Publié le Lundi 26 octobre 2015 à 09h14.

Hollande à Athènes en gentil gendarme de la troïka

Il est loin le temps où Tsipras raillait le président français sous le sobriquet de Hollandreou. Poursuivant sa mue vers sa vraie nature social libérale, à défaut d'être comme l'avaient cru beaucoup et fait croire certains la gauche radicale, Tsipras a donné à Hollande du ''François'' et une caution qui rassurera peut-être Pierre Laurent, mais confirme surtout qu'il n'y a plus rien à attendre de ce gouvernement mal réélu en septembre. C'est d'ailleurs la conclusion que vient de tirer l'ex-secrétaire général de Syriza jusqu'en août, Tasos Koronakis, en démissionnant de Syriza et en se réclamant de la gauche sans rejoindre pour l'heure aucun parti à gauche de Syriza. 

Un ami plein d'exigences

C'est clair : Hollande a voulu jouer une carte de politique extérieure à des fins intérieures, le seul domaine où il espère des retombées pour ne pas sombrer totalement dans le paysage politique français. D'où l'accent mis sur le rôle conciliateur que Hollande aurait joué face à l'intransigeance allemande (Schaüble : ''la Grèce n'est pas un état ''!). Jouant sur une amitié historique réelle entre les deux peuples, Hollande a pu profiter de l'attitude de bon élève soumis de Tsipras, qui lui a demandé de faciliter la résolution de désaccords avec les ''institutions'' (=la troïka) qui exigent une application totale des engagements, en fait dans une dynamique qui est celle du toujours plus! L'exemple mis en avant pour créer une image positive de Hollande est celui des propriétaires endettés et ne pouvant rembourser leurs emprunts. Alors que le programme initial de Syriza était qu'on ne peut mettre à la porte de son habitation principale une famille endettée et insolvable, désormais, la maison pourrait être mise aux enchères. Mais alors que les instances européennes exigent cette mesure pour des maisons à partir de 150 000 euros, Tsipras réclame à partir de 300 000 euros. Avis du grand sage Hollande : cela mérite effectivement réflexion! Quelle audace …

Mais à côté de cette seule vague promesse, le discours de Hollande a été d'une grande clarté social libérale : devant le parlement, s'il a certes reconnu que les mesures étaient exigeantes, notamment en matière d'impôts, de retraites, de sécurité sociale, le message a été que la Grèce applique intégralement les mesures du 3ème memorandum, sans retard dans le calendrier. Message : ''L'Europe a des règles qui doivent être respectées. Elles ont permis de mener l'assainissement des finances publiques.'' Ceux qui attendaient une inflexion ''humanitaire'' de la part de Hollande en ont été pour leurs frais, et sur la question de la dette, il a été là aussi très clair : appliquez les mesures exigées, on fera bientôt une évaluation, et après on commencera à examiner les possibilités d'allégement d'une dette qui semble inquiéter les capitalistes français surtout du fait qu'ils savent que la Grèce ne peut la rembourser en l'état actuel. Le journal Prin , organe de NAR, le principal parti de la gauche radicale (et membre d'Antarsya) a trouvé le juste qualificatif : Hollande, que le journal Avgi de Syriza a lui oublié de critiquer,  était dans le rôle du gentil flic, face au méchant gendarme allemand ! 

De bonnes affaires tricolores

Officiellement, le but de cette visite était une aide de la France à la Grèce .. pour mieux appliquer les mesures du memorandum … et relancer son économie ! Le journal Avgi, endossant la prose acritique des medias dominants, a donc donné une version ''neutre'' des objectifs : tranférer le savoir faire français dans le domaine de la Fonction Publique (à l'heure où Valls veut aller plus loins dans sa casse !), de la fiscalité, et des réformes, ainsi que renforcer la coopération dans le domaine du commerce extérieur bilatéral, des investissements, de l'éducation et de la culture. Objectifs concrétisés par la signature d'une accord de partenariat stratégique, relevé dans la presse et présenté avec un certain succès comme une aide durable de la France, preuve d'amitié entre les deux peuples... Le problème est bien sûr de voir en quoi un tel partenariat repose sur une réciprocité ! Hollande donne lui même les éléments de réponse : la France est le 4ème investisseur en Grèce, il faut renforcer la place française, notamment dans 3 secteurs, la santé, l'énergie et les nouvelles technologies. Traduction : transformer davantage ces domaines en entreprises privées, et cela alors que les hôpitaux réclament au contraire un plan d'urgence de soutien public, que les pharmacies pourraient être bientôt autorisées d'exploitation à n'importe quel petit patron sans lien avec la santé, et que le gouvernement n'a par ailleurs toujours pas bridé le comportement voyou de la société multinationale Eldorado, qui extrait de l'or en Macédoine au mépris total de l'environnement... 

Sur les plans culturels et éducatifs, on ne peut qu'être inquiets devant les projets de coopération à la sauce social-libérale, avec une conception commerciale de ces secteurs. Il faut rappeler que la France, qui disposait en Grèce de l'établissement culturel le plus important au monde jusqu'au début des années 90, l'a volontairement bradé sous le ministère Juppé (aux Affaires Etrangères), suivi ensuite par les socialistes, et qu'on trouve désormais la Chambre de Commerce et d'industrie dans les locaux de l'Institut Français... Pendant ce temps, l'enseignement du français est devenu en Grèce un rentable petit commerce : au lieu de renforcer et la coopération pour le français dans l'enseignement public grec et la dynamique d'enseignement pilote au sein de l'Institut Français, la France a laissé se développer en Grèce le petit commerce de la passation de diplômes certifiés Education Nationale française, préparés en kits dans des boites de langue privées, faisant de la Grèce la championne mondiale des DELF et autres DALF... Alors, sans connaître le détail du contenu des accords prévus en la matière (les langues font partie des objectifs de coopération ainsi que les universités et l'éducation en général, dont on sait qu'elle constitue un secteur d'affaires aux yeux de la droite et des sociaux-libéraux), on se doit d'être vigilants, d'autant que Syriza n,est pas revenu sur le processus de privatisation de l'université engagé sous la droite.

De manière générale, la vigilance est de mise : même s'il était accompagné de moins de patrons que prévu, le discours de Hollande, ce qui constitue une des bases de sa visite, c'est son appel à venir faire des affaires en Grèce ! ''Je lance un appel aux entrepreneurs français. Je veux qu'ils acquièrent confiance dans l'économie grecque.''  Et c'est là tout le paradoxe de la situation, et le caractère honteux de la capitulation de Syriza devant la troîka : le 3ème memorandum accélère les privatisations -le Monde évoquait récemment la transformation du port du Pirée en enclave chinoise, et un syndicaliste appelait il y a quelques jours sur une radio à la solidarité avec les travailleurs des ports exploités comme des esclaves par la direction de Cosco. La situation rouverte par le nouveau gouvernement offre des conditions terriblement avantageuses aux requins patronaux et financiers : ces privatisations, loin d'apporter les 50 milliards prévus lors de la mesure, pourraient même endetter un peu plus l'état grec. Ainsi, il semble que la vente de la plupart des aéroports de Grèce à une société allemande, loin de rapporter de l'argent à l'état, va lui en faire perdre ! Dans ces conditions, il serait dommage que les requins n'en profitent pas. Or, il semble que jusqu'à récemment, l'un des seuls secteurs intéressant une entreprise française était celui des trains, dont la société nationale va être vendue (après avoir été volontairement déstabilisée pendant pluasieurs années). Mais un autre secteur commence à susciter des débuts de mobilisations : la privatisation de l'eau (Athènes, Salonique), avec sur les rangs les habituels : Veolia et Suez ! 

Patrons attention : mobilisations sociales en vue !

D'où le message de Hollande cité ci-dessus, à des patrons méfiants …. et qui ont raison de l'être car les travailleuses et les travailleurs n'ont vraiment pas dit leur dernier mot ! Après l'adoption de mesures d'austérité très dures (attaques contre les retraites de plus de 1000 euros, considérées comme du luxe; hausses d 'impôts. Sans oublier le coup de massue de ''Enfia'' , très forte taxe symbole de la violence anti sociale de la droite et du PASOK, que Syriza avait promis de supprimer !), une grève générale est à l'ordre du jour pour le 12 novembre. Des mouvements peu massifs ont eu lieu (quelques milliers de manifestant-e-s le 16 octobre, contre les mesures). Dans les jours à venir, les pharmaciens doivent lancer une grève nationale, les paysans préparent des mobilisations. De manière générale, après une période de recul des mobilisations, désorientées par les processus politiques de cet été, et en l'absence pour l'heure de toute perspective alternative à gauche, la réactivation des luttes, avec l'objectif de mobilisations unitaires, est la perspective à laquelle doivent travailler toutes et tous les militants à gauche de Syriza.

Un dernier petit mot sur le cadre politique de la visite de Hollande : la dirigeante du PASOK, Fofi Genimata, est furieuse de l'amitié affichée entre Tsipras et Hollande. Preuve surtout de l'alignement social libéral de la direction Syriza. Et là encore, Hollande pourrait être le pont entre SYRIZA et le PASOK, membre officiel du regroupement ''socialiste'' : c'est l'expert en manoeuvres diverses, Cambadélis, qui a été chargé d'exiger ''que le PASOK et SYRIZA parlent la même langue'' !...

Athènes, le 25 octobre 2015, A. Sartzekis