Publié le Vendredi 6 janvier 2017 à 11h50.

L’apprenti Thatcher

Avec plus de quatre millions de votants, la « primaire de la droite et du centre » a rencontré, nous dit-on, un très grand succès. Mais qui y a pris part ? D’abord les bourgeois, les riches – du moins une grande partie d’entre eux – comme en témoignent la prééminence des centres-villes et une moyenne d’âge élevée, plus généralement les secteurs les plus réactionnaires de la société.

Ces gens-là ont effectivement fait un choix clair : celui du candidat qui présentait le programme le plus agressivement libéral au plan économique et social, le plus conservateur sur les questions dites de société (avec le soutien marqué de « la Manif pour tous »), en un mot le plus à droite.

Baisse des impôts pour les entreprises et les foyers les plus aisés, baisse des cotisations patronales, augmentation de deux points de la TVA, suppression des 35 heures et fixation de la durée du travail dans les entreprises et les branches, 39 heures payées 35 dans la fonction publique, nouvelles mesures de facilitation des licenciements, 500  000 fonctionnaires en moins, retraite à 65 ans, réduction de 100 milliards de la dépense publique, démantèlement de la Sécurité sociale, de l’Education nationale, etc., la liste est longue et c’est sans compter le renforcement des politiques autoritaires et répressives, racistes et discriminatoires, ou encore pro-nucléaires.

On doit prendre toute la mesure de ce qui constitue un projet de très grande ampleur et d’une violence antisociale inouïe. François Fillon se donne pour objectif d’accomplir maintenant ce que Thatcher a engagé au Royaume-Uni dans les années 1980, ce que Schröder a fait aussi en Allemagne au début des années 2000.

Il s’agit d’aller au-delà des mesures et politiques pro-patronales pourtant systématiques des gouvernements précédents, notamment ceux de Hollande, pour véritablement en finir avec le « modèle social » qui avait été installé depuis la Libération. Et, à partir de là, d’opérer un transfert massif de valeur des salariés et des pauvres vers les patrons et les actionnaires, afin de remettre globalement le capitalisme français (pas seulement, comme c’est le cas aujourd’hui, certains de ses secteurs) en situation « concurrentielle » sur la scène européenne et mondiale.

Cela n’a pas échappé à Marine Le Pen, qui va sans nul doute tenter de se présenter comme une candidate du « peuple » face à celui des « élites », et qui se permet déjà d’affirmer : « c’est le pire programme de casse sociale qui ait jamais existé (…) Jamais aucun candidat n’est allé aussi loin dans la soumission aux exigences ultralibérales de l’Union européenne ».

La perspective d’un second tour aussi déprimant présente pourtant, si l’on peut dire, une sorte d’avantage : celui de montrer que rien de bon ne pourra sortir de ce cirque électoral et que plus que jamais,« c’est dans la rue que ça se passe », c’est sur le terrain des mobilisations que les choses vont se décider.

Les enjeux sont posés dès à présent : le mouvement ouvrier et social parviendra-t-il à faire obstacle à cette contre-réforme globale, à la « révolution libérale » (selon les termes de Fillon il y a deux ans, quand il se félicitait du bilan de Thatcher et regrettait que la France n’ait pas connu pareille transformation) qui nous est promise ?

C’est à cela qu’il faut se préparer. Et c’est au service de cette tâche qu’il est nécessaire de tirer le bilan des luttes récentes, en particulier du mouvement contre la loi Travail et des faiblesses qui nous ont alors empêchés de gagner. Auto-organisation, massification, coordination et centralisation des luttes dans la grève et dans la rue – il n’y aura pas d’autre voie.

 

Jean-Philippe Divès