Publié le Dimanche 3 mai 2009 à 09h28.

"Guadeloupe : derrière la manifestation, des questions entières sur l'avenir" (Le Monde du 2 mai)

Poignée de main et échange cordial, mais pas de défilé commun pour Olivier Besancenot et Elie Domota, lors du 1er mai à Petit-Canal, bourg de Guadeloupe où a été enterré, en février, le syndicaliste Jacques Bino.

 

 

Le secrétaire national du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), cornaqué par la Centrale des travailleurs unis (CTU), a fait, comme les quelque 20 000 manifestants, sa marche de 4 km sous un soleil brûlant, loin du porte-parole du LKP. Pour ce "1er Mé kont tout'pwofitasyon", les organisateurs syndicaux ont jugé que sa place était "dans le cortège, pas dans le carré de tête", puisqu'il représentait un parti politique.

Venu saluer le mouvement social, l'ex-porte-parole de la LCR ne se laisse pas gâcher son plaisir : "Eux ont réussi à déplacer des montagnes, par la grève générale. Il ne s'agit pas d'importer un modèle. Mais ils ont trouvé une forme d'unité et de radicalité." Ainsi se plaît-il à imaginer qu'un jour, "les Conti, les Caterpillar, les Molex", victimes de plans sociaux, défilent tous ensemble dans les rues. On le salue, on lui sourit, sans le porter aux nues. "Il y a en Guadeloupe une forme de nationalisme ombrageux qui récuse le mythe du papa blanc, investi de je ne sais quelle supériorité culturelle", note, dans le cortège, l'historien Jean-Pierre Sainton.

"ETRE PLUS RADICAL"

Au-delà de cette réserve vis-à-vis du leader trotskiste, le front du LKP se fissure. Malgré ce 1er mai pour la première fois unitaire, La CTU se démarque des deux organisations majoritaires de l'île, l'UGTG d'Elie Domota et la CGTG de Jean-Marie Nomertin. Alex Lollia, figure de la CTU, juge désormais que le LKP est un mouvement "petit bourgeois". Il assure qu'il aurait fallu organiser des "contre-Etats généraux". "Il faut être plus radical et cesser de ménager la chèvre capitaliste et le chou colonial", tranche-t-il.

Ces éventuelles prémices à un déchirement n'ont guère affecté les milliers de manifestants qui avaient garé leur voiture jusqu'à des kilomètres à la sortie de la ville, le long des champs de canne. Jocelyne, 51 ans, assistante de direction dans le privé, n'a pas fait 44 jours de grève, mais a "toujours soutenu le mouvement". Mère d'un garçon et d'une fille de 18 ans et 22 ans, elle se demande "ce qui va rester pour ces enfants-là ?" Comme beaucoup de Guadeloupéens, elle s'indigne : "On a poussé nos enfants et ils ne trouvent pas leur place, c'est ça qui ne va pas."

Celles-ci sont très jeunes : Iris, 10 ans, Ylda, 9 ans, et leur cousine Moïssa, 6 ans, marchent avec vaillance, la langue bien pendue. "Nous, on trouve que c'est pas bien ce qu'il fait Nicolas Sarkozy, alors on manifeste", explique Ylda. Une tante les surveille du coin de l'œil. Lydia, 43 ans, a une petite entreprise artisanale, dans le bâtiment, trois salariés en ce moment. "L'activité reprend très doucement. Le plan Corail (mis en place par Yves Jego pour soutenir les entreprises), ça marche pour ceux qui n'avaient pas de problèmes avec leur banque", déplore-t-elle.

Le long du trajet, les "sinobol" (snow-balls), de la glace rabotée avec du sirop, se vendent jusqu'à plus soif. Le cortège s'égaye dans un grand pré, bordé d'arbres en fleurs, pour écouter Elie Domota fustiger les Etats généraux.

On peut encore acheter "trico officiel à LKP", le tee-shirt siglé sur fond jaune, mais on sent bien que la fête est finie. Marlène Mélisse, conseillère régionale PS, qui a assisté, mercredi, à Basse-Terre, aux débuts discrets des Etats généraux - moins de 300 personnes - regrette : "Il faudra pouvoir entendre ceux qui étaient dans la rue."

Petit-Canal (Guadeloupe), envoyée spéciale Béatrice Gurrey.