utilise tous les ressorts de la rhétorique trotskiste pour défendre le compromis. A ce moment, l'infinie polysémie du titre prend un sens ironique, presque méchant : "C'est parti, pour ne plus jamais revenir." L'instant d'après, le film reprend sa bonne humeur pour suivre les aventures incertaines de ceux qui n'arrivent toujours pas à ne plus y croire.

Film documentaire français de Camille de Casabianca. (1 h 24.)

Thomas Sotinel